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Allocution du Vice-recteur à la Recherche 10 Octobre 2011 Exposition: HAÏTI - 2000-2011 Photographies de Roberto Stephenson |
Au nom du Conseil Exécutif de l’UEH, je suis très heureux de procéder, en collaboration avec l’Université Laval et en partenariat avec la Chambre de Commerce et d’Industrie d’Haïti et l’Association Touristique d’Haïti, à l’ouverture du colloque sur le Patrimoine, le Tourisme et le Développement Durable.
Heureux de l’occasion qu’offre ce colloque d’aborder ces trois notions dans leur définition, leur sens véritable, leur portée, leurs implications mais aussi leurs imbrications, leurs interrelations.
Pour nous en Haïti qu’évoque la notion de Patrimoine?
Comment mettre le tourisme au diapason de la valorisation de notre Patrimoine?
Quel rapport avec le développement durable?
Etymologiquement, la notion de Patrimoine réfère à l’ensemble des biens hérités du père, des parents, de la famille par extension.
Le patrimoine fait donc appel à l’idée d’un héritage légué par les générations qui nous ont précédées et que nous devons transmettre au moins intact, ou mieux enrichi, aux générations futures. Il relève du bien public, du bien commun.
Ainsi, pour le bien des héritiers, il faut protéger l’héritage, le valoriser, le faire fructifier.
Pour nous en Haïti qu’est-ce que cela implique?
Nous oublions souvent que nous sommes les héritiers de l’une des trois plus grandes révolutions mondiales. La plus importante, la plus complète celle qui a le plus marqué l’histoire universelle, la première et la seule révolution antiesclavagiste triomphante, la seule à reconnaitre une égale humanité à tous les hommes.
Le patrimoine légué à cette occasion, c’est ce sens de l’autodétermination des peuples, cette idée de liberté, de l’égalité entre tous les hommes que nos pères ont porté tant par les principes que par l’action dans tous les coins et recoins de nos 27,750 km2 et même au delà et dont témoigne encore de manière éloquente des fortifications, des palais royaux, des sites et lieux de combat et toute la mémoire de ces batailles héroïques et de ces noms évocateurs comme la Crête à Pierrot, la Ravine à Couleuvre, Vertières, etc.…
Le patrimoine légué c’est aussi ce sens de la solidarité et la fraternité humaine, cet internationalisme avant la lettre qui nous ont conduit à travers tout le continent, des Etats Unis au Brésil, du Venezuela à l’Equateur, de la République Dominicaine à la Colombie et plus loin encore en Grèce et plus tard jusqu’en Lybie et jusque sur le continent africain.
Le patrimoine c’est aussi cette langue nationale, le créole, forgée dans la nécessité, dans le besoin, dans la résistance, dans le refus de la servitude, dans la quête d’identité et qui constitue aujourd’hui le ciment qui unit tous les Haïtiens comme le reconnait notre Charte Fondamentale.
Le patrimoine c’est notre manière particulière d’approcher le sacré, notre vision spécifique du cosmos, notre rapport à Dieu, notre manière particulière de vénérer nos morts. Ce sont nos contes chargés de leçons ; nos chants, nos danses, notre musique, notre peinture qui témoignent de notre vitalité en tant que peuple, qui disent à la face du monde notre philosophie de la vie, notre conception du monde qui veut que «Celui qui porte atteinte au bonheur de l’autre porte atteinte à son propre bonheur». Ou encore «l’intégrité de chacun dépend de celui de l’autre».
Mais c’est aussi tous ces savoirs, tous ces savoirs faire, toutes ces connaissances éprouvées et mise en œuvre chaque jour dans le domaine de la médecine, dans le domaine de l’agriculture, dans le domaine de la construction et qui ne demandent qu’à être identifiés, systématisés, valorisés et enrichis.
C’est aussi toute cette tradition juridique particulière de notre droit informel qui règle les relations entre les membres de la communauté, loin du droit officiel, loin du droit importé, ce droit coutumier qui déjà bien avant la Convention Internationale des Droits de l’Enfant avait reconnu dans les faits que «tout timoun se timoun».
Le patrimoine c’est aussi nos grottes, nos cours d’eau, nos sources, nos chutes d’eau, nos forêts, nos parcs naturels, notre extraordinaire biodiversité faune et flore, aquatique et terrestre.
Notre patrimoine c’est aussi tout cela et plus encore.
Aujourd’hui en 2011, n’est-il pas loisible de nous demander: qu’en avons-nous fait?
Qu’avons-nous fait de ce patrimoine riche, précieux, immense.
Qu’avons-nous fait de ce pays promoteur de toutes les libertés, artisan de multiples libérations, champion toute catégorie du droit à l’autodétermination?
Qu’avons-nous fait de ces témoins de notre plus grand héritage que sont nos fortifications, nos palais, ces sites de batailles historiques?
Connaissons-nous la maison de Toussaint à Ennery, la maison de Dessalines à Marchand?
Quel est le sort que nous faisons à notre langue nationale? Nos chants, nos danses, nos contes, notre musique sacré et profane, comment les traitons-nous?
