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Contes créoles

Jo-Marion délivre La-diablesse

Emboulé Claudia,
2007

Jo-Marion était assis seul sous la Payotte, un joint à la main en train d'attendre ses potes, un samedi soir, au fond des bois de Poirier1. Il était vingt-deux heures lorsqu'il entendit derrière lui des bruits de pas de cheval. Il chercha, regarda autour de lui mais ne vit rien d'anormal. L'esprit ailleurs, il s'en foutait royalement de ce qui pouvait se tramer dans ces bois.  Un peu Tchad2, il se demandait même, si c'était ses potes qui lui jouaient un mauvais tour. Il regarda sa montre et compris qu'ils lui avait posé un lapin «ces connards!», pensa-t-il. Mais pourquoi les attendait-il? Tout simplement pour fumer, boire et délirer entre potes, un bon samedi soir. Énervé, il décida de finir son joint:

— Ah ! Ces pti' connards vont m'entendre! Il prit une grosse taffe.

— Ouais...mais cette fumée me gêne! Éteins ça tout de suite! dit une voix de femme sur le même ton.

Terrifié, il regarda derrière lui.

— Ki moun ki-la?  (Qui est là?)

— La-diablesse! Elle apparut face à lui et lui fit une pichenette. Relèves-toi! Tu me semblait plus vaillant que ça! hurla t-elle.

Jo-Marion n'en croyait pas ses yeux, La-diablesse se tenait debout devant lui, et comme sous son emprise, il fit ce qu'elle lui disait.

La-diablesse était une très belle femme, c'était une négresse aux longues nattes. Elle portait un jean serré et un haut en bustier. Avant, aux temps des grands-parents, ils la présentaient toujours en robe madras où, dans les bois, elle attirait les jeunes hommes  aux rythmes du gros Ka.

Comme hypnotisés par le son du tambour, ces jeunes hommes dansèrent jusqu'à ce que leurs pas les menèrent jusqu'à elle, et là, les emportaient avec elle.

Jo-Marion, en espérant que ça soit une mauvaise blague,  jeta un coup d'oeil sur les pieds de cette belle femme. Mais malheureusement, ce ne fût pas le cas, c'était effectivement La-diablesse dans toute sa beauté, avec des pattes de cheval et pour bien lui faire comprendre que c'était le cas, ironiquement, elle écrasa les pauvres doigts d'pieds du jeune homme qui étaient joliment habillés dans des baskets à la mode.

— Aie! hurla t-il. C'était horrible, il avait l'impression que ses pauvres doigts d'pieds s'enfonçaient dans la terre.

— La ferme! T'es un homme, réagit, merde!

— Ou sav an pa pè-w hen! (je n'ai pas peur de toi!) hurla t-il.

— Vraiment? Elle lui montra son vrai visage. Le jeune homme fit semblant de garder son sang froid. Il se rappelait qu'un jour son grand-père lui avait dis qu'il ne fallait jamais montrer sa peur à un diable, qui lui montrait son vrai visage, sinon, il le dévorait sur-le- champ. Lui qui croyait jusqu'alors que son grand-père fabulait, avait rangé cette consigne dans un coin oublié du cerveau en pensant que ça ne lui arriverait jamais. Instinctivement, il se rappela de cette leçon de survie et fit face à La-diablesse.

— Mais dis-moi, ma puce, qu'est-ce qui t'as rendue aussi méchante? essaya t-il de la flatter.

— Ma puce? Je ressemble à une puce, alors? Continua-t-elle à lui faire peur.

— Non, excuse-moi je voulais dire...jolie demoiselle, essaya t-il à nouveau.

— Je préfère.

Sous une forme plus ou moins humaine, car sa transformation s'arrêtait à hauteur de ses genoux où on pouvait voir d'horrible pattes de cheval. Elle écouta avec intérêt ce que  Jo-Marion lui disait:

— Voilà, tu es plus belle comme ça... espéra t-il qu'elle se calme. Assieds-toi pour qu'on puisse discuter... Je suis sûr que ça te fera du bien.

— Hum! Je ne suis pas venue jusqu'ici pour rien... Elle se lécha les babines.

— Si ça ne te plaît pas, tu n'auras qu'à me manger, promit-il.

