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L’alliance Rony Gilot/Jocelerme Privert

Un ticket rose pour l'impunité

Robert Berrouët-Oriol
Linguiste-terminologue
Montréal, le 28.02.2016

Les milliers de victimes de la dictature duvaliériste –qui attendent encore justice et réparation de l’État haïtien--, ont reçu de plein fouet la nouvelle de l’affligeante nomination en février 2016 de Rony Gilot au poste de secrétaire général adjoint du Palais national. Cette nomination a été décidée par Jocelerme Privert, le Président provisoire d’Haïti. L’affaire est sérieuse, elle mérite notre meilleure attention puisqu’il s’agit de la nomination d’un actif baron du duvaliérisme au cœur même du pouvoir exécutif haïtien dans le contexte d’une incertaine transition politique. Mais qui est donc Rony Gilot?

Un tonton macoute encore «en service commandé»

Actuellement INCULPÉ devant la justice haïtienne, Rony Gilot n’est pas le premier venu sur la scène nationale. Tonton macoute «en service commandé» depuis les années 1960, il traîne derrière lui un passé scabreux, a été mêlé à de violents actes de répression de la dictature duvaliériste durant la grève de 1960 - 1961 de l'UNEH (Union nationale des étudiants haïtiens),  et il a entrepris une «œuvre» révisionniste et apologétique de réhabilitation du duvaliérisme et de la dictature duvaliériste dans ses publications. Ancien responsable du journal de propagande jeanclaudiste «L'Assaut» dans les années 1980, membre fondateur et propagandiste du Conseil national d’action jeanclaudiste, le CONAJEC, au cours des années 1970 - 1980 et de la Fondation François Duvalier en 2006, Rony Gilot est l’auteur notamment de «Au gré de la mémoire. François Duvalier, le mal-aimé» (Le Béréen, 2007); «Au gré de la mémoire, Jean-Claude Duvalier ou l'ingénuité captive» (Le Béréen, 2010), ouvrages dans lesquels il s’emploie à travestir la nature essentiellement totalitaire et kleptocrate de la dictature duvaliériste. Une certaine sous-culture complaisante de compromis «à l’haïtienne» a au fil des ans permis à Rony Gilot, avec la publication de ses livres, de se faire passer pour un historien crédible sinon pour un «écrivain» dans quelques médias, auprès du public et auprès de certains opérateurs culturels…

La «carrière» politique de Rony Gilot, sorte de «révisionniste officiel», s’enracine dans l’histoire même du duvaliérisme. Dans son célèbre livre «Fort-Dimanche, Fort-la-mort», Patrick Lemoine, qui a été emprisonné au Fort Dimanche durant la présidence de Jean-Claude Duvalier, livre ce troublant témoignage:

«Pour moi, Roger Lafontant était surtout cet étudiant qui avait dénoncé ses camarades, lors de la grève de 1960. Par la suite, il devait organiser une milice de macoutes universitaires, avec les Didier Cédras, Henry Rémy, Ernst Carlin, Kedner Baptiste, Robert Germain, Serge Conille, Ernst Larsen, Serge Rameau, Rony Gilot, Jacques Deverson, etc. Beaucoup d’étudiants furent forcés de s’enrôler, et de subir l’entraînement au camp de Fort-Dimanche. Devenir espion ou milicien ouvrit ainsi, pour beaucoup, les portes de l’université» (éd. Trafford Publishing [1996], 2011, p. 74).

Le témoignage de Patrick Lemoine est confirmé par les recherches de l’économiste et historien Leslie Péan. Dans un article daté du 13 juin 2011, «Leslie Péan scalpe Rony Gilot», et traitant de son livre «Entre savoir et démocratie. Les luttes de l'Union nationale des étudiants haïtiens sous le gouvernement de François Duvalier» (éd. Mémoire d’encrier, 2010), le journal fait droit aux recherches bien documentées de l’économiste qui lui aussi a levé le voile sur le passé politique de Rony Gilot, ancien député et ancien ministre de l’Information sous le régime de Jean-Claude Duvalier. Ainsi, dans les années 1960, 

«Le gouvernement utilisa la corruption financière et l'idéologie noiriste pour diviser l'UNEH [Union nationale des étudiants haïtiens]. Son fer de lance fut Roger Lafontant, membre de l'Association des étudiants de médecine et de pharmacie (ADEM) qui, assisté de Robert (Bob) Germain, de Rony Gilot et d'autres comparses, organisa une milice tonton macoute estudiantine. Les étudiants duvaliéristes reçurent un chèque de cent dollars par mois du ministère de l'Intérieur (p. 63)», a écrit Leslie Péan» […] «Vingt textes originaux de l'UNEH ayant échappé à la censure ont dénoncé la trahison de Lafontant, de Germain, de Gilot», souligne Leslie Péan.»

