2003-2004 : 150 ans de présence indienne
en Guadeloupe et en Martinique.
 
Ce don d'humanité qui a fait souche sans rien maudire,
la geste-offrande de nos tamouls à descendance créole…

 

Jean-Samuel Sahaï présente
La Panse du Chacal
le roman-coolie de Raphael Confiant
Editions Mercure de France, Mars 2004,
qui a reçu le
Prix des Amériques Insulaires et de la Guyane 2004
le 26 juin 2004. 
 
Oct. 2004 nominé pour le Prix de la Francophonie ! Voir ici.
 

La panse du chacal

Mise en vente le 4 mars

«Le prêtre hindou me reçut avec égards, mais sans cette servilité dont faisaient généralement montre les gens de sa race envers les Blancs... il n'y avait en eux aucune stupide résignation, comme je l'imaginais, mais une sérénité héritée d'une sagesse millénaire.». Ainsi, il y a quelques mois, par la bouche de Gauguin découvrant l'Inde en Martinique, Raphaël Confiant présentait-il l'indien martiniquais dans Le Barbare enchanté (p. 153-154).

Afarel le prolifique, qui peut se targuer d'être le seul antillais édité par quelques onze maisons parisiennes, n'a pas toujours choisi de présenter les indiens-kouli d'île en touches si tellement idylliques. Qu'il l'ait partagée - jeunesse impitoyable oblige - ou simplement réfléchie en reporter de tranches de vie, la cruelle martiniquité de l'époque, ces choses maldites sur les coulis malpropres qui envahissaient Fort-de-France, est gaillardement répercutée dans ses œuvres : Tu passes près d'eux, ils ne sont que l'ombre d'une ficelle. Ils se font tout petits, ils baissent les yeux dans les dalots qu'ils balayent avec une lenteur désespérante, mais dès que tu les a dépassés, tu sens la braise de leur prunelles sur tes épaules et tu es certain qu'ils te traitent de salopetés exprès pour accorer tes affaires de la journée. (Le Nègre et l'Amiral, p. 205).

Pour mettre à plat le tout, à l'occasion de la sortie d'un autre tout dernier roman, La Panse du Chacal, Confiant confie dans une récente interview1 s'être converti à l'hindouisme créole avec le dernier grand tamoulophone martiniquais, Antoine Tengamen dit «Zwazo»...

Confiant se pose en déclineur et modeleur d'une société créole idéale, promoteur d'une mosaïcité porteuse en chacune de ses parties de l'hologramme d'un tout à fait cohérent. Il se devait donc, et devait à son lectorat, de traiter plus avant son pan de karma indo-kouli. Tant soit peu de l'intérieur, puisqu'initié, et exercé à côtoyer les indianistes, indianisants, indologues et indiens tout court de Martinique, la Réunion, de l'île Maurice, de la Guadeloupe...

On ne rêvera plus qu'à une chose : un colloque réensemenceur sur La Créolité des Indes d'occident... , à New-Delhi, Pondichéry, ou à Madras. Car voici La panse du Chacal, le roman pur indo-coolie du Maître Raphaël, qui sort au Mercure de France début Mars 2004.

Le titre, inattendu pour le passionnant pavelet consacré à la traversée et à l'établissement des tamouls aux Antilles au XIXème, la belle image de couverture – leur école ne nous avait pas habitué à dessiner la canne coupée par de frêles femmes indiennes couvertes jusqu'aux chevilles..., sont le signe d'une authentique souffrance  : celle de la faim et de la destitution qui poussèrent des dizaines de milliers d'ancêtres à nous à quitter le pays tamoul, pour se lancer dans une aventure prétendûment libératrice et émancipatrice. Un rêve de sucre d'or attisé par de mécréants recruteurs, et accessible à quelques jours de bateau seulement...

Hélas, la promesse de sucre devait se transformer en amère tourmente pour les corps et les âmes charriées par les voiliers, puis à la vapeur, vers de lointains horizons qui devaient se révéler durs et atroces. Mais terres qu'ils conquérirent aussi, ensemencèrent et moissonnèrent, grâce à la texture de leur étoffe, à la flexibilité de leur indéfectible adoration, au soutien de leur chanter et de tous leurs sacrifices... Et, malgré tous les perdus en mer et mutilés en îles.

