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Contes créoles

La Geste de Petit Jean

Pourquoi nous avons un canal dans le dos

Quelques contes créole
recueillis par Mme Schont, 1935.

Petit Jean, un jour, décida de se marier, et alla demander en mariage la fille du Diable.

Le Diable fut bien étonné de l'effronterie de Petit Jean, et le retint comme prisonnier en lui disant: «Je te donnerai ma fille en mariage si tu sais faire les travaux dont je te chargerai. Tu commenceras demain matin.»

Le lendemain, le Diable lui donna une hache, et, conduisant Petit Jean dans une grande forêt, il lui dit: «Aujourd'hui, d'ici ce soir, il faut que tu aies arraché tous les arbres de cette forêt, que tu aies bêché la terre, planté, fait mûrir les fruits, et, le soir, il faut rapporter les fruits mûrs pour le diner.»

Puis il le laissa seul. Petit Jean se trouva bien embarrassé et ne sut comment faire tout cela. Il se sentit bien petit tout à coup, et se mit à pleurer.

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À midi, la fille du Diable vint lui porter son déjeuner. Le voyant pleurer, elle lui en demanda la cause. Petit Jean lui expliqua quelle tâche impossible Diable lui avait donnée à faire.

La fille du Diable le consola, Elle lui donna une baguette magique, et lui dit: «Avec cette baguette, frappe la terre trois fois et dis: «Par la permission de Dieu, que les arbres soient arrachés, que la terre soit bêchée, que les graines soient semées, que les fruits poussent et mûrissent!»

Petit Jean prit la baguette magique et prononça les paroles qu'on lui avait dit de prononcer. Et le soir, il rapporta un panier plein de fruits mûrs, et les présenta au Diable.

Celui-ci fut bien étonné. Mais les épreuves de Petit Jean n'étaient Pas terminées.

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Le lendemain matin, le Diable lui donna une hache, de nouveau, et lui dit: «Aujourd'hui, il faut me faire une poutre en eau.»

Petit Jean était encore plus embarrassé que, le premier jour. Il s'en alla avec sa hache au bord de l'eau, se demandant comment il pourrait bien faire une poutre en eau.

Quand, vers midi, la fille du Diable vint lui apporter son déjeuner, comme le premier jour, elle le trouva qui pleurait. Il lui conta ses soucis, et elle lui dit: «Naturellement, tu ne peux pas faire une poutre en eau. Ce soir, en rentrant, tu diras à mon père: «La poutre est prête, mais il faut m'aider a la transporter; il faut venir m’éclairer avec une torche en fumée

Petit Jean retint bien la leçon, et la répéta sans faute, le soir, a son retour.

C'est le Diable qui fut bien embarrassé, cette fois; il ne savait pas comment fabriquer une torche en fumée.

Voyant qu'il n'y arriverait pas, il pensa qu'il était plus prudent d'en finir avec Petit Jean qui était trop malin. Et il décida de le manger ce soir là.

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Il ordonna de mettre de grandes chaudières d'eau a bouillir.

Jean, qui entendait l'eau bouillir, et qui comprit ce que cela voulait dire, se prit à faire le malade. Il avait mal au cœur, il avait envie de vomir, et il expliqua au Diable que, pour se remettre de son malaise, il lui fallait de l'eau fraîche, puisée avec un panier.

Et le Diable dut se résigner a aller à la rivière puiser de l'eau fraîche avec un panier. Il puisait, mais quand il retirait le panier, l'eau s'écoulait. Longtemps, il essaya en vain. Puis il eut une idée. Il y avait là beaucoup de boue grasse, de la terre glaise; le Diable en enduisit l'intérieur du panier, et essaya de prendre de l'eau. Cette fois, l'eau y resta et il put en rapporter à la maison.

Mais Petit Jean mit à profit le temps que le Diable avait perdu à la rivière. Il avait visité tout l'appartement, et découvert les bottes de cent lieues. Il les avait chaussées et était parti.

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Quand le Diable apporta l'eau fraîche dans le panier, Petit Jean était loin. Naturellement, le Diable se mit en une terrible colère de voir que Petit Jean, encore une fois, avait été plus malin que lui. Mais il était bien sûr de le rattraper, car Petit Jean avait pris les bottes de cent lieues. Il restait au Diable ses bottes de mille lieues. Il les chaussa et partit a la poursuite de Petit Jean.

Petit Jean avait marché depuis des heures, droit devant lui, sur la grand'route, et il répétait:

«Cent lieues pour cent lieues,
«Cent lieues pour cent lieues!»

et se réjouissait de se sentir avancer par grandes enjambées.

Tout à coup, il entendit derrière lui une voix qui disait

«Mille lieues pour mille lieues,
«Mille lieues pour mille lieues»

Il comprit que le Diable le poursuivait et allait le rattraper.

Il courait, courait tant qu'il pouvait, mais naturellement, le Diable allait bien plus vite.

C'était le soir; il traversait un village; il arriva sur la place de l'église au moment où le sacristain fermait la porte. Sa dernière enjambée le lança dans la porte de l'église qui, déjà, tournait sur ses gonds.

Le Diable était derrière lui et avançait la main pour le saisir par le cou. Mais la porte se ferma juste au moment où le doigt du Diable toucha la nuque de Petit Jean, et le doigt glissa le long de la colonne vertébrale, et cela fit comme une rainure dans le dos de Petit Jean.

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C'est depuis ce temps-là que nous avons comme un canal tout le long du dos. Cette rainure, nous l'avons tous héritée de Petit Jean.

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Viré monté