Les faits montrent donc que Rony Gilot est depuis les années 1960 un duvaliériste « en service commandé» à l’instar du tonton macoute Arthur V. Calixte, auteur d’un article mystificateur et négationniste paru dans Le Nouvelliste d’Haïti le 8 février 2013, «Jean-Claude Duvalier, la grande victime de l’histoire» (là-dessus voir la «Lettre ouverte d’un poète au quotidien Le Nouvelliste d’Haïti - La tentative de réhabilitation de Jean-Claude Duvalier est un flagrant déni de justice», par Robert Berrouët-Oriol, Journal des alternatives, 16 février 2013. 

Des années 1960 à 2016, Rony Gilot a activement œuvré pour la défense et la justification du régime totalitaire des Duvalier. Ainsi, on le retrouve en 2006 à la manœuvre active pour le retour au pouvoir des duvaliéristes et le retour du nazillon Jean-Claude Duvalier en Haïti. Un article du journal Le Floridien daté du 1er novembre 2006, «Les nostalgiques du régime des Duvalier», relate que Rony Gilot a lancé le plaidoyer suivant: «L’ancien ministre de Duvalier et membre fondateur du Conseil national d’action jean-claudiste (CONAJEC) a appelé le Parti de l’unité nationale [PUN, parti ouvertement duvaliériste] à lancer une campagne d’adhésion massive afin de devenir un “véritable instrument de prise de pouvoir”.» Ce plaidoyer est également attesté dans un article de Radio Kiskeya, «Surprenant come-back des duvaliéristes sur la scène politique haïtienne avec le lancement officiel de la «Fondation François Duvalier» (texte daté du 23 octobre 2006:: «Présentant fièrement l’événement, M. Gilot, médecin de formation, parlementaire inamovible pendant des années et membre fondateur du Conseil national d’action jean-claudiste (CONAJEC), a indiqué que la mission de la Fondation François Duvalier est de valoriser le patrimoine intellectuel et politique de celui qui dirigea Haïti d’une main de fer de 1957 à 1971, avant de céder le pouvoir, à sa mort, à son fils et successeur désigné Jean-Claude.» Mais Rony Gilot n’est pas seulement un tonton macoute «en service commandé», il est également UN INCULPÉ par-devant la justice haïtienne.

Un inculpé par-devant la justice haïtienne

En effet, Rony Gilot est cité comme «consort» dans le procès de l’ex-dictateur Jean-Claude Duvalier pour crimes d’État et crimes contre l’humanité. Si la mort de ce dernier a éteint la procédure judiciaire historique engagée contre sa personne, celle visant les «consorts» du nazillon Jean-Claude Duvalier est actuellement pendante devant la justice haïtienne –parmi ces «consorts» l’on retrouve le dénommé Rony Gilot. Il est expressément visé par l’Arrêt de la Cour d’appel de Port-au-Prince en date du 20 février 2014, signé par les juges Jean Joseph Lebrun, président de la troisième section à la Cour d’appel de Port-au-Prince, Durin Duret et Marie Jocelyne Casimir. Cet Arrêt casse l’ordonnance du juge Carvès Jean, qui avait rejeté les poursuites contre l’ancien dictateur Jean-Claude Duvalier pour crimes contre l’humanité. En voici un extrait:

«Attendu qu'il a lieu pour la Cour de constater que malgré le fait que par réquisitoires d'informer en date des 20 avril 2008 et 18 janvier 2011, l'instruction est ouverte contre les inculpés Jean Claude Duvalier , Michèle B Duvalier, Simone 0. Duvalier, Jean Sambour, Samuel Jérémie, Auguste Dougé, Jean Robert Estimé, Ronald Bennet, Frantz Merceron, Édouard Berrouet, colonel Franck Romain, Dr Bernadin Rosarion, Gérard Prophète, Milice Midi, Christophe Dardompré St Voyis Pascal, Rony Gilot et consorts pour les présomptions graves d'avoir commis, comme auteurs ou complices, des crimes contre l'humanité, crimes financiers, actes de corruption, forfaitures, concussion de fonctionnaires, détournements de fonds, vols et associations des malfaiteurs, la plupart de ces inculpés n'ont été ni convoqués , ni interrogés par le Juge d'Instruction qui s'est contenté de rendre son ordonnance uniquement contre Jean Claude Duvalier qu'il a renvoyé par devant le Tribunal Correctionnel pour être jugé pour délit de détournement de fonds publics; Attendu qu'il convient de reconnaître que la situation des autres inculpés cités dans les réquisitoires d'informer du Parquet mérite d'être prise en compte, ce qui pourrait remettre en  cause l'ensemble de la décision relative à ce chef, et pour ne l'avoir pas fait, l'ordonnance du vingt-sept janvier deux mille douze sera sanctionnée par la Cour…» (Sources: Défenseurs des opprimés (DOP) – «Prise de position sur la nomination de Rony Gilot» – Port-au-Prince, 21 février 2016; voir aussi le texte intégral de l’Arrêt du 20 février 2014 sur le site «Haïti lutte contre l’impunité»).