— Autant le faire tout de suite, ouvrit-elle grandement sa gueule de loup.

Toujours avec un sang froid forcé, Jo-Marion tentait de calmer ses pensées de peur qu'elle ne lise en lui. Essoufflé, et le ventre noué, il continua:

— Mais doudou, je suis mieux au four... avec un peu de béchamel, sourit-il. En jouant sur l'autodérision, ça lui permettait de se rasséréner ainsi faire face à elle.

— La sauce béchamel me donne la gastrite, répliqua t-elle.

— Ah, les crottes sous le Manguier, c'était toi! lança t-il. Il fut surprit de voir La-diablesse éclater de rire, il s'attendait à tout sauf à ce qu'elle se plie en quatre pour rire.

— Mon Dieu c'est pas possible! continua t-elle.

Dans un tremblement de terre, et un vent violent, La-diablesse fut soulevée dans les airs où un éclair la frappa en plein coeur. Elle hurla de douleur et s'évanouit.  Jo-Marion, terrifié, regardait ce phénomène. Il pouvait voir les multiples formes que La-diablesse avait pris pour tromper ses victimes et comme pour marquer la fin de ses tribulations, une lumière blanche émana d'elle  et lui rendit sa forme humaine. Un vent doux, l'accueilla dans ses bras et la déposa doucement à même le sol.

Le jeune homme n'en croyait pas ses yeux, il venait d'assister à la renaissance de La-diablesse. Il n'était  pas étranger à cela, il fallait la faire rire et lui faire prononcer le mot Dieu, pour qu'enfin, elle retrouve sa forme humaine. La-diablesse n'était autre que la fille d'une vieille femme nommée Man Coco, qui avait fait un pacte avec le diable pour devenir riche. Cette femme avide, avait renoncé à son âme, mais aussi à sa première fille... car le diable ne voulait pas se contenter d'une vieille âme avide et voulait avoir une nouvelle femme auprès de lui. Lorsque Man Coco mourut, comme promis, le diable alla chercher son âme et emporta la jeune femme avec lui dans les profondeurs de la terre. Jo-Marion, voyant qu'elle était à présent inoffensif, essaya de lui venir en aide:

— Allez la puce, reprends toi... essaya t-il. Elle était toute pâle.

Il la souleva pour l'emporter jusque dans sa voiture, qui était garée à l'entrée des bois.  Ce coup-ci, il vérifia avant si elle avait effectivement ses pattes de cheval et découvrit des jolies pieds affaiblis . Elle avait froid et était tremblante, elle se réchauffa contre Jo-Marion.

— Ça va mieux? demanda t-il.

— Oui, merci... dit-elle faiblement.

Jo-Marion ravie, ne savait pas quoi faire. Il l'installa dans la voiture et attendit qu'elle aille mieux. Il prit une bouteille d'eau à l'arrière.

— Tiens un peu d'eau... Elle l'interrompit.

— Non, un baiser me fera plus de bien.

Elle lui expliqua ses tribulations et le convainquit qu'un baiser était la seule solution sinon la mort l'emporterait. Ce baiser était le symbole du pardon,  et en l'embrassant il serait éperdument amoureux d'elle, en voyant qu'il hésitait elle ajouta:   Si tu ne veux pas de moi, ne le fait pas sinon tu deviendras fou! Car le pardon est sincère et se mérite... Elle était à bout de souffle. 

Sans rien attendre d'elle, il lui pardonna et l'embrassa tendrement.

Comme un conte de fée, la jeune femme reprit son teint d'ébène et remise d'aplomb, le remercia de toute son âme... elle était enfin pardonnée de tous ses péchés:

— Merci, merci, merci  pleura t-elle.

— De rien, ma belle, rassura-t-il. Quel est ton prénom?

— Lu... Lucinda, reprit-elle.

— Très jolie, sourit-il et l'embrassa à nouveau.

Bien qu'ils vécurent ensemble et eurent des jours heureux, le diable jaloux jura de prendre leur premier enfant, ce qui força Lucinda a prendre la pilule.

crabe

Notes

  1. Poirier: Section de Petit-Bourg ( Guadeloupe )
     
  2. Tchad: simplement l'effet du canabis.

Viré monté