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Haïti-Duvalier: Maintenir le devoir
de mémoire autour du massacre du 26 avril 1963

P-au-P, 26 avril 2013 [AlterPresse] --- Le Comité de commémoration du 26 avril appelle la population haïtienne à l’accompagner dans l’accomplissement du «devoir patriotique qu’est le devoir de mémoire» lié au massacre du 26 avril 1963, orchestré par le dictateur François Duvalier, père de Jean Claude.

Le 26 avril 1963 rappelle le massacre de plusieurs familles notamment de militaires, soupçonnés d’implication dans une tentative d’enlèvement de Jean-Claude Duvalier.

Lors de cette opération sanglante, des maisons avaient été incendiées avec leurs occupants, des enfants enlevés, des familles entières arrêtées, torturées, tuées, disparues.

«C’est avec une très grande émotion et aussi une profonde humilité que je m’adresse à vous pour honorer la mémoire de nos chers disparus: nos pères, nos mères, nos enfants, nos fils, nos filles, nos frères, nos sœurs et nos amis», exprime l’un des membres de ce comité, Marguerite Bouchereau Clérié, lors d’une conférence de presse à laquelle a pris part AlterPresse, le mercredi 24 avril 2013.

Elle précise que ce devoir de mémoire n’a rien à voir avec la revanche encore moins la vengeance. C’est une pratique de recherche historique pour la connaissance des faits dans leur moindre détail autour du massacre du 26 avril, explique t-elle.

Elle souligne que la pratique du devoir de mémoire vise à «comprendre ce qui s’est passé pour que cela ne se reproduise plus jamais, en d’autres mots comprendre ce qui s’est passé pour empêcher le retour des conditions politiques et sociales qui ont permis l’instauration de ces régimes autoritaires».

«Il faut nommer les bourreaux et les juger si possible pour qu’ils sachent que la société leur reproche leurs crimes. Il faut aussi célébrer les anges gardiens, ces hommes et ces femmes qui au mépris de leur propres vies sont venus en aide à des victimes ou se sont interposés entre bourreaux et victimes».

Pour Clérié, dont le père a disparu lors des évènements du 26 avril 1963, le devoir de mémoire est aussi une pratique de support aux survivants, une reconnaissance importante de leurs souffrances passées et présentes.

Quels mécanismes sociaux conduisent des êtres humains à sombrer dans la cruauté dans la barbarie, s’interroge t-elle, avec une pointe d’émotion.

«Il faut éduquer et éduquer en permanence. C’est une manière de forcer une société à voir et à reconnaitre ses pires horreurs. C’est une manière de maintenir présent à l’esprit de tous, les actes de cruauté dont se sont rendus coupables les dictateurs de tous bords et leurs multiples collaborateurs», encourage t-elle.

Pour sa part, la coordonnatrice du Collectif contre l’impunité, Danièle Magloire, rappelle le combat difficile mené en Haïti depuis le retour du dictateur Jean Claude Duvalier (janvier 2011) en vue de faire échec à l’impunité, refuser la banalisation de la dictature et la négation des crimes contre l’humanité perpétrée par les Duvalier.

Elle mentionne les témoignages des plaignants et plaignantes du Collectif depuis février 2013 devant la cour d’appel sur les violations subies et les innombrables exécutions et disparitions des citoyens et citoyennes durant le régime duvaliériste.

Dans cette affaire, le dictateur Jean Claude Duvalier est poursuivi pour crimes contre l’humanité et détournements de fonds.

Elle condamne le comportement des défenseurs, supporteurs et héritiers de Duvalier qui jettent le blâme sur les victimes et insultent la mémoire des milliers de personnes broyées par la machine duvaliériste.

«Si le peuple haïtien n’avait pas fait le 7 février 1986, nous aurions eu droit à un deuxième héritier assumant, comme le premier, le prix du sang, la politique d’anéantissement du pays», avance Magloire pour critiquer le petit-fils de François, fils du dictateur Jean Claude, en l’occurrence François Nicolas Duvalier.

Ce dernier a tenté, sans vergogne, de réhabiliter son grand-père à travers un texte publié dans le Nouvelliste à la veille de la commémoration de la date symbolique du 26 avril.

Soulignant la valeur symbolique de cet événement dans l’histoire d’Haïti, le Collectif appelle à refuser l’oubli, honorer la mémoire des victimes et la résistance et, surtout, exhorte à la «vigilance citoyenne».

