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Éducation haïtienne: un survol analytique

Par Amary Joseph NOEL

"A lekol"

"A lekol" par Etienne Chavannes. © Galerie Macondo

L’Éducation est la porte d’accès des peuples pauvres au mieux-être et le tremplin qui propulsa les nations développées au sommet de la pyramide mondiale.s

Pour Haïti, il est juste de reconnaître que dès le début de sa vie indépendante, elle a affirmé comme principe fondamental de son organisation politique, l’obligation pour l’État de répandre l’instruction parmi le peuple et d’établir, à cette fin, un système d’éducation nationale.

Cette législation de l’instruction n’a pas, pour autant, favorisé le progrès social. Il fallait pour une population scolarisable donnée un nombre d’écoles donné. Or, les déclarations d’intention et les efforts réels consentis n’ont pas permis à Haïti d’offrir l’éducation nécessaire à tous ses fils. Le taux d’analphabétisme est très élevé et les statistiques dénoncent que notre pays compte, aujourd’hui, encore, environ plus de  50 % d’illettrés.

Les causes sont connues:

  • le manque d’écoles. Le  taux d’enfants non scolarisés est fort élevé. Il concerne près de  400.000 enfants, selon les estimations actuelles). Ces derniers vont grossir au fil des ans les réseaux mafieux qui agressent la cité (banditisme, kidnapping etc.). Les enfants des rues constituent la menace des menaces pour l’avenir de notre pays.
  • l’absence, pendant trop longtemps, d’une politique réelle d’éducation,
  • la rigidité des méthodes d’enseignement tombées en désuétude,
  • les résultats obtenus à la faveur des efforts pour freiner l’analphabétisme sont très modestes.
  • l’escamotage total de la  réforme de l’Éducation lancée en 1982 associé à la destruction physique du laboratoire de recherche du système éducatif qu’était l’Institut Pédagogique National (IPN).

L’impact des organisations internationales

La création de l’organisation des Nations Unies en 1945, suivie une année plus tard de celle de l’UNESCO a  favorisé l’inauguration d’une ère nouvelle dans l’Éducation haïtienne. La naissance de ces deux organisations, après la seconde guerre mondiale, a inauguré une ère pendant laquelle l’éducation se place au centre des préoccupations de la communauté internationale. Le respect des orientations de ces organismes, dans le cadre de la mise en place d’une politique éducative allait-il consacrer les succès des initiatives haïtiennes en fait d’Éducation?

Les choix stratégiques de l’Éducation haïtienne ont toujours été rythmés par les décisions prises dans les grands forums internationaux: PROMEDLAC I, II, III (projet majeur d’Amérique latine et de la Caraïbe), Jomtien 1990, Dakar 2000 etc.  Après Jomtien (Thaïlande)1990, Haïti a voulu, comme d’autres nations en développement du globe, faire de l’Éducation Primaire Universelle une réalité pour l’an 2000.

Cependant, à l’heure de l’évaluation des résultats en 2000 à Dakar, Haïti n’a pu faire ostentation, comme nombre d’autres pays du globe, que de  résultats très modestes. Le bilan restait catastrophique pour la fréquentation de l’éducation préscolaire, l’accès des filles à l’enseignement et pour la lutte contre l’analphabétisme.

Réforme et création d’un Institut Pédagogique National

Dans l’intervalle, la création de l’Institut Pédagogique National (IPN) et le lancement d’une première réforme  véritable de l’Éducation avaient permis tous les espoirs. La question est si sérieuse que nous devons nous y détenir  un instant.

En effet, pour la première fois, s’inspirant d’une philosophie humaniste et pragmatique, l’Éducation haïtienne se voulait nationale et affirmait l’identité de l’homme. La réforme de l’Éducation avait, dans sa panoplie, prévu de réconcilier le jeune Haïtien avec son environnement  culturel, social et économique.

Le projet de réforme, comme tout projet rentable, a bénéficié d’appuis financiers internationaux importants; BID et Banque Mondiale.

La France avait mis le paquet en mettant sur pied une structure moderne et en le dotant d’experts venus de France pour sa réussite. L’IPN a pu préparer des programme d’enseignement d’un très haut niveau pédagogique. Ces programmes sont encore en vigueur et sont les seules garanties d’uniformité du système éducatif haïtien au niveau fondamental. Ils se posait, cependant, le problème de leur utilisation par un personnel enseignant passablement qualifié. L’IPN comptait en son sein les meilleurs cadres nationaux formés et capables de faire avancer l’Éducation dans le pays.

