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Souvenir de Pondichéry (3)

Par Gerry L’Etang

16 Mars 2010

Pascale Monnin

Sans titre, Pascale Monnin.© Macondo Art.

Debout devant l’hôtel, flottant dans un kurta pyjama jaunâtre, on l’eût dit jailli d’un incipit de Vargas Llosas: «L’homme était grand et si maigre qu’il semblait toujours de profil». Il paraissait sans âge, ou en présentait plusieurs, selon l’angle duquel on observait son visage: trente, cinquante, soixante-dix ans.

Je le revis le lendemain, s’engouffrant dans la chambre de mes voisins, étudiants italiens qui faisaient une abondante consommation d’herbe et se déplaçaient au ralenti, titubants, hagards. L’un des deux finançait ses études en travaillant comme gardien de musée. L’avant-veille, il m’avait demandé d’appeler son chef à Rome en me faisant passer pour un médecin pondichérien. J’étais censé avoir diagnostiqué chez lui une dysenterie sévère qui le clouerait au lit un mois entier. Retenu en Inde, il ne pourrait reprendre son service à date prévue. J’avais complaisamment joué le jeu. Mais je devais être un médecin peu crédible. Le chef des gardiens était resté dubitatif, malgré mon application à exposer les symptômes de la dysenterie dont m’avait informé un ami, infirmier à l’hôpital Jipmer… Une demi-heure plus tard, dans le hall, je croisai de nouveau la silhouette décharnée qui lança: «Tu me payes à bouffer?»

Il ne mangeait pas, buvait des litres de lassi. Et entre deux timbales de yaourt liquide, racontait sa vie. Il était le descendant d’une dynastie de maîtres tanneurs parisiens dont la dernière génération, celle de son père, avait fait faillite. Après «dix ans d’esclavage à Billancourt», il était passé au «deal d’acid». L’affaire cependant s’était embrouillée. Il n’avait évité la geôle qu’en prenant la route des Indes. Il écopa tout de même en France d’une condamnation par contumace: cinq ans de prison.

En Inde, il fut «longtemps peinard», vivant confortablement d’un trafic de pierres précieuses birmanes. Mais «un salopard» en «chouravant» sa cassette l’avait «plongé en enfer». À Bombay, on l’arrêta suite à une bagarre. Son visa étant périmé depuis presqu’un quart de siècle, les policiers le tabassèrent, l’enfermèrent. «Ils m’ont affranchi au bout de trois jours. Personne ne m’ayant réclamé, ils ont pigé qu’il n’y avait pas une roupie à tirer de moi.» Les flics gardèrent néanmoins son passeport, lui imposant une visite hebdomadaire au commissariat. Seulement à sa sortie, il s’était précipité dans un train, direction Pondichéry.

Il se présenta au consulat, réclamant son rapatriement dans une prison française. Contre toute attente, on lui répondit qu’il devrait trouver par lui-même les moyens de rentrer en France s’y livrer. Il se vit toutefois offrir de quoi manger une semaine, se soigner. Mais les antibiotiques qui cicatrisèrent ses blessures de Bombay lui avaient «démoli l’estomac»… Il trouvait quelquefois refuge à Auroville, «chez des babas cool fraternels qui suivent les préceptes de Mère», et mendiait pour survivre.

Il quémanda quelque temps aux abords du samadhi de l’ashram, où reposent Aurobindo et Mère, sous des milliers de pétales rares, odoriférants, artistiquement ordonnés. Là, des mendiants indiens, exaspérés par la concurrence de ce Blanc à qui les Blancs, consternés, donnaient en priorité, l’agressèrent. Deux touristes italiens venus visiter le tombeau le tirèrent de ce mauvais pas.

Il s’était dès lors lié à ces étudiants dont il faisait «les courses», les ravitaillant en ganja qu’il se procurait auprès de rickshavala. «Ces mecs qui ne devaient s’arrêter qu’un week-end à Pondy, ont décidé d’y rester un mois. Ils en pincent pour la beuh d’ici mais flippent de l’acheter car c’est craignos. Alors ils me paient pour ça. Quant à moi, au point où j’en suis, je n’ai plus rien à perdre.»… Il se leva, récupéra le pourboire que je destinais au serveur, me salua d’un geste et s’en alla.

boule  boule  boule

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