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Haïti-Duvalier: La victime Raymond Davius
partage les souffrances endurées sous l’ancien régime

P-au-P, 19 avril 2013 [AlterPresse] --- La victime Raymond Davius a raconté, le jeudi 18 avril 2013, les nombreuses tortures subies pendant les sept mois (de février à septembre 1981) passés dans les geôles de l’ancien régime du dictateur Jean-Claude Duvalier, lors du procès contre ce dernier poursuivi pour crimes contre l’humanité et détournements de fonds, a obseervé l’agence en ligne AlterPresse.

Âgé actuellement de 57 ans, l’économiste Davius rapporte avoir été battu, à maintes reprises, pendant son passage en prison.

Les multiples coups reçus ont fini par laisser des cicatrices sur tout son corps, confesse-t-il attristé.

Il se plaint du fait que les sbires du régime ne lui ont jamais offert la possibilité de se rendre à l’hôpital, malgré ses nombreuses blessures.

Au cours de l’année 1981, il fut arrêté 17 fois et emprisonné trois fois.

«A chaque arrestation, j’ai du vomir du sang. C’est à cause de ces atrocités que j’ai été contraint d’aller me cacher dans la ville de Bainet (Sud-Est), alors que je n’avais personne dans cette ville. J’ai passé quelques mois là-bas avant d’être arrêté, ligoté et conduit aux Casernes Dessalines», se souvient, avec amertume, Raymond Davius.

En prison, un seul seau lui servait, à la fois, de récipient pour ses besoins physiologiques et de plat pour ses repas. La nourriture lui était servie en-dessous de la porte, avec les pieds, par les geôliers.

Davius était fermé dans une cellule étroite, où une ampoule était tenue allumée en vue de permettre au geôlier de vérifier si le maltraité était en vie.

Un petit matelas, fabriqué avec des résidus de tissus contenant des épingles, ne lui offrait aucune possibilité de s’allonger dessus convenablement.

Le régime voulait faire de Davius un "exemple", parce qu’il a laissé l’armée - en tant que soldat de première classe - à l’hôpital militaire pour rejoindre le Parti démocrate chrétien haïtien (Pdch), alors dirigé par le défunt Sylvio Claude.

«Le 13 octobre 1982, à la suite des menaces exercées par les sbires du régime, j’ai dû sauter les murs de l’ambassade du Venezuela au Bicentenaire (à proximité du bord de mer de la capitale), pour retrouver un asile politique. L’ambassadeur vénézuélien de l’époque m’a donné près de 250.00 dollars américains pour aller me cacher dans les recoins du pays», relate Davius, la tristesse dans la voix.

En janvier 1983, il a tenté, une seconde fois, de s’échapper en s’introduisant, à nouveau, à l’ambassade du Venezuela.

«L’ambassadeur m’a mis en résidence surveillée. Un mois plus tard, soit le 1er février 1983, j’ai pris l’exil (pour le Venezuela), qui a duré près de deux ans et demis. Je suis revenu [dans le pays] en juillet 1986, après la chute de Jean-Claude Duvalier», indique la victime Raymond Davius.

A l’audience du jeudi 18 avril 2013, Davius a présenté et remis, à la cour d’appel de Port-au-Prince, une liste partielle des séquestrations, tortures, assassinats et exécutions sommaires, perpétrés durant la dictature duvaliériste, notamment en la seule année de 1976.

Figurent, dans cette liste, cinq journalistes1, une dizaine de militaires2, près d’une quinzaine d’avocats (Benoît Armand, Emile Cauvin, Seymour Cauvin, Max Charlmars, Hervilus Antoine, Henri Carnot, Joseph Vergniaud, Hubert Legros, Christian Nau, Salma Pierre-Paul, Edmond Pierre-Paul, Antoine Pierre-Paul, Pierre Victor Joseph, Roc ainsi connu, Antonio Vieux.]] et environ 70 autres citoyens de diverses couches3, ayant laissé leur peau dans les geôles du dictateur Duvalier (données tirées de l’ouvrage «Le prix du sang», Tome II)

La prochaine audition, dans le cadre du procès de Jean-Claude Duvalier est prévue pour le jeudi 25 avril 2013.

