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L’Univers poétique
de Marcien CONSTANT

Par

Saint-John Kauss

Marcien Constant

Le poète Marcien Constant naquit à Camp-Perrin (Haïti), le 29 mai 1956. Il passa sa tendre enfance dans sa ville natale où il compléta ses études primaires. Après des études au niveau secondaire consécutivement dans les villes de Camp-Perrin, des Cayes et de Port-au-Prince, il entreprit des études de génie civil et d’architecture à l’Institut Supérieur Technique d’Haïti entre 1978 et 1982. Il émigra aux États-Unis en 1984 où il poursuivit des études de génie civil à la City University of  New York (CUNY) et à Pratt Institute jusqu’en 1989. Après dix ans dans cette ville (New York), il déménagea à Montréal (Canada), où il vit depuis. Il y acheva son périple académique au Collège Herzing (Montréal) en technologie de l’information et administration de réseau. Cependant, les intérêts de cet homme pour le savoir-faire en général ne s’arrêtent nullement ici. Il est surtout un autodidacte. Au cours de sa vie, il s’est s’intéressé aux mathématiques, à la mécanique automobile, la plomberie, la charpenterie, la menuiserie, la littérature, l’électricité, et enfin à l’électronique. On comprend qu’il se construit lui-même son «système de son» en tant que mélomane et audiophile.

On ne s’étonne nullement aujourd’hui de le voir partager avec nous quelques poèmes. Il débuta d’ailleurs en écriture durant les années de l’école secondaire avec Illusions, un recueil de poèmes reflétant ses amours de jeunesse, ses rêves d’apprenti-patriote conscient, et les problèmes des jeunes de son temps. Autour de  ses vingt ans, il écrivit sa première pièce de théâtre, une œuvre inspirée et adaptée à l’haïtienne du film La Religieuse de Monza. Marcien Constant est l’un des tenants du surpluréalisme dés-illusionaire et engagé.

Depuis que la Poésie, le plus largement, la littérature nous oblige à "être soi pour les autres", nous nous interrogeons sur le plaisir d'écrire et d'être aimé, c'est-à-dire d'avoir à plaire à un public qu'on ne voit jamais et qui nous suit, observe par ses lectures et ses inclinaisons. L'idée de ce public qui se borne à éprouver notre totale autonomie, met en relief la question du zéro mental, lequel pousse certains à se dépasser, d'autres d'être plus près du postulat cartésien, le fameux Cogito. Ces deux états, d'intraduisibles amours, sont l'intuition de notre propre être. Car nous sommes seuls à nous comprendre. Mais celui qui écrit doit nécessairement avoir une source d'inspiration, même virtuelle. Des souvenirs de l'enfance, une rivière, une amie, le parc du quartier, l'école secondaire, le terrain de jeu, le cheval du paternel, doivent sérieusement se loger quelque part dans le  subconscient de celui qui pose l'acte d'écrire, sans le détourner de ses voix intérieures, ni s'interposer entre ses rêves et l'œuvre à créer.

Heureusement qu'il en est ainsi, que le hasard mental sied si bien avec la parole intérieure qui est d'une extrême valeur pour tout créateur. Cette parole intérieure qui mène à la possession de nous-mêmes, nous fait découvrir ce que nous sommes. Cette quête de notre essence, tant bien que mal qu'elle soit possible de nous rapprocher de l'objet principal, c'est-à-dire de nos propres desseins. Nos vœux, un élément opaque à capturer et à identifier, font intervenir entre nous et l'écriture la conviction de l'idée fixe et de l'épaisseur des pages à remplir. L'obligation sociale ou la raison du public fait également intervenir entre "nous et nous"  la satisfaction du désir des autres, de jouir de la littérature des autres. Le "Nous" idéal et incomplet est alors détourné et trahi dans ses fondements les plus immédiats, à savoir la pratique de ses fonctions sociales qui est de plaire à autrui, le "Nous" complexe et possessif.  Récitons le poète dans sa «Cantilène des seuils unis» (Éditions Conel, Montréal, 2012) :

«Longue elle est, l’autoroute de la vie
Elle mène partout et nulle part…»

                  (À mon fils Hugo, p. 32)

«Bats-toi, il est grand le désert infini
 De nos esprits perdus.»

