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Contes créoles

Le roman de Zamba et de Lapin

Lapin fait sa monture de Zamba

Quelques contes créole
recueillis par Mme Schont, 1935.

C'était au temps où les bêtes parlaient.

Alors vivaient deux bons camarades: Compère Zamba, une grosse bête, un peu glouton, un peu sot, tellement sot, que son compagnon inséparable, Compère Lapin Blanc, avait envie, tout le temps, de lui jouer quelque mauvais tour.

En ce temps-là, ni l'un ni l'autre n'était encore marié ni chargé d'une nombreuse famille. C'était au temps où ils faisaient leur cour aux dames.

Lapin, qui est petit et chétif, avait l'esprit inventif et savait adroitement tourner un compliment. Mais Zamba plaisait aux dames, parce qu'il était beau garçon, au cou fin, à la tète petite, aux cheveux lissés au cosmétique, à la jambe nerveuse.

Il courtisait Mademoiselle Sapotille à qui il plaisait, et Lapin en avait du dépit, car Mademoiselle Sapotille lui plaisait beaucoup.

*

Un jour, après avoir guetté le départ de Zamba, Lapin dit à Sapotille: «Vous aimez donc tant que ça ce Zamba! Ce rustre, ce lourdaud. Mais voyons, il n'est pas digne de vous. C'est un rien du tout, un moins que rien, Zamba! Je me fais porter par lui comme par mon cheval, et je le fouette comme mon petit.»

*

Quand Compère Zamba revint faire sa cour à Sapotille, elle le reçut avec un peu de froideur, et lui rapporta le discours de Lapin.

Zamba en fut très chagrin. «Lapin, mon compère, en qui j'ai confiance comme en un frère, plus qu'en un frère, dire cela de moi! mentir ainsi! Il me le paiera! Je vais le chercher, je vous le ramène ici; il faudra bien qu'il rétracte ça!»

Et le voilà parti, courant chez Lapin.

Il court très vite; il est vraiment très fâché et très pressé de laver cette tache sur son honneur. Il ne s'arrêta pas en chemin pour lancer des pierres dans les manguiers; il dédaigna de cueillir les pommes-roses qui embaument de leur parfum de fleur; il refusa même le punch à la barbadine que lui offrait un voisin hospitalier.

*

Quand il arrive, piaffant et rouge de colère, chez Lapin, il le trouve couché. Lapin est malade, très malade, il a l'haleine horriblement mauvaise, et grelotte de fièvre; le lit en tremble; il a une fluxion de poitrine, pour le moins; il gémit et se plaint.

La colère de Zamba tombe un peu à ce spectacle lamentable. Et Lapin lui parle d’une voix affaiblie: «Ah! mon compère, mon pauvre Zamba, tu arrives au bon moment: je meurs de fièvre et de frisson!»

Mais Zamba n'écoute que son impatience et dit: «Ce n'est pas de cela qu'il s'agit, compère Lapin! Tu as dit du mal de moi à Sapotille, tu as dit que tu montais sur mon dos comme sur ton cheval, et que tu me fouettais comme ton petit! Il faut venir avec moi pour qu'on tire au clair cette affaire-la tout de suite.»

Et Compère Lapin, tout dolent, de répondre: «Ah! Compère Zamba, je t'aime bien; mais comment ferais-je pour aller avec toi; je ne peux pas marcher: je suis trop faible; la fièvre me tue! Si vraiment tu veux que je vienne avec toi, il faut me porter sur ton dos. - Eh bien soit, dit Zamba , dépêche-toi de te lever.»

«Oui, répondit Lapin, mais pour me tenir sur ton dos, comment ferai-je? Il me faudrait une selle pour être bien assis, et il faudrait aussi le mors et les guides pour que je puisse bien me tenir. - Mais oui, soit, mets une selle, je prendrai le mors, et tu te tiendras aux guides; mais fais vite, pour qu'on arrive.»

«Oui, répondit Lapin, mais j'ai les jambes si faibles qu'il nie faudrait aussi des étriers pour être tout à fait d'aplomb! - Soit, dépêche-toi; mets les étriers et les éperons si tu veux, et ne perdons pas de temps.»

Et Zamba se laissa, avec un peu d'impatience, certes, mais sans penser à rien, harnacher comme un cheval. Lapin sauta sur son dos, et les voila partis à franc étrier! Zamba  a la hâte d'arriver. Lapin, sur son dos, rit doucement; il est guéri de sa fluxion de poitrine, brusquement; et, en passant près d'un tamarinier, Lapin casse une branche flexible, et quand on est en vue de la case de Sapotille, il se met à fouailler les flancs de Zamba  avec la baguette, à lui travailler les côtes des éperons en criant: «hue, mon cheval!»

*

Ils sont devant la porte de Sapotille, et Lapin descend de sa monture; et à Sapotille qui s'avance vers eux, il montre Zamba, muet de colère  furieuse, et dit: «Je vous avais bien dit que Zamba était ma monture, et que je le battais comme mon petit!»

Et tous deux de rire du pauvre Zamba.

Quand Zamba retrouva la parole, il essaya de s'expliquer, mais ils ne firent que rire de lui, et il les laissa pour aller réfléchir à une vengeance.

boule

Viré monté