Le 11 avril 2013, lors de la précédente audience, Henry Faustin a été auditionné comme plaignant après Robert Duval, Alix Fils Aimé et Nicole Magloire, entendus tour à tour dans cette affaire. [jep emb rc apr 19/04/2013 14:50]

Notes

  1. Les journalistes cités étaient: Ezéchiel Abellard, René Midouin, Gasner Raymond, Saintini ainsi connu, Salès Pierre.
     
  2. Les militaires exécutés en 1976 étaient Dagobert Jean, Jean Paul, Ménélas alias Ayiti, Reynold ainsi connu, René Sajous, Santiague, Gasner Siméon, Vitey ainsi connu, Merceron alias Guantanamo.
     
  3. Les citoyens, disparus en 1976 et rapportés par Raymond Davius dans sa déposition du 18 avril 2013, étaient les suivants: Jean-Claude Alexandre alias Blanco, Macéna Anibot, Renel Baptiste, Justin Bertrand, Ronel Bertrand - le fils de Justin Bertrand -, Blanc Paul, André Bien-Aîmé, Gérard Blanco, Jean-Claude Baucicaut, Joseph Brignol, Noly Buron, Gilbert Cadostin, Muscadin Cajuste, le pharmacien Camille Sébastien, Horace Daccueil, Guélot Daccueil, le prêtre français Albert De Smet, Raphaël Delva, Archer Denis, Cadeau Jean Dérisié, Ambroise Desravines, Serge Donatien, Clotaire Dorneval, Paul Donneur, Ronald Duchemin, Oveze Duquesne, Rameau Estimé, Wilterne Estimé, le professeur Jésulmé Eugène, Exante ainsi connu, Servilus Exantus, Pierre Féquière, Marie Thérèse Féval, Marie Thérèse Gasner, Henri Jean, Morency Jean, Kesnel Jean, Joseph Jean, Théocel Jean, Maurace Jean-Baptiste, Antonio Jean-Baptiste, Lucio Jules, Oswald Jules, Hébert Liautaud, Lener Livert, Chéry Louissaint, Gérard Michel, Milfort alias Joe Malaka, Yves Musac, Jean-Marc Nérestant, Jacques Paul, Luc Pierre-Paul, Pipirit ainsi connu, Dès Prédestant, Eddy Price, Jean-Louis Roy, Jean Robert alias Dérécul, Raymond Saint-Louis, Luc Saint-Vil, Jean-Pierre Saint-Vil alias Ti Dyab, Saladie Thélusmond, Tony Thélusmond, le médecin Watson Telson, Ténor Auguste, Antoine Templier, Jean Rifla Vasseau, Romulus Vilbrun, Pierre Michel Vital, Wellington Élie.

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26 avril 1963- 26 avril 2013: 50 ans
Témoignage de Maryline Bogat Vorbe

Le Nouvelliste | Publié le :25 avril 2013

Il était 8h du matin, ce 26 avril 1963, quand un commando de macoutes pénétra dans la cour de madame Eric Tippenhauer, à la recherche de son époux. Argumentant du mieux qu'elle pût avec les bourreaux pour les convaincre de l'absence de son mari et de ses deux fils, Rudy et Ricot, les macoutes décidèrent de piller la maison. Une fois l'acte de vandalisme accompli, les macoutes se précipitèrent chez Lilian Dufanal, à Laboule, où se trouvait Eric Tippenhauer. Les deux fils venus alerter leur père, arrivèrent au même moment que les macoutes qui embarquèrent le père, ses deux garçons et madame Dufanal.

Quand les nouvelles de l'arrestation et des conséquences sur sa mère qui devint folle parvinrent aux oreilles de la fille d'Eric, Guerda, alors sur le point d'accoucher, le choc provoqua chez la parturiente une crise d'éclampsie qui devait lui coûter la vie, mettant ce jour-là au monde une orpheline.

Suite à ce drame, le reste de la famille prit le parti de s'exiler. Lors de leur départ, alors qu'ils passaient le service d'immigration, un officier de ce département, ayant reconnu leur nom sur la fameuse liste noire, se déplaça de derrière son bureau pour venir coller au visage d'un garçon de 5 ans, neveu des disparus, une cigarette à l'embout allumé.

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26 avril 1963- 26 avril 2013 : 50 ans 26 avril 1963 .
Je me souviens

Le Nouvelliste | Publié le :24 avril 2013
Roger Nicolas

J'avais 17 ans. J'habitais le quartier du Bois-Verna. Chaque matin, pendant les jours de classe, je me rendais à pied à Saint-Louis de Gonzague où j'étais à l'école, en classe de seconde. C'était apparemment un jour comme les autres. Sauf qu'à cette époque, il n'y avait pas de jours normaux. On ne vivait pas dans un pays normal.