Opportuniste, dirons-les langues déliées. Plus qu'opportun, répondons-nous, et bien fait ! A la faveur de la commémoration qui bat maintenant son plein en Guadeloupe, Confiant met sa plume vivace au service d'un rattrapage scolaire nécessaire, et salutaire, pour l'ensemble des ouest-indiens français. Retissant avec soin, charme, réalisme, la saga d'ancêtres dont la poignante aventure a tant enrichi la vie créole; il la brosse sur un mur qui serait resté quasiment vide sans les cris d'une Christiane Sacarabany et de quelques autres pionniers comme nos Léti, Ponnamah-Ponaman, Gamess, Camille Moutoussamy ou Mangatale. Ou, sur la Toile, de Francesca Palli, ou Philippe Pratx. Et sur la scène, de Suzy Manyri ou Consuelo Marlin...

Avec cette fresque superbement documentée sur le riche passé des oubliés de l'histoire antillaise, La Panse du Chacal rend un fier service à une «composante» que l'on avait domptée à tolérer et à contribuer à son propre étouffement.

Alapage

 Le roman a pour trame le parcours d'un jeune tamoul Dorassamy, de Pondichéry aux Antilles. C'est la fin du XIXè siècle, la famine ronge le sud de l'Inde, comme le Bihar ou l'Uttar Pradesh, des Tamouls se voient proposer d'émigrer vers un paradis vert et or...

Profondément secoué à la vue de sa famille dévorée sous ses yeux par une meute de chacals, Dorassamy quitte le pays tamoul profond pour Pondichéry. Il épouse Dévi, fille d'anciens employés de son père, propriétaire d'une filature, en partance eux aussi pour les Antilles, ces îles mensongèrement présentées aux engagés comme toutes proches des côtes du Coromandel. Aberration, car l'hindouisme interdit à ses pratiquants de quitter la terre sacrée, l'Inde, sous peine de subir la malédiction amère de Kala Pani, la mer d'eau noire. Et le voyage durait entre trois à six mois, avec deux océans à franchir...

Tempêtes. Révoltes, découragement, suicides, scorbut... Intervention miraculeuse du saint Nagourmira, musulman dès lors intégré au panthéon indo-antillais si adaptable, déjà formé à la multiple culture. Sur l'île, c'est l'affectation sur une habitation du Nord-Martinique, et l'ère de tous les chocs. Choc racial, la découverte des Noirs et de leur sort. Choc culturel, la constatation de l'omnipotence du catholicisme. Choc linguistique, la réalisation de l'abandon forcé, de la perte de la riche langue tamoule... Et choc du terrifiant travail de coupe aux champs brûlants, la promesse démentie d'un travail facile : mettre à dorer du sucre au soleil... Le ton réaliste, souvent poignant, historiquement congruent du récit n'est pas sans rejoindre celui de la mauricienne Apannah-Mouriquand dans ses Rochers de Poudre d'Or ...

Mais l'indien est résilient ! Les Dorassamy font contre mauvaise fortune bon cœur, s'organisent avec leurs garçons, Vinesh, orphelin recueilli sur le bateau, Ganadin né sur île. Dur quotidien de la plantation : récoltes, grèves, pécule à mettre de côté pour le rapatriement - terme d'un contrat de 5 ans au terme duquel ils étaient censés être ramenés en Inde... Mais combien, lesquels, le seront? En un style palpitant, mais sans se laisser emporter par un imaginaire d'encre qui trahirait une histoire déjà en soi chargée de soubresauts, Confiant nous dépeint ces aspects post-esclavagistes de la vie sur l'habitation, la rencontre du kouli tamoul avec le Blanc coriace, le Noir mutilé et violent, ou la Négresse si différente de l'Indienne dans la gestion de ses atouts-corps.

Le cheminement original de notre histoire, l'apport de douceur et de patience, d'un érotisme plus élogieux et plus soucieux d'honorer la femme, et bien d'autres éléments qui ont fait de l'indien l'adoucisseur de nos mœurs, le métissage complexe de nos cultures d'origine et la vitalité qui en résulta, sont clairement mis en lumière dans un texte bien calé, qui se lit comme on regarde un film captivant et sincère.

Au moment où les clameurs de la célébration de l'indien se taisent en Martinique, cédant le pas à une profonde désespérance, celle du sort de nos frères et sœurs d'Haïti, Confiant éduque: il plante en un roman instructif, réhabilitateur et dessilleur, les bases d'histoire et de connaissance qui auraient dû être fichées dans la mangrove de notre effarante igno(f)rance bien avant qu'on ne se réveille pour constater 150 ans déjà de présence indienne.