                  (À mon fils Hugo, p. 33)

Le poète, transfuge des nuits montées aux barricades de la vie, juge les confiscations trop vagues et discrétionnaires, discute des échanges entre Dieu et les hommes, partage et conteste les injustices et alliances de la dernière heure du nouvel ordre mondial:

«Assis sur ton piédestal de trois sous
Et glorifiant ton Dieu
Tu verras s’écrouler sans étonnement
Les empires d’injustice...»

                 (Enfant de lumière, p. 29)

«Qui que tu sois tu connaîtras
Des nuits vides d’étoiles…»

     (La force de nos illusions, p. 39)

Le poète est un homme de partage, à partager entre les nuits timbrées d’aurores, concurrent des éléments d’espoirs et de confiance qui gisent sous la roulée des mots et des éclats de rêves pudiques.

«Je n’irai donc point au bal
 Danser la valse macabre des écervelés…»

                      (Fragments d’espoir, p.13)

 

«Tu es un homme, et rien de moins
Malgré la vie, malgré tes craintes
Tu es un homme, et rien de plus
Même si tu es riche, orgueilleux…»

                     (Un homme, p. 28)

Publier un ouvrage répond à des principes qui sont de livrer à un public une œuvre délivrée, autant que l'on peut, de la contradiction. Un livre est le résultat de la nécessité d'un tout, surtout d'un choix de dire notre intention brutale et primaire. Bref, un manuscrit déposé chez l’éditeur, puis chez l’imprimeur, est la résultante d'une vie, de ces pans de vie que l'on n'a pas choisis. Délivrer ce "Nous" éternel, dire tout ce que l'on a voulu dire, est déjà un acte de bravoure. Repoussons les ténèbres, Poète Marcien, et habitons le Rêve, le "Nous" vertigineux.

Qu’il en soit ainsi!

FRAGMENTS D’ESPOIRS

Quelle importance que je me meurs
Le monde se meurt la vie aussi
Regarde donc ces spectacles de désolations humaines
Les yeux qui se ferment par la force des intérêts mesquins
Les yeux qu’on crève car ils ont su voir
Les yeux futiles et incapables de voir
Regarde donc la servitude des êtres pitoyables
Pour ne pas dire qu’il existe encore
L’esclavage au siècle vingt et un

As-tu vu et fait quoi pour ces enfants
Enfants soldats qui meurent à la guerre
Ils n’ont pas eu le choix de jouer aux billes
Fillettes violées sous le poids de l’ennemi armé
Au lieu de jouer à la marelle

Comme toutes les autres fillettes du monde
Ouvre donc les yeux il est là devant toi
Celui qui meurt de faim
Parce que tu l’empêches de travailler
Oui pense un peu et tu sauras comment
Tu es devenu complice
Oui ils sont là injustices misères
Exploitations des forces du travail
Augmentation des richesses effrénées
Disparition ironique de classe sociale
Néo-libéralisme droite religieuse de merde
Gouvernements immoraux gouvernants vendus
Au service de la démocratie du capital
Récupération des révolutions
Corruptions sous les menaces du révolutionnaire
Aujourd’hui il n’est qu’un combattant sans armes
Où donc laissera-t-il sa famille
Tout le monde désormais a un prix
Ta vie ou ta famille tu choisiras ton prix
Le poète l’écrivain ne veut plus rien dire

Je n’irai donc point au bal
Danser la danse macabre des écervelés
Qui séparent et ingurgitent le sang encore fumant
Le sang de l’homme désarmé
Le sang du plus faible des humains
Qui ne sait plus comment lutter
Même pour sauver sa dignité
Que peut donc le javelot devant l’atome

Je n’irai pas au festin
Du plus fort des parvenus
Qui se fait servir
Le cœur des conquis comme plat de résistance
Et comme dessert
Les yeux crevés des foules inconscientes

O toi qui gardes encore ton cœur en écharpe
Quoique battu, écrasé, découragé
Cependant nullement vaincu dans ton âme
Je viens en guise de lune ou de soleil
Épingler à ton ciel obscurci d’Armageddon
Des fragments d’espoirs brillants
Ils seront ton guide
Pour t’emmener vers ton destin 
Ce destin ignoré des enfoirés

Ne va pas au marché des grands manitous
Vendre l’espoir de ton frère
A l’avenir déjà incertain
Va plutôt dire aux jeunes de ton pays
Que l’espoir n’est pas un vain mot
Qu’il se construit et qu’il s’élève
Triomphant, en tandem
Du cœur de chaque homme
Lorsqu’il est nourri, entretenu
À l’unisson.

                                                       
                               Hôpital Général de Montréal,
                                                 Juin 2011

 

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