Depuis près de 6 ans, François Duvalier était au pouvoir. Il avait développé un système de gouvernement dictatorial basé sur la peur, l'arbitraire, et qui avait pour seule finalité son maintien au pouvoir à tout prix. Pendant toutes ces années, il avait traversé toutes les épreuves, vaincu toutes les attaques directes et indirectes, ainsi que les tentatives d'invasion d'opposants, réglé à son avantage son conflit avec le voisin dominicain. Il avait traversé des grèves d'étudiants, arrêté ou éliminé quelques leaders, acheté certains meneurs lâches et calmé les revendications estudiantines.

Internationalement, alors que Kennedy prônait la démocratie dans la région, Duvalier n'avait pas inclus ce mot dans son vocabulaire et dans ses pratiques. Il avait développé une posture anticommuniste qui faisait pendant à la position de Castro à Cuba, et les Etats-Unis en fait, sinon appuyaient, du moins acceptaient Duvalier comme un moindre mal pour eux.

Pour asseoir son pouvoir, Duvalier avait créé le corps des VSN, les Tontons Macoutes, qui faisaient contre- poids à la puissance traditionnelle de l'armée. Il avait commencé à démanteler l'armée traditionnelle, révoqué un grand nombre d'officiers jugés critiques à son endroit et commençait à les remplacer par des officiers dont l'idéologie était proche du macoutisme. Beaucoup de gens déjà, surtout des professionnels, avaient choisi l'exil. Mon père était l'un de ceux-là. Je ne l'avais pas vu depuis près de trois ans. Il travaillait au Congo.

Ce 26 avril 1963 n'était sûrement pas un jour normal. Radio Progreso, de Cuba, que je captais le soir, sur ondes courtes, tapi dans ma chambre, avait fait état d'arrestations et de disparition de militaires. J'avais entendu dire, entre deux chuchotements, que certains officiers amis, proches de la famille, se cachaient.

Ce matin du 26 avril 1963, première semaine du troisième trimestre, je crois que c'était un vendredi, j'ai pris la route de l'école en compagnie d'un ami. Après être descendu sur le Bois-Verna, avoir traversé Petit-Four, nous longions le Champ de Mars. Il arrivait souvent qu'au moment où on passait devant le palais, sortait la grosse voiture noire emmenant deux des enfants Duvalier, Jean-Claude et Ti Simone, à l'école au collège Bird. Ils devaient avoir 11-12 ans, mais étaient tellement gros que quand ils étaient affalés à l'arrière de la voiture, on ne voyait pas les pneus arrière, et quand l'un des deux était absent, la voiture penchait d'un côté. C'était assez comique de les voir aussi bouffis, gras, obèses. A l'époque, l'enfant, l'adolescent haïtien était plutôt chétif.

Ce matin du 26 avril 1963, nous n'avons pas vu la voiture sortir. Il y avait cependant beaucoup de mouvement dans la cour du palais. Sans deviner ce qui se passait, nous avions accéléré le pas, continué notre chemin, traversé le coin du collège Bird rapidement et atteint la cour de Saint-Louis. Dès la montée du drapeau, nous entendons les tirs nourris de mitrailleuses au loin. La rue du Centre devenait subitement très active. Brouhaha, klaxons. Je ne crois pas qu'on a eu cours ce matin-là. Il n'y avait pas de téléphone à l'époque mais le bruit courait très vite qu'il y avait eu un attentat contre Jean-Claude devant le collège Bird. Je me demandais si c'était après mon passage. De temps en temps, un parent ou un chauffeur venait chercher un élève, surtout les enfants des duvaliéristes de la classe. A 11 heures, un communiqué de l'Education nationale annonçait la fermeture de toutes les écoles sans préciser la date de réouverture.

Je ne m'imaginais pas que ce 26 avril serait mon dernier jour de classe à Saint-Louis et en Haïti. A l'extérieur, c'était la pagaille. Tout le monde courait dans tous les sens avec comme seul objectif: rentrer chez soi et débarrasser la rue. Dans un premier temps, j'ai essayé d'aller au collège Bird afin de récupérer mes deux petites soeurs. J'avais également des cousins et cousines dans cette école, mais j'ai dû vite déchanter, car c'était impossible. Les macoutes, plutôt agressifs, bloquaient les issues et empêchaient toute intrusion vers l'école. Il fallait que je rentre chez moi. J'ai pu enfin trouver un taxi collectif bondé, un «laligne», qui a accepté de me déposer à la ruelle Berne, après avoir refusé, sans que je comprenne pourquoi, les courses en direction du Bois-Verna et de la ruelle Jérémie.