La Cour d’appel de Port-au-Prince a été à dessein tout à fait explicite dans son Arrêt, comme le précise avec justesse l’agence en ligne AlterPresse:

«Elle exige, en même temps, l’identification de tous ceux entrant dans la rubrique de consorts [dont Rony Gilot], la précision de la situation des inculpés décédés, l’audition à titre de témoins de tous les citoyens cités par les plaignants à l’occasion de leur déposition devant la cour, l’accomplissement de tous actes d’instruction nécessaires, notamment l’identification d’autres témoins éventuels au cours de la nouvelle information.» (AlterPresse: «Haïti-Justice: La cour d’appel reconnaît la nécessité de juger Jean-Claude Duvalier pour crimes contre l’humanité», AlterPresse, 20 février 2014).

Cet Arrêt désignant le juge Durin Duret Junior pour effectuer «un supplément d’instruction» s’intéresse donc désormais aux «consorts» du défunt dictateur Jean-Claude Duvalier:

«Après la mort de Jean-Claude Duvalier, le sort de tous les suspects cités dans les réquisitoires d’informer du Parquet en date des 20 avril 2008 et 18 janvier 2011, et l’identification de ceux entrant dans la rubrique "et consorts" sont au centre de l’attention. Sur les listes initiales dressées par le procureur figurent: Franck Romain, Christophe Dardompré, Michèle Bennett, Simone Ovide Duvalier, Jean Sambour, Samuel Jérémie, Auguste Douyon, Jean-Robert Estimé, Ronald Bennett, Frantz Merceron, Edouard Berrouet, Bernardin Rosarion, Gérard Prophète, Milice Midi, Saint-Voiyis Pascal et Rony Gilot» (Jean Elie Paul: «Haïti-DuvalierQue sont devenus les barons de la dictature?», AlterPresse, 6 février 2015).

Le «supplément d’instruction», d’une importance capitale pour la suite des procédures dans le volet judiciaire de la lutte contre l’impunité, est en effet cause pendante devant la justice haïtienne car de fait

«La mort de Jean Claude Duvalier ne met pas fin aux poursuites entamées devant la justice, les victimes du régime Duvalier ayant également porté plainte contre les proches collaborateurs de l’ex-dictateur» a déclaré Pierre Espérance, le Directeur exécutif du « Réseau national de défense des droits humains» RNDDH et Secrétaire général de la « Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme» (FIDH).

Une position que partage Me Pascal Paradis, Directeur général d’«Avocats sans frontières Canada» (ASFC), le principal partenaire du Collectif contre l’impunité, qui regroupe la plupart des plaignants contre l’ex-dictateur et ses principaux collaborateurs: «La mort de l’ancien dictateur Jean-Claude Duvalier ne marque pas la fin de la procédure judiciaire engagée en Haïti pour faire juger les plus hauts responsables des violations graves des droits humains qui ont été commises de 1971 à 1986 […] parmi lesquels Jean Valmé, Rony Gilot et Emmanuel Orcel […]» («Le décès de Duvalier ne met pas fin à la procédure judiciaire», 7 octobre 2014).

Du reste, on l’aura noté, les nouvelles autorités en poste en Haïti fin février 2016 viennent d’être publiquement interpellées dans un

«communiqué de presse conjoint, daté du 20 février 2016, de Amnesty international, [de] Human Rights Watch, [de] la Fédération internationale des droits humains (Fidh) et [d’] Avocats sans frontières Canada (Lwbc) [qui] appellent les autorités concernées à faire avancer le dossier de poursuites contre Duvalier et consorts. (…) Des mesures importantes doivent être prises «afin de finaliser l’enquête, d’établir la responsabilité pénale individuelle des collaborateurs de Duvalier et de mener un procès équitable et impartial», souhaite Pascal Paradis, directeur général d’Avocats sans frontières Canada. (…) Le nom de Rony Gilot, cité comme consort, ministre de Duvalier et actuellement secrétaire général adjoint du palais national, sous la présidence provisoire de Jocelerme Privert, figure dans un réquisitoire d’informer, daté de 2008.» («Les nouvelles autorités d’Haïti appelées à poursuivre des procédures judiciaires contre l’ex dictateur Jean-Claude Duvalier et ses acolytes», AlterPresse, 26 février 2016)