C'est un Confiant encore nouveau qui se révèle à nous, chercheur du cœur et ménestrel de l'esprit soucieux de coucher bien sur les tablettes de sa vaste œuvre cette vérité: la créolité en îles françaises a été nourrie d'un inestimable apport venu d'Asie. Il faut que la revalorisation de la culture indienne soit faite subtilement, il faut transformer l'image de l'Indien dans la mentalité des gens sans slogans ni récriminations, précise le nouveau chantre, en réponse au webmaster. Vision très diplomatique peut-être de la réhabilitation d'une minorité, après un si percutant Césaire... Mais si indienne dans sa philosophie douce, profonde, et respectueusement patiente. Car lassés de nous entre-étriper pour des chimères, nous réhausserons nos idéaux en reluisant Tagore, Gandhi, MLK.

Cette quête en fond de soi, littéraire pélerinage haut en couleurs, s'émaille de tintantes sonorités tamoules et créoles, et de combien d'émotions transformatrices. La geste spirituelle amorcée dans le Coromandel, frappée sur la vaste mer, aboutie au fil du déchirement parmi les canneraies, est une belle équipée aux sources de notre âme. Celle de notre propre indianité, loin d'une Inde glanée toute en largesse adoptante et adoptée, et désormais fichée au tréfonds de nous-mêmes.

Originale et compassionnée, émergence vibrante et reflorissante d'une histoire éhontée, radieux lotus né des boues du passé... La Panse du Chacal nous rend et nous retend ce don d'humanité qui a fait souche sans rien maudire en terre îlo-américaine... Et en plein cœur de nos racines d'âme.

Jean-Samuel Sahaï.

L'Inde est comme un homme. C'est un mystère
que l'on doit approcher avec amour. En Inde, il faut
de l'amour et de l'humilité. Sachez que vous recevrez
plus que vous ne donnerez.
- Père Ceyrac.


  
  La panse du Chacal  : nominé pour le Prix de la Francophonie (oct. 2004).
 
  La panse du Chacal  : lauréat du Prix des Amériques Insulaires 2004.
 
  La panse du chacal : un dictionnaire amoureux d'indianité créole. Gilbert Francis PONAMAN.
 
 
Confiant présentait ainsi les indiens vers la fin des années 80.
 
 

L'interview donnée par Raphaël Confiant à Philippe Pratx, ainsi que le texte de présentation de La Panse du Chacal se trouvent sur le site Indes Réunionnaises.
 

Réactions :

Merci pour cette si belle présentation du livre de Confiant… Au début j'ai ressenti de l'amertume, de la colère. Ensuite tout cela s'est estompé au profit de la douceur, de la poésie, de la grâce.

Oui, je fais partie de ces blancs coriaces et ignares. Et j'en suis stupéfiée. Comment avons-nous pu passer à côté de notre histoire?

Il n'y pas longtemps j'ai recontré un peintre-sculpteur du nom de LEM. Il vient des Antilles et il est descendant de koulis. Je lui disais les découvertes que tu m'as fait partager. Il m'a alors dit qu'il écrivait un livre sur l'esclavagisme en bordelais. Sujet secret ici. Il m'a raconté comment il a pu avoir accés à certains secrets de famille, grands noms de la viticulture locale. J'ai hâte que son livre sorte et qu'enfin Bordeaux demande pardon.

Pour la petite histoire, les bretons étaient fort pauvres aussi. Un de mes arrières grands-pères crevant la famine a fui vers le Vénézuela avec sa famille. Ils ont voyagé à fond de cale avec les animaux. Et... ... ... ils sont revenus par le même moyen !

Un autre a fait de même, il n'est jamais revenu, laissant sa jeune femme de 26 ans élever seule ses enfants. Et c'est phénoménal ce que ça marque une famille trois générations plus tard.

Enfants de la pauvreté, c'est aussi là que nous trouvons nos richesses.

Mais les bretons n'ont pas été vendus ni transformés en esclaves et c'est une sacrée différence.

Je lirai et offrirai le livre. Bonne continuation, et tous mes voeux de succés au livre de Confiant.

Jocelyne V., bretonne

 
 
 
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