Petite histoire comique que je me rappelle en ce jour de chaos : je n'avais pas les 50 centimes de la course de taxi. Je me promenais depuis un certain temps avec un billet de deux gourdes en poche, mais que tous les marchands à qui j'avais essayé de le refiler avaient refusé éinergiquement. Ma grand-mère aurait dit qu'il était sûrement passé dans la bouche d'un boeuf. Deux gourdes, c'était presque la fortune quand on pense qu'un Fresko, un Fruti Bar se vendaient à 10 centimes, 3 cigarettes Splendid à 25 centimes, une séance de cinéma, un samedi, coûtait 95 centimes et 5 petites surettes blanches enveloppées dans un sachet, 5 centimes.

Dans le taxi bondé, personne ne pipait mot. Tout le monde était soucieux. Même le chauffeur ne disait rien. Il faut dire que pendant cette période, on ne parlait pas avec des inconnus. On avait peur de tout, peur des espions, peur des macoutes. Même au sein de la famille, on parlait en chuchotant.

Le taxi grimpait péniblement Lalue, à travers des embouteillages inhabituels. Des jeeps de macoutes et de gendarmes circulaient dans tous les sens. Parfois, on arrêtait le taxi pour vérifier le visage des occupants. Au coin de la 2e ruelle Jérémie, il y avait deux corps sur le trottoir. Je devais apprendre plus tard que l'un d'entre eux était le père de bons amis. Il n'était heureusement pas mort. Arrivé à la ruelle Berne, comme prévu, le chauffeur refusa mon billet de deux gourdes, mais comme j'étais un peu du quartier, j'ai pu trouver les 50 centimes de la course.

En voulant descendre au Bois-Verna, j'ai été repoussé brutalement par une équipe de macoutes à la mine patibulaire, qu'on sentait tendus et qu'il valait mieux ne pas énerver. Toute discussion était impossible. J'ai quand même eu le temps d'apercevoir une épaisse fumée noire qui venait du bas du Bois-Verna. Pour arriver chez moi, j'ai emprunté la rue des Marguerites, Turgeau, et par l'avenue du Travail, j'ai sauté quelques murs de clôture pour atteindre l'arrière de chez moi. J'ai retrouvé ma mère et mes deux soeurs qui avaient pu être déposées par un parent ami. Toute la famille m'attendait. Ma mère avait préparé une valise au cas où nous aurions dû évacuer la maison.

C'est à ce moment-là que j'appris que les macoutes avaient incendié la maison Benoît, qui se trouvait à moins de 100 mètres de la nôtre. Des flammes avaient atteint notre maison mais sans faire de dégâts. A mon arrivée, les incendiaires étaient encore là, mais apparemment, ils avaient fini leur sale boulot. Les incendiaires étaient devenus pompiers. Ils avaient déroulé plusieurs tuyaux d'incendie jusqu'à une bouche d'incendie qui se trouvait du côté de l'Impasse Lavaud. Apparemment, ils avaient reçu l'ordre de faire vite et de tout nettoyer. Ce qui était impossible, car ils avaient incendié la maison après avoir mitraillé toutes les personnes qui s'y trouvaient, en majorité des personnes âgées et des enfants, parents de François Benoît, jeune lieutenant de l'Armée d'Haïti à qui ils voulaient faire porter le chapeau du prétendu attentat, sous le fallacieux prétexte qu'il était un tireur d'élite.

Une autre version concernant cet attentat manqué ou cette tentative de kidnapping de Jean-Claude Duvalier impliquait Clément Barbot, un ancien allié de Duvalier qui menait de temps en temps des actions armées contre les macoutes. C'était apparemment le principal opposant dangereux de cette époque. Les macoutes avaient peur de lui, car on lui prêtait des pouvoirs surnaturels. Il pouvait se transformer en animal. Plusieurs bourriques, mulets, chiens, chats, perdirent la vie, victimes de la bêtise duvaliériste.