Il importe donc de bien comprendre que Rony Gilot n’est pas un simple citoyen lambda nostalgique de la «révolution» duvaliériste ou un individu ayant parfaitement le droit –en dehors de ses liens avec les crimes d’État de la dictature duvaliériste--, de professer sa volontaire adhésion catéchétique au duvaliérisme: il est encore un tonton macoute «en service commandé», et il est surtout UN INCULPÉ devant la justice haïtienne. Ce statut judiciaire, en dépit de la présomption d’innocence dont bénéficient les inculpés selon la loi, lui enlève toute légitimité pour occuper une haute fonction dans l’Administration publique du pays et rend illégale sa nomination partisane par Jocelerme Privert. Mais il semble bien que l’actuel Président provisoire d’Haïti, faisant fi du devoir de réserve, n’a aucun état d’âme à se placer au-dessus et en dehors de la justice haïtienne en nommant L’INCULPÉ Rony Gilot au poste de secrétaire général adjoint du Palais national ; frappé d’amnésie volontaire en ce qui a trait aux crimes de la dictature duvaliériste, Jocelerme Privert n’a eu aucune crainte à se lier à tel baron duvaliériste contribuant ainsi, lui aussi, à consolider la machine infernale de l’impunité. 

Consolider la machine infernale de l’impunité 

Car comme avant lui Jean-Claude Duvalier et Michel Martelly, Jocelerme Privert se présente sous le masque bateleur du «rassembleur», d’un faiseur de «l’unité de la famille haïtienne» (slogan cher aux duvaliéristes) dans une conjoncture particulièrement complexe:

«Le président provisoire haïtien, Jocelerme Privert, confirme son statut de rassembleur pouvant faciliter une entente entre les partis politiques de gauche et de droite. J'ai autour de moi des membres du parti lavalas et du parti duvaliériste, a insisté M. Privert lors de son premier déplacement dans une ville de province. «Je peux m'enorgueillir de pouvoir rassembler autour de moi les représentants de tous les secteurs de la vie nationale, a dit M. Privert assurant qu'il peut discuter franchement avec eux. Il affirme avoir prêché par l'exemple en regroupant dans son cabinet des citoyens représentants tous les courants politiques.» («Privert se présente en rassembleur», Radio Métropole, 22 février 2016).

Les données d’analyse disponibles aujourd’hui ne permettent pas encore de dire si l’accession de Rony Gilot au poste de secrétaire général du Sénat haïtien en 2008 s’est effectuée avec le concours actif de Jocelerme Privert; l’Histoire aura à l’établir. En revanche, l’Histoire contemporaine, les faits identifiables et mesurables de la vie nationale ont montré que «rassembler», faire «l’unité de la famille haïtienne» en dehors de toute entreprise de justice et de réparation pour les victimes de la dictature duvaliériste est un leurre, un bluff et, surtout, une mystification et un déni de justice foulant aux pieds les droits des milliers de victimes du terrorisme d’État duvaliériste. Cette sous-culture du «kase fèy kouvri sa», de l’amnésie décérébrante programmée, terriblement toxique depuis 1986 notamment, revient à absoudre à l’avance les auteurs et complices des crimes contre l’humanité de la dictature duvaliériste. Et à frayer avec eux sans états d’âme, à les présenter comme «fréquentables» sinon dépositaires d’un «savoir faire irremplaçable» dans la gestion des affaires de l’État. Soyons clairs et éclairons davantage l’alliance Rony Gilot/Jocelerme Privertcar selon l’esprit du pacte conclu entre eux il s’agit:

  1. de faire des duvaliéristes --y compris les «consorts» du procès Jean-Claude Duvalier, y compris les tontons macoutes responsables de crimes contre l’humanité--, des interlocuteurs crédibles;
     
  2. de faire croire que le camp duvaliériste est «un parti politique comme les autres», sur un même pied d’égalité que les autres, alors même qu’il dispose encore d’une réelle «imprégnation» idéologique dans toute la société haïtienne et qu’il a à sa disposition, en toute impunité, une disparate «force de frappe» terroriste (gangs armés, à l’instar de ceux financés et armés par certains secteurs de la grande bourgeoisie haïtienne, à l’instar des «chimères» criminalisés financés et armés par les différents régimes Lavalas);
     
  3. d’accréditer la fausse idée selon laquelle les crimes d’État de la dictature duvaliériste sont de même nature, sont comparables et surtout égaux à ceux commis après 1986.

