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Souvenir de Pondichéry (2)

Par Gerry L’Etang

Mars 2010

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Marché Goubert, Pondichéry. Source.

marché Goubert, Pondichéry

Nous venions de terminer l’état des lieux. Mon propriétaire sortit d’un sac de toile un sachet de lait réfrigéré qui avait mouillé le tissu. Il entreprit de le faire bouillir puis remplit deux verres: «Nous allons boire ce lait. Bienvenue en Inde». Enfin, il me remit un unique jeu de clés en déclarant avec aménité: «Allez au marché, il y a là quelqu’un qui reproduit les clés».

Le grand marché porte le nom d’Edouard Goubert. «Goubert Papa» était un Créole de Pondichéry, métis de Français et d’Indien, catholique et francophile. Ancien greffier, député et homme fort de la France à Pondy, son retournement en faveur de l’Inde et du parti du Congrès précipita en 1954 le rattachement des Établissements français de l’Inde à l’Union indienne, mettant fin à près de trois siècles de colonisation. Ce revirement lui valut d’être le premier Chief Minister du territoire et son nom fut donné au marché ainsi qu’à la plus belle avenue de la ville, celle du bord de mer, ex cours Chabrol.

Le marché Goubert est immense, on s’y perd volontiers. Il est divisé en zones: poissonnerie, boucherie, épicerie, librairie, tissus, fleurs, fruits et légumes. Cette dernière zone déborde l’espace attribué. Les allées sont encombrées de régimes de bananes, sacs de riz, noix de coco, courges vertes pour l’offrande propitiatoire des commerçants, et qui, décapitées, saupoudrées de poudre rouge et placées sur le seuil des boutiques, font le bonheur des vaches en drive. Le marché concentre les produits, odeurs, couleurs, bruits, émotions de l’Inde.

Pour l’échoppe du faiseur de clés, on m’indiqua le coin des ferblantiers. À côté d’un fabricant de boîtes aux lettres, dans un réduit crasseux, obscur, un homme attendait derrière un établi usé qui accueillait un petit étau et une série de fines limes. Où étaient les machines? Il me semblait incroyable que cet individu puisse reproduire des clés. Je retournai à l’officine de mon informateur, qui me renvoya auprès de l’homme à l’établi, à l’étau et aux limes.

Il ne comprenait pas l’anglais, je ne parlais pas tamoul, nous dialoguâmes par signes. Je présentai mes clés. Il sortit du tiroir de l’établi un lot de formes vierges réunies par une cordelette de jute et sélectionna les pièces à ciseler. Puis il prit la première des clés, l’observa intensément, dix secondes au recto, dix secondes au verso, me la rendit. Ensuite, il fixa dans l’étau une forme correspondante et s’attacha à la cranter, changeant deux fois de lime. Lorsqu’il me tendit la nouvelle clé, je l’invitai à la comparer à l’original afin de s’assurer de sa fidélité. Il eut un mouvement agacé, définitif, qui coupa court à cette proposition… Mes trois clés dupliquées, il m’indiqua de ses doigts une somme si dérisoire que je lui en donnai le double.

Sur le chemin du retour, je fus de nouveau assailli par le doute. Ce qui s’était passé était invraisemblable. Comment, à partir d’une brève mémorisation, reproduire à l’identique la découpure d’une clé? Je commençais à regretter d’avoir payé double. Je tentai de me rassurer en pensant au temps d’avant les machines, quand les serruriers façonnaient nécessairement les clés à la main. Mais c’était insatisfaisant: les clés d’alors étaient beaucoup plus simples que celles, modernes, aux échancrures complexes, confiées à l’homme du marché. C’est donc sceptique qu’arrivé à la maison je fichai une copie dans la serrure. Il m’apparut qu’elle fonctionnait mieux que l’orignal.

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