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La peinture en Martinique

sous la direction de
Gerry L’Étang

Grand Prix des îles du Ponant
Salon du Livre Insulaire de Ouessant
Août 2008

Préface | Peindre et donner à voir en Martinique | Sommaire | Esthétique et influence amérindiennes |Alexandre Bertrand: Sansann | Détente à la rivière | Échelle | Lespwa mal papay | Maison du bagnard | Morne sable | Saisons, 25-Février | Vwel pwason

 

 

 

La peinture en Martinique, sous la direction de Gerry L’Étang • Préface d’Alfred Marie-Jeanne • 32 x 25 cm • 355 photographies • 376 pages • Conseil régional de Martinique / HC Éditions • 2007 • 50€.

La peinture en Martinique

Préface

Alfred Marie-Jeanne

En accueillant pendant plus d’un mois, en 2002, l’exposition Testaments intimes, consacrée au peintre cubain Wifredo Lam, le conseil régional de Martinique contribuait à faire découvrir une part essentielle de l’œuvre de ce maître, dont on a pu dire qu’elle représentait le paradigme de l’Art antillais, son tableau La Jungle constituant peut-être le premier manifeste visuel de la Caraïbe.

Poursuivre cette entreprise, conforter la connaissance d’un art pictural sans cesse renouvelé, me semble désormais indissociable de la célèbre maxime: «Connais-toi, toi-même.»

Le présent livre tente d’ouvrir une porte, souhaite combler un vide. Permettre aux Martiniquais de disposer d’un ouvrage traitant de La peinture en Martinique est une contribution au développement culturel du pays, une avancée dans la connaissance de ce dernier.

Nos plasticiens, récents producteurs d’images de notre société en devenir, s’efforcent, chacun à sa manière, de construire une identité visuelle propre à celle-ci. Gageure ô combien difficile!

Rendons-leur hommage!

«Lam a ouvert une voie. Son art n’est ni chinois, ni amérindien, ni africain, ni européen. On n’y observe aucune dominante en terme d’influence. Peut-être est-il tout cela à la fois, dans une sorte de symbiose?»

Faisons, et laissons faire le temps. Et puis l’Histoire jugera.

J’espère qu’en découvrant ces pages, chaque Martiniquais, chaque ami de notre Martinique, pourra comprendre combien la peinture de ce pays peut, au fil du temps, s’enrichir, nous enrichir. Et aussi embellir le monde. C’est le vœu sincère que je formule.

Alfred Marie-Jeanne
Président du conseil régional de Martinique

Conseil Régional martinique

Peindre et donner à voir en Martinique

Gerry L’Étang

Manicou

François Cauvin – Manicou, 2007, Acrylique sur toile, 100 x 150 cm.
(Photo Robert Charlotte)

L’effervescence dont la peinture est l’objet depuis quelques années en Martinique, méritait qu’un ouvrage ambitieux présente les acteurs de cette efflorescence et donne accès à leurs œuvres. C’est ce qu’a voulu Alfred Marie-Jeanne (Président du conseil régional de Martinique) lorsqu’il a lancé le chantier de ce volume, qui fait écho à l’impressionnant essor de cet art dans le pays.

L’organisation soutenue de vernissages, de foires, la présence régulière de peintres dans les médias révèlent en effet une véritable floraison d’artistes1. Comme en rend compte la sortie de périodiques (revue, magazines) consacrés aux arts en général et à la peinture en particulier2, ainsi que la parution de monographies concernant des peintres martiniquais3.

Comprendre ce phénomène, l’accompagner, valoriser cet art et ses talents, offrir une étude globale sur la peinture en Martinique sont les objectifs de ce livre.

Dans la première partie, «Histoire et figures historiques4», René Louise exprime, au cours d’une «Histoire générale de la peinture en Martinique», sa vision de l’évolution de cet art, de ses prémices à nos jours. L’auteur, observateur attentif de la chose picturale et acteur de son aventure, retrace les conditions d’avènement et de nativisation de la peinture dans l’île : ses lieux de formation, ses protagonistes, ses enjeux esthétiques, identitaires, politiques. Car si la peinture raconte la peinture, elle reflète aussi les engagements, conscients ou inconscients, de ceux qui la produisent. Elle dévoile la société dans laquelle elle s’insère, la relation de cette communauté à elle-même et à l’autre, ses utopies et contradictions.

Jean-Pierre Arsaye quant à lui, nous parle des «éveilleurs»: ces créateurs venus d’ailleurs qui ont importé la peinture en Martinique. Dans une société de plantation où l’essentiel de la population était constitué d’esclaves puis d’ouvriers agricoles, les conditions économiques et culturelles, marquées par la réification, l’oppression, l’exploitation, écartaient ces derniers de la pratique picturale. La peinture a donc longtemps été un art extérieur, au travers duquel des artistes de passage fixaient le regard exotique qu’ils portaient sur le pays. Ces œuvres étaient composées pour l’ailleurs, parfois pour les maîtres de la plantation ou les élites urbaines ayant échappé à son emprise. Ces peintres n’allaient pas moins représenter des modèles, voire des formateurs, pour les Martiniquais aspirant à la maîtrise de cet art. En 1943, près d’un siècle après l’Abolition, et à la faveur du lent dégagement de l’habitation amorcé par celle-ci, allait s’ouvrir à Fort-de-France, aux marges de la plantation, une école des Arts appliqués5.