L’alliance Rony Gilot/Jocelerme Privert est un ticket rose pour l’impunité en Haïti. Elle est un redoutable et très mauvais signal donné à l’actuelle transition politique au pays. Comme Michel Martelly --néoduvaliériste déclaré qui s’est tant affiché avec le nazillon Jean-Claude Duvalier et Prosper Avril flanqués d’Evans Paul/KPlim--, Jocelerme Privert a choisi de s’inscrire dans une sombre et mortifère «tradition» à l’œuvre depuis février 1986: le pacte impunitaire avec les barons duvaliéristes. Les tontons macoutes et autres têtes pensantes de la dictature duvaliériste se sont toujours arrangés pour codiriger en sous-main chacune des étapes de la transition politique au pays, piégeant et hypothéquant ainsi, constamment, l’établissement d’un État de droit en Haïti. Et comme pour leur faciliter la tâche, le camp démocratique haïtien, toutes tendances politiques confondues, n’a pas su faire barrage à une telle imposture –par aveuglement populiste, ou par manque de vision, ou par rachitisme analytique, ou par souci de ne mener que des luttes politiciennes pour le pouvoir. Il est attesté que le pacte impunitaire trouve ses fondements dans «l’imprégnation» idéologique duvaliériste d’Haïti. Plusieurs travaux de recherche ont illustré le fait que le langage duvaliériste, sa puissance symbolique, ont fortement marqué l’inconscient collectif haïtien. Ces recherches ont démontré que «l’imprégnation» idéologique duvaliériste d’Haïti, avant et après 1986, est une constante dans la vie du pays. Or ces trente dernières années, la déduvaliérisation d’Haïti n’a pas été vraiment faite en profondeur malgré de réelles avancées dans plusieurs domaines (liberté de la presse, droit d’association, élections ouvertes, etc.), et plusieurs générations de jeunes ont grandi au pays dans un réel dénuement analytique en ce qui a trait à la dictature des Duvalier. (Sur les sources historiques et idéologiques du langage duvaliériste, voir notamment: Karl Lévêque, «L’interpellation mystique dans le discours duvaliérien», revue Nouvelle optique, Montréal, 1971; Laennec Hurbon, ‪ «Culture et dictature en Haïti. L'imaginaire sous contrôle» (éd. L’Harmattan, Paris, 1979); Serge Philippe Pierre, «Pouvoir, manipulation et reproduction du pouvoir. Une analyse sémio-narrative du discours de François Duvalier», éd. C3, Port-au-Prince, 2015; voir aussi  la présentation en 2014 de «L’État duvaliérien» sur le site «Haïti lutte contre l’impunité».)

En lien avec le pacte impunitaire, il faut aussi rappeler que depuis 1986 aucun programme d’éducation à la citoyenneté dans le système éducatif haïtien n’a outillé les jeunes quant à l’analyse critique de la dictature duvaliériste, ce qui leur aurait permis de comprendre les enjeux politiques à l’œuvre dans le pays et de contrer, en une démarche conséquente, toute tentative de réhabilitation du duvaliérisme ainsi que les diverses offensives révisionnistes de falsification de l’Histoire. Ainsi, on a vu le nazillon Jean-Claude Duvalier invité à titre de «parrain» d’une promotion sortante de l’École de droit des Gonaïves et y prononcer, pince sans rire, un discours applaudi par des jeunes nés après la chute de la maison Duvalier («Le discours de Jean-Claude Duvalier aux Gonaïves», Le Nouvelliste, 20 décembre 2011).

En définitive, c’est essentiellement dans la configuration de la machine infernale de l’impunité qu’il faut comprendre l’arrivée de Rony Gilot au Palais national aux côtés du Président provisoire. Avec la nomination par Jocelerme Privert de Rony Gilot au poste de secrétaire général adjoint du Palais national, l’enjeu encore actuel pour les duvaliéristes, en plus d’être l’éminence grise au cœur du pouvoir, est de perpétuer le règne de l’impunité en Haïti, règne vieux de trente ans et au cours duquel ils n’ont pas eu à rendre compte de leurs crimes contre la nation haïtienne. Éloge de l’impunité, de l’amnésie programmée, d’un avenir sans passé… Dont l’effet durablement voulu et entretenu est de nier les droits et de faire taire la voix des milliers de victimes de la dictature duvaliériste qui attendent encore justice et réparation de l’État haïtien.
   

 boule

Viré monté