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Si je ne lisais pas, |
Je viens d’un quartier où l'on avait toutes les peines du monde à se trouver du travail. Et pour cause, les hommes les plus utiles... Je dis même, à vue d’œil, me paraissaient les plus ingambes, passaient la majeure partie de leur temps à jouer aux dominos, au courant de sept heures du matin jusqu'à quatre heures de l'après-midi. Les femmes les plus loquaces, de leur côté, employaient la leur à se chamailler, se chercher des querelles. Celles qui avaient le plus grand respect pour leurs noms, se contentaient de se regarder de travers, se toiser l’une l’autre, au lieu d’en venir aux mains.
J'y ai vécu voilà déjà bien trop longtemps. Et, je ne vous cacherai pas que je prenais un malin plaisir à regarder ces algarades entre voisins. Je les trouvais forts divertissants au point que j’en faisais un compte rendu détaillé à ceux qui n’avaient pas eu le privilège de prendre part à ces rixes. Faut dire aussi que, côté amusement, ma vie n’était pas des plus agréables… c’était pour moi une forme de dérivatif, d’exutoire.
Bruyante, fracassante, la vie de ces gens pouvait prendre feu à tout moment; car il y avait des femmes mariées qui tiraient à boulets rouges sur des soi-disant demoiselles de petites vertus, des enfants qui braillaient à vous crever le tympan après des jouets que leurs parents ne pouvaient leur acheter, sans oublier les bonimenteurs, les petits escobars, les narrateurs de sales histoires qui s'attiraient une joie et un plaisir à narrer leurs prouesses sexuelles avec les belles jeunes filles du quartier. Un monde vraiment surréel. Tout cela paraissait fascinant, extraordinaire au jeune gamin que j’étais. Extraordinaire, mais aussi dangereux.
Il me fallait cependant me libérer de cet environnement. Et ce, pour deux raisons: la première, c'est que je ne voulais pas me retrouver sous un jet de pierres ou même recevoir des coups de poings sur la gueule. La seconde est ma mère qui n’arrêtait pas de me faire les gros yeux, parce que les femmes, lassées de se prendre tous les jours par le collet, s’invectivaient avec des grossièretés que les enfants ne doivent pas entendre. Alors, j’ai décidé de sortir de ce Capharnaüm, ce pandémonium. Je ne sortais plus de chez moi, sinon que pour aller à l'école. Une fois rentré des cours, je passais le reste de l’après-midi dans ma chambre en train de lire…
Je lisais tous les jours, des petits romans qu’une amie me vendait au comptant et, parfois, à crédit. Et ainsi, dans le silence et la solitude de ma chambre, j’ai développé le goût de la lecture.
Depuis, les disputes et les querelles des gens sur le quartier ne m'intéressaient plus. Les amis, les voisins, les jeux... Je m'en moquais comme de l'an quarante. J'avais une nouvelle passion: flâner dans l’univers des autres, oui, mais des écrivains!
Ainsi, j'ai pu me remettre sans aménité de cette concupiscence qui me portait à me mettre sur des cintres périlleux pour avoir une oreille dans le bruit qui court; car avec mes livres, je pouvais être au cœur de la foule en chaleur, tout en me prélassant encore dans mon lit.
Je lisais, ces livres, toujours avec le sourire; car j’aimais cette vie que je vivais à travers la lecture et, la raison en était du fait qu'il y avait des journées de querelles, et le tout, me paraissait plutôt mouvementé.
Enfin de compte, je crois avoir reçu de ce quartier ce qu'il y avait de meilleur; lequel était ce besoin de tout savoir sur l'autre, ce besoin de connaître et de pouvoir résumer les histoires de tout ce qui m'entoure. Ce besoin... il me porte à présent à déloger mon moi et à habiter toutes les vies… à être ponctuel dans la tête de l'autre, là où le bordel est le plus bruyant, même quand au fait, je n'ai rien à y ajouter… mais par là, je garde toujours en vue ce chemin de rêves que les autres empruntent: la lecture. Sinon, je serais mort d’un trop plein d’ennui.