La version la plus plausible de cet attentat semble être plutôt un coup monté par Duvalier lui-même pour pérenniser son pouvoir. Il lui fallait frapper un grand coup, en vue d'échapper à l'obligation d'organiser les élections. Et il fallait que ce soit inattendu et brutal.

Ce matin du 26 avril 1963, Duvalier lâcha ses chiens. Personne ne sait jusqu'à présent combien de gens furent assassinés ce jour-là. On parle de plusieurs milliers, mais peu de cadavres, car la plupart des gens furent arrêtés et éliminés dans des lieux inaccessibles, tel Fort-Dimanche. La majorité des parents des disparus n'ont jamais pu faire leur deuil.

Duvalier avait réussi son coup dans le sang des innocents. Il consolida son pouvoir, se proclama président à vie et organisa la passation des pouvoirs à son fils quand il sentit sa mort venir en 1971. Mais tout a une fin. En février 1986, Jean-Claude Duvalier fut renversé et dut prendre le chemin de l'exil.

Le macoutisme n'était pas mort pour autant. Le 26 avril 1986, 23 ans après, ce qui restait de l'armée macoute tira sur les manifestants qui voulaient demander justice pour les victimes du 26 avril 1963."

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Il y a 50 ans

Le Nouvelliste | Publié le :25 avril 2013

Parmi les innombrables victimes du 26 avril 1963, l'une des journées les plus macabres de l'histoire d'Haïti, il y a lieu de signaler un homme, un bon vivant selon l'opinion de plus d'un. Un accident, une personne ciblée, un crime odieux et crapuleux, Lionel Fouchard fut, en tout cas, victime de balles assassines suite à un mot d'ordre de François Duvalier.

Lionel Fouchard (26 mai 1935-26 avril 1963) laissa tomber ses études classiques à Saint-Louis de Gonzague pour apprendre la mécanique et la ferronnerie à J.B. Damiers. En 1953, il part se spécialiser en mécanique diesel à Rimouski, au Canada. De retour au bercail, il fut professeur à J.B. Damiers pendant un an en 1954. En raison de ses connaissances en mécanique diesel, le colonel Bayard l'encouragea à s'inscrire à la Marine haïtienne en 1955. Après une formation de trois mois, il devint officier des gardes côtes et parvint au rang d'enseigne de vaisseau et au grade de lieutenant.

En mars 1957, suite à une altercation avec un autre militaire autour d'un meeting de Louis Déjoie, il fut convoqué au quartier général de l'armée. Accompagné de son père, Lionel Fouchard signa sa démission en présence du général Cantave. Il s'adonna donc à la mécanique, ses voitures étaient puissantes et trafiquées, il excellait dans tout ce qui était manuel et vendait aussi des tableaux d'artistes contemporains. Aimé et respecté de tous, il était l'aîné de sa famille. Son père Daniel Fouchard était doyen du tribunal civil de Port-au-Prince.

Au cours de la journée du 26 avril 1963, Lionel Fouchard devait véhiculer chez le médecin la femme de son bon ami et associé Issa Saba, qui était enceinte de sept mois environ. A la rue Saint-Cyr se trouvait la résidence d'une maîtresse de Gracia Jacques, le commandant de la garde présidentielle de Duvalier. Un des gendarmes assigné à la sécurité de cette maison somma la voiture de s'arrêter. Soit que les freins n'ont pas répondu sur le champ, soit que selon sa famille, il conduisait les pieds nus et s'était baissé pour mettre ses sandales, l'ex-lieutenant Fouchard fut atteint d'une balle à la tête. Son corps inanimé se pencha vers la gauche et resta appuyé contre la portière qui était ouverte.

Selon le témoignage du dentiste Férrère Laguerre, dont la clinique se trouvait exactement en face de la scène du crime, et d'après les témoignages de quelques résidents du quartier, apeurés certes, mais suivant discrètement derrière les 'vasistas', et qui en observaient le déroulement, il y eut le tir du gendarme qui avait d'abord blessé le conducteur à l'épaule et dont le trou fut observé sur le siège où se tenait madame Saba. Il y avait aussi dans la voiture un employé de M. Fouchard, plombier semble-t-il , qui au moment de l'arrêt du véhicule se dissimula entre les sièges. Toutefois, sous peu arriva un plus haut gradé de l'armée qui reconnut le blessé, l'ex-lieutenant «Pitit jig Foucha», aurait-il dit. Après de brèves échanges, ce haut gradé tira son arme et il visa...

