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Accord/MIT- L'Etat haïtien/Le créole haïtien

«Contradiction au plus haut niveau de l'État»

Robenson Geffrard

Le Nouvelliste | Publié le 14 juin 2013

Alors que le gouvernement a signé, en avril dernier, un accord avec Massachusetts Institute of Technology (MIT) sur l'apprentissage en créole des sciences et des mathématiques dans le système éducatif haïtien, le président Michel Martelly a fait objection à une loi relative à la formation de l'Académie du créole haïtien. Pour le professeur Michel Dégraff de MIT, il s'agit là d'un acte contradictoire de la part des autorités.

Michel Dégraff est confus. Le professeur à Massachusetts Institute of Technology (MIT) n'arrive pas à comprendre comment un seul et même gouvernement peut, à la fois, prendre deux décisions qui soient contradictoires l'une par rapport à l'autre. Pour avoir signé à Boston le 17 avril dernier avec le ministre de l'Education nationale, en présence du Premier ministre, un accord sur l'apprentissage en créole des sciences et des mathématiques en Haïti, il est étonné de voir le chef de l'Etat faire objection à une loi sur l'établissement d'une académie sur la langue créole.

Interrogé par Le Nouvelliste en exclusivité le 30 mai dernier à l'occasion de la 18e édition de Livres en folie, le professeur Dégraff qui était venu cosigner l'ouvrage sur l'Académie du créole haïtien, un document réalisé sous la direction de Renauld Govain, a indiqué que l'objection du président Martelly, «... montre qu'il y a une hypocrisie dans la société. En parole, on veut qu'il y ait deux langues officielles, mais dans la pratique c'est le français qui prédomine».

«Lorsque le Premier ministre Laurent Lamothe avait été signer cet accord avec nous à MIT, il nous avait laissé comprendre qu'un effort se fait au niveau du gouvernement pour promouvoir le créole. Je vais continuer à participer à cet effort...», a-t-il dit.

Le fait que le texte est voté uniquement en créole au Parlement, c'est la principale raison avancée par la présidence pour justifier l'objection de Michel Martelly à la loi relative à l'Académie du créole. Pour le professeur Dégraff, cette raison n'est pas valable. «Si vous regardez l'amendement de la Constitution, il est voté uniquement en français, il n'y a aucune version créole du document. Donc, pourquoi ne peut-on pas voter aussi la loi sur l'Académie du créole haïtien uniquement en créole?», s'est-il questionné perplexe.

Les initiateurs de l'Académie du créole haïtien ont indiqué au Nouvelliste que la version française avait été aussi envoyée au Parlement pour être votée, tout en soulignant que la raison évoquée par les autorités pour faire objection à la loi ne tient pas.

Le professeur Dégraff n'a vraiment pas mâché ses mots pour dénoncer l'hypocrisie qui existe non seulement au plus haut niveau de l'Etat, mais aussi chez les intellectuels face à la langue créole. «Il y a des gens dans l'Académie créole qui ne présentent que des discours en français, a-t-il dénoncé. Quant au ministère de l'Education nationale qui dit promouvoir le bilinguisme équilibré, ses publications sur l'internet sont surtout faites en français...»

Il faut changer cette attitude qui demande l'implication de tout le monde, a-t-il indiqué. «Regardez autour de vous à Livres en folie, la quasi-totalité des ouvrages sont écrits en français. Nous voulons un pays en français alors que nous sommes en créole. C'est de cela qu'on doit se guérir. C'est un mal national...»

Une fois la loi y relative publiée par l'exécutif, l'Académie du créole haïtien sera une référence dans l'écriture de la langue créole et donnera une reconnaissance aux productions en créole telles que les grammaires, les dictionnaires, entre autres, qui existent déjà. Elle permettra également d'élaborer les règles pour l'écriture de la langue et promouvra aussi la production scientifique.

L'accord signé à Boston entre les responsables de Massachusetts Institute of Technology (MIT) et le gouvernement haïtien porte sur la formation des maîtres en Haïti et l'apprentissage de plusieurs sciences, notamment des mathématiques dans la langue créole. Le Premier ministre Laurent Lamothe avait dit compter en profiter pour donner l'occasion à des jeunes Haïtiens d'aller étudier dans ce prestigieux institut. «Cet accord nous permettra d'avoir des bourses pour des Haïtiens au niveau de la maîtrise», a- t-il indiqué au Nouvelliste.

Formé en créole, un enfant haïtien apprend 60 mots par minute contre 25 quand il est formé dans la langue française, selon le professeur Michel Dégraff, responsable du projet «Kreyol-based and Technology-enhanced STEM education» qui vise à développer et évaluer des outils technologiques en créole pour l'apprentissage des sciences et des mathématiques en Haïti.

Tout en félicitant la présence du Premier ministre à MIT et la signature de l'accord, Michel Degraff avait indiqué au Nouvelliste que l'utilisation des outils dans l'apprentissage des sciences en créole aura beaucoup de bienfaits dans la performance des élèves et étudiants haïtiens. Il avait souligné que le protocole consiste à intégrer dans le système éducatif haïtien les outils des nouvelles technologies dans l'apprentissage.

Pour le professeur, il n'est pas normal que la majorité des Haïtiens ne parlent que le créole alors qu'ils sont formés dans une autre langue qu'ils ne connaissent pas. «L'apprentissage en français est un obstacle pour l'élève haïtien», soutient-il, arguant qu'on apprend mieux quand on est formé dans une langue qu'on maîtrise.

Le ministre de l'Education nationale et de la formation professionnelle, qui a signé l'accord au nom d'Haïti avec les responsables de MIT, avait indiqué qu'il entend mettre maintenant l'accent sur la qualité de l'éducation. «Une équipe est constituée avec pour mission de travailler sur l'intégration de la technologie dans l'éducation qui est un élément incontournable dans le renforcement de la qualité de l'éducation dans le pays», avait déclaré Vanneur Pierre. Il s'était réjoui du fait qu'avec la signature de cet accord, le MIT s'engage à mettre à la disposition du ministère de l'Education nationale tous les outils dont il dispose pour l'apprentissage et l'enseignement des sciences en créole. Les professeurs de MIT animeront également des séances de formation pour des enseignants haïtiens qui, en retour, auront à former d'autres membres du système éducatif."

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