Dans les «Finalités de l’Éducation haïtienne» offertes en manière de prologue au début de chaque exemplaire de  programmes de la Réforme, nous lisons:

«L’école Haïtienne Nouvelle a pour mission de développer la conscience nationale, le sens des responsabilités et l’esprit communautaire, par l’intégration dans son contenu des données de la réalité haïtienne. Par l’apport de solutions réalistes à l’amélioration de l’environnement physique et social et aux progrès dans toute la vie sociale et économique, elle constitue un instrument de développement national.

«L’éducation Haïtienne vise, avant tout, à favoriser la formation d’un homme-citoyen producteur, capable d’améliorer en permanence les conditions physiques naturelles du pays; de créer les richesses matérielles et de contribuer à l’épanouissement des valeurs culturelles, morales et spirituelles de la nation.

«Par ses nouvelles fonctions l’Éducation haïtienne doit procurer à tous les enfants du pays indistinctement une formation de base polyvalente  et solide, de opportunités de formations spécialisées à différents niveaux,  ainsi que  des possibilités réelles de réussite dans le développement des aptitudes individuelles»

Nous ne vous dirons rien de neuf si nous précisons, dans cette enceinte, que le l’IPN, instrument principal de cette réforme a été bousillé d’un revers de la main en 1991. Le local même de l’IPN est devenu bureau du Ministère de l’Éducation Nationale.

Tout compte fait, l’aide financière internationale n’a pas  été une solution aux problèmes de l’Éducation haïtienne. Les bailleurs de fonds internationaux ne financent pas le secondaire et l’enseignement supérieur dans le strict respect des conclusions des grandes conférences internationales. Par voie de conséquence, les pays qui s’arc-boutent à l’aide internationale pour résoudre leurs problèmes d’Éducation ne peuvent arriver au développement. Le fondamental intéresse l’enfance et l’adolescence. Les peuples qui ne franchissent pas ces impasses imposées ne peuvent naître au développement. Ils auront des gens qui savent lire, mais n’atteindront jamais les strates de développement.  Ils seront, au monde, d’éternels enfants ou adolescents.

L’enseignement professionnel

Le système national de formation professionnelle dont la gestion a été confiée, sans plus, à l’INFP (Institut National de Formation Professionnelle) s’est totalement effondré en 1989. Ce secteur ne doit sa survie qu’à des prêts ponctuels d’agences internationales comme la  BID, par exemple. Du point idéologique, la formation professionnelle a toujours été décriée en Haïti. Dans l’imagination populaire haïtienne,  le Professionnel est réservé à celui qui ne peut pas tenir le rythme du système classique. Par ailleurs,le volet technique prévu dans l’organigramme de la Réforme au niveau du 3éme cycle n’a jamais été d’application. Le schéma stipulé pour la progression des élèves avec passerelles entre les volets «normal», «classique», «technique» et «professionnel» n’a jamais été effectif. La commission de ces structures n’a jamais été effective. La formation professionnelle ne répond pas, jusqu’aujourd’hui, aux besoins des secteurs de développement national.

L’Éducation non formelle

L’Éducation non formelle, exception faite de l’ONAAC (l’Office National d’Alphabétisation et d’Action Communautaire) des temps de la dictature qui a inclus le développement communautaire, a été réduite à l’alphabétisation.

En général, l’on peut affirmer que l’éducation non–formelle en Haïti a culminé en un ensemble de démarches éducatives de l’État  à travers divers ministères (Santé, Éducation, Agriculture, Affaires Sociales, Jeunesse et Sports) renforcées par celles d’institutions non gouvernementales et internationales sans souci d’homogénéité et d’évaluation réelle. Aujourd’hui, une nouvelle campagne d’alphabétisation est en cours avec l’appui des cubains et l’utilisation de la méthode cubaine «yo, sí, puedo».

Universités et écoles secondaires

Par ailleurs, les niveaux secondaire et universitaire n’ont pas pu bénéficier des mêmes soins ou attentions que le fondamental. Ils ont  même été laissés de côté.