La rue demeura bloquée par les tenants du pouvoir et le cadavre resta appuyé contre la portière jusque dans l'après-midi quand une ambulance de l'Armée dénommée 'chalan' vient récupérer les corps des victimes. Les gendarmes qui avaient tiré n'avaient pas agi par hasard, ils ont répondu à une pulsion, qui, elle-même, répondait à un mot d'ordre de François Duvalier.

Moins de deux semaines auparavant, Duvalier avait fait exécuter Charles Turnier et révoqué près de 70 officiers des Forces armées sous prétexte de complot. Le vendredi 26 Avril 1963 vers 7 heures 30 A.M., la voiture qui emmenait deux des enfants de François Duvalier à l'école, Jean-Claude et Simone, fut mitraillée devant le Collège Bird à la rue de l'Enterrement à Port-au-Prince. Le chauffeur et les deux gardes de corps des enfants furent tués, et les enfants rapidement évacués. Il s'agissait d'un pseudo attentat sur fond d'enlèvement de ces enfants pour justifier la répression qui allait s'ensuivre.

Lors de la fusillade, certains partisans du régime avaient cru reconnaître l'officier François Benoît en lieu et place de Clément Barbot, ce dernier venant d'être relâché après 18 mois de prison. François Benoît, Monod Philippe et une poignée d'officiers excellaient au tir, et ils avaient récemment remporté des compétitions internationales. Duvalier ordonna l'extermination des Benoît au Bois-Verna; ce qui fut fait. F. Benoît eut le temps de se réfugier à l'ambassade dominicaine; la quasi-totalité de cette famille Benoît fut sacrifiée, et la maison incendiée le 26 avril 1963.

«Le mot d'ordre formel du Palais national se résumait ainsi: tout ancien officier rencontré, nonobstant sa nuance épidermique, devait être froidement abattu. Alors, à la fin de cette journée sanglante, des cadavres d'ex-militaires gisaient partout, en pleine rue.», précise Jean Florival, dans Duvalier - la face cachée de papa doc, Québec, 2007, p. 135. Ce gendarme qui avait dégainé et assassiné Lionel Fouchard, âgé de 28 ans, n'avait-il pas reconnu l'ex-militaire dans cette ville démographiquement sereine à l'époque, et où tout le monde, soldats y compris, se connaissait ou se voyait? Le soldat qui avait visé et tiré précisément en direction de la tête le fit cyniquement et en connaissance de cause.

Madame Antoinette Saba, sous le choc, ne pouvant rien articuler, perdit l'usage de la parole pendant longtemps et, de surcroît, elle perdit aussi l'enfant qu'elle portait. L'ouvrier attaché à M. Fouchard s'en sortit de même traumatisé. Le 9 avril 1960, Lionel Fouchard épousait Denise Magloire. Avec son assassinat survenu le 26 avril 1963, il avait laissé sa femme enceinte de 4 mois de sa fille Christine, Marie Louise âgée de 1 an 4 mois, et Martine âgée de 2 ans 1/2 ; sa mère Carmen, son père Daniel, et ses frères et soeur Jean-Claude, Michèle, Alix et Daniel fils.

Le cadavre de Lionel était à la morgue de l'hôpital général pendant le reste de la journée. Après bien des démarches au niveau du corps médical, il fut identifié par sa belle-soeur, Dr Nicole Magloire, qui confirma les deux orifices : une à l'épaule gauche et l'autre à la tête. Cependant, dès le lendemain, le corps fut enlevé récupéré par les assassins du régime, puis fut à jamais porté disparu. Le corps n'a pu jamais être retrouvé en dépit des recherches effectuées par sa famille. François Duvalier fit savoir au Juge Fouchard qu'il n'y avait pas lieu de s'inquiéter, que son fils allait bien et qu'il s'agissait de procédures militaires, que son fils allait lui être rendu tantôt, d'après une communication du Juge à ses petits-enfants...

Sur des conseils avisés, Daniel Fouchard, promu juge à la Cour de cassation, et sa famille comprirent qu'ils ne reverraient jamais leur fils Lionel et jugèrent prudents de partir pour l'étranger.

Sans le corps physique, sans l'inhumation, toujours dans l'expectative et dans un espoir flou, la perspective d'un retour de Lionel Fouchard des geôles de Duvalier hanta sa famille pendant de nombreuses années. JL

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