Ne nous arrive-t-il même pas d’avoir honte d’une bonne partie de ce patrimoine?
Il arrive trop souvent que ce patrimoine soit méprisé, délaissé voire combattu par les élites, notamment le patrimoine culturel : médecine traditionnelle, vaudou, musique racine, créole, etc.… Mais en outre, cette élite tend à rendre unilatéralement responsable de la destruction du patrimoine matériel historique les couches pauvres de la population en oubliant qu’elles ont été maintenues dans l’ignorance, la misère et la crasse. En oubliant aussi que ce sont les couches populaires les principales gardiennes d’une bonne partie du patrimoine immatériel.
A l’occasion de ce colloque sur le Patrimoine il est essentiel de nous poser toutes ces questions. Et la plus brulante d’entre toutes sommes-nous de bons héritiers?
Il est heureux que ce colloque porte également sur le tourisme et sur le développement durable. Mieux encore que le tourisme soit lié au patrimoine. Cela pourrait contribuer puissamment à améliorer notre approche de ce facteur de rapprochement des peuples.
Traditionnellement, quand nous évoquons le tourisme et quand nous parlons de politique touristique nous voyons surtout la construction des routes qui mènent aux plages, la folklorisation de certains aspects de notre culture et de notre patrimoine, la construction d’hôtels, etc.…
Nous pensons essentiellement a un ensemble d’investissements non pas parce qu’il faut améliorer le cadre de vie général de la population, non pas pour que la population valorise sa culture, ses pratiques positives, ses savoirs, ses savoir-faire mais parce qu’on veut attirer à tout prix des visiteurs. Même si par ailleurs les rues sont sales et que les troupes étrangères et leurs chars de guerre y maintiennent une ambiance d’anomalie propre à faire fuir tout visiteur en quête d’un environnement serein, source potentielle d’enrichissement intellectuel et culturel.
Dans cette perspective, la liaison patrimoine-tourisme dans le cadre de ce colloque est prometteuse car elle nous montrera la voie la plus sure et la plus durable pour promouvoir un développement touristique authentique et non artificiel.
C’est quand le pays sera rendu attrayant, les inégalités atténuées, l’héritage valorisé, que des visiteurs seront véritablement attirés par ce cadre riche de culture, d’histoire et de beauté.
Autrement dit, le développement durable exige de partir de ce qu’on a, de le moderniser, de l’enrichir, de puiser dans le patrimoine universel sans rejeter ce qui nous est propre.
Le patrimoine doit d’abord être mis au service des héritiers, servir à la connaissance de nous-mêmes, de nos racines, de notre histoire (la vraie), à la connaissance aussi de notre propre pays. Un pays si étudié par les autres! Cette connaissance d’un legs aussi important peut contribuer à nous rapprocher dans un désir de vivre ensemble, de progresser ensemble, de chercher notre mieux-être collectivement.
Car, développer le tourisme ne saurait commencer par les routes proches de la plage et les hôtels. Construire un cadre de vie agréable pour soi, retrouver sa dignité de peuple sont des conditions indispensables pour un patrimoine protégé, valorisé dont la richesse naturelle culturelle, historique et artistique sera partagé avec d’autres, les touristes de demain.
Nous voila donc partis pour un excellent colloque qui, de manière significative, intervient deux semaines après la tenue d’un autre sur notre langue nationale, le créole. Comme pour dire le ferme engagement de l’UEH à la promotion de tous nos facteurs d’intégration nationale. A ce sujet, il n’est pas sans intérêt de se rappeler ce mot de l’Oncle, le Dr. Jean Price Mars, qui disait: «C’est grâce au créole que nos traditions orales existent, se perpétuent et se transforment et c’est par son intermédiaire que nous pouvons espérer combler le fossé qui fait de nous et du peuple deux entités apparemment distinctes et souvent antagonistes».
Nous pourrions en dire de même pour la plupart des autres aspects du patrimoine déjà mentionnés.
Aux porteurs principaux du colloque, les professeurs Wilson Laleau et Laurier Turgeon, le ministre Laleau qui, jusqu'à récemment encore, était notre Vice-recteur aux Affaires Académiques, à la direction et au personnel du Programme de Maitrise en «Histoire, Mémoire et Patrimoine» de l’UEH, à tous ceux qui ont été impliqués dans la préparation de cette importante manifestation scientifique, nous présentons nos plus vives félicitations.
Nous nous réjouissons de notre collaboration avec l’Université Laval qui se prévaut maintenant d’une histoire déjà trentenaire et qui au fil du temps s’amplifie, s’étend et se prolonge avec bonheur.
Nous nous réjouissons également du partenariat avec la Chambre de Commerce et d’Industrie d’Haïti et l’Association Touristique d’Haïti en espérant qu’ils soient durables.
Toute notre gratitude à nos intervenants, aux modérateurs et présidents de séance, à nos collègues de l’Université Laval et à tous les participants.
Au nom du Conseil Exécutif de l’UEH je déclare ouverts les travaux du colloque «Patrimoine, Tourisme Culturel et Développement Durable».
10 Octobre 2011
Fritz Deshommes
Vice-recteur à la Recherche