Le secondaire haïtien végète, depuis longtemps, dans un passéisme aberrant. Aujourd’hui encore, Haïti attend un projet de secondaire légitimé répondant tant aux aspirations nationales qu’aux exigences de qualité établies dans le domaine de l’Éducation au niveau planétaire. Le Ministère de l’Éducation Nationale fait face aujourd’hui à des urgences de taille dans ce secteur:

  1. Urgence d’explorer  les solutions possibles aux problèmes d’adéquation de l’enseignement secondaire aux besoins réels du pays (développement des individus, besoins des secteurs de développement, formation professionnelle et technique, accès aux études supérieures)
  2. Urgence de définir les caractéristiques et modalités de mise en œuvre d’un système d’évaluation des rendements scolaires et de certification du cycle secondaire. (nous signalons, en passant, que le processus d’expérimentation du nouveau système d’examen d’état de fin de cycle organisé sous le label «Bac permanent» vient d’être lancé en décembre 2007)

L’enseignement supérieur n’a jamais représenté une priorité pour les organismes internationaux qui ont orienté jusqu’ici les stratégies d’éducation et de formation en Haïti. La primauté a toujours été accordé à la petite enfance et à l’enseignement de base, étiqueté «enseignement fondamental».  Il s’en est suivi un délaissement, voire un abandon de l’enseignement  supérieur.

Au niveau universitaire, le problème est double. Un leadership prescrit par la loi confie la fiscalité de l’enseignement supérieur à l’université d’État d’Haïti. Cependant,  dépourvue de moyens objectifs et subjectifs adéquats, elle ne pouvait nullement remplir ce rôle. Une autre variable indépendante de taille s’est ajoutée aux misères de l’Université d’État d’Haïti et par conséquent, à l’ensemble des institutions  d’Enseignement Supérieur: une «autonomie définie comme indépendance» par rapport au Ministère de l’Éducation. Ce dernier a tenu l’université en marge des ouvertures offertes au Ministère de l’Éducation Nationale. Le progrès  quantitatif de l’Éducation haïtienne  indexé par certains analystes ne concerne pas l’université. L’université haïtienne (publique et privée) ne peut accueillir le flot de bacheliers en provenance des lycées et collèges. La création de ces derniers était plutôt le fruit d’options politiques  à courte vue. On ne s’est pas soucié de prévoir des gîtes de formation pour les philosophes en nombres sortis du système. Et aujourd’hui,  la place la plus rare en Haïti et peut-être la plus chère du pays est celle convoitée dans un centre de formation supérieure par un jeune détenteur  de son diplôme de baccalauréat. Le pilotage sans vision stratégique n’a pas permis aux décideurs nationaux de notre passé récent de prévoir la catastrophe de la marée de bacheliers errants, dans l’impossibilité de continuer en Haïti leur formation   au niveau supérieur. Les parents sacrifient des sommes faramineuses pour donner une éducation supérieure à leurs enfants en terre étrangère. On n’a pas aujourd’hui le chiffre exact, par exemple, du nombre de jeunes haïtiens qui étudient au niveau supérieur en République dominicaine (6.000, 8.000, 10.000, 12000, Il faudrait aller voir…)

En définitive, Haïti, en suivant le tracé de la politique des institutions internationales et en limitant ses actions éducatives de fonds à l’éducation de base, a hypothéqué toutes ses chances de développement.

Le Ministère de l’Éducation nationale résolument décidé de faire face à ces défis est contraint d’allier stratégie et tactique. Le MENFP est en train, comme nous l’avons souligné au cours d’un débat sur radio Kiskeya, de mettre en place «l’Autoroute» (le highway) de l’Éducation. Cette autoroute vient de relier Panama la semaine dernière quand une mission y a séjourné. Le Ministère de l’Éducation Nationale d’Haïti et celui Panama ont décidé de préparer, dans un bref délai, une convention qui rendra pérenne la coopération entre les deux pays. En février 2006, des accords similaires d’Éducation ont été signés entre la République Dominicaine et Haïti.

Bien faire et mettre les bouchées doubles c’est l’option du Ministère de l’Éducation Nationale et de la Formation Professionnelle, aujourd’hui!

Amary Joseph NOEL,
Professeur,
 le 23 février 2008, à Port-au-Prince, Haïti.

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