Suivent les portraits de huit peintres historiques. L’histoire de ces pionniers est celle des tâtonnements et des réussites d’une appropriation: celle de la peinture par des Martiniquais. La tracée de ces figures est le cheminement d’individus en situation de porosité et d’interaction, en quête de savoir et de savoir-faire, qu’ils maîtriseront, domicilieront. Ils s’efforceront d’adapter cette adoption, d’empreindre leur œuvre de leur lieu.   

Dans «Esthétique et influence amérindiennes», Thierry L’Étang examine les pratiques picturales des civilisations précolombiennes et étudie l’usage de signes amérindiens chez quelques artistes de Martinique. Les logiques d’esthétisation de l’enracinement culturel conduisent les peintres à se saisir de plus en plus du legs amérindien et de ses marques: pétroglyphes, symboles, pigments apparaissant sur poteries et autres artefacts mis au jour par l’archéologie, palimpsestes mythologiques enfouis dans les mémoires. Cette procédure est d’autant plus opératoire qu’un stock d’items amérindiens est repérable, disponible, à l’inverse d’autres éléments du complexe génésique martiniquais, broyés par la plantation et dont les traces internes sont plus difficiles à faire affleurer, à exploiter sur le plan esthétique.

La seconde partie de ce livre, «Peinture et peintres d’aujourd’hui», est introduite par Dominique Berthet dans le chapitre: «Esthétique picturale d’aujourd’hui. Manifestes et diversité.» Ce texte prend la mesure de la variété foisonnante de cette peinture, et met en perspective les attendus idéologiques à l’origine de manifestes artistiques et d’affirmations identitaires. Cette étude analyse aussi les désengagements qu’ont pu susciter ces résolutions, et donc les oppositions entre conceptions diverses du projet artistique.  

Suit une sélection de trente artistes contemporains, dont des œuvres sont présentées. Cette sélection se donne pour ce qu’elle est: un essai de représentation de la diversité picturale en Martinique. Face à l’abondance des peintres et des catégories, on a opté ici pour un principe d’échantillonnage des styles. Ainsi sont exposés des tableaux qui vont de l’hyperréalisme le plus hallucinant de vérité à l’abstraction la plus intérieure, en passant par le symbolisme, le naïf, l’impressionnisme, l’expressionnisme et toutes les combinaisons entre figuration et abstraction. Dans cette logique, il a fallu faire des choix, et cet éventail ne montre qu’une partie des talents picturaux actuels.

En raison du caractère récent du développement de la peinture en Martinique (un peu plus d’une soixantaine d’années), certains artistes qui apparaissent dans cette sélection contemporaine appartiennent aussi à l’histoire de cette peinture. Mais ces peintres d’hier sont aussi peintres d’aujourd’hui, en atteste leur production renouvelée. 

Chacun de ces plasticiens est l’auteur d’un texte, libre réponse aux questions suivantes:

  • quel est le sens général de votre démarche artistique?
  • en quoi la Martinique participe-t-elle de votre œuvre?

Il court dans ces écrits une quête d’identité, ou plutôt d’identités: identité personnelle, identité collective. L’identité personnelle est celle de l’artiste face à lui-même, aux siens, aux autres, à son œuvre. Elle peut se nourrir de l’identité liée au lieu, voire la nourrir en retour. Mais elle ne s’y confond pas nécessairement. Elle peut s’affirmer en liberté sinon en rupture vis-à-vis de cette dernière, d’aucuns pouvant rechercher ailleurs ou en eux-mêmes la substance de leur inspiration plastique. Mais plus qu’une logique de dissociation, c’est un souci d’association qui prévaut dans ces textes. Confrontés au changement culturel, nombre de plasticiens accompagnent cette mutation en s’efforçant d’inscrire dans leurs créations des repères de Martinique, fixant ainsi quelques fragments de son vécu. Certains, affrontés aux incertitudes de l’identité collective, à l’ambiguïté de sa définition, développent même un projet volontariste visant à conforter l’originalité martiniquaise, à l’insérer pleinement dans sa géographie, à concourir à une esthétique de la Caraïbe, convaincus qu’ils sont, qu’«une esthétique est là, dans l’épaisseur d’influences culturelles accumulées». (René Ménil, 1989). 
 
Une œuvre de chaque peintre est par ailleurs l’objet d’un décryptage par un critique d’art ou un écrivain, qui s’attache à restituer l’émotion qu’éveille le tableau – c’est aussi le cas, dans la première partie, pour des œuvres des huit pionniers martiniquais.

Rédigées par des auteurs en relation d’empathie critique avec les peintures observées, ces pages offrent, par le biais d’écritures ciselées, volontiers poétiques, des lectures personnelles, des interprétations sensibles qui sont aussi des œuvres d’art : à l’esthétique picturale répond une esthétique scripturale. De ce point de vue, cet ouvrage donne aussi à lire de la littérature.

Peindre et donner à voir en Martinique, c’est donner à voir la Martinique, le pays géographique: sa nature exubérante, ses types humains variés, ses changements physiques. C’est encore représenter le pays intime : son atmosphère, son esprit, son histoire, ses histoires, paradoxes et singularités. C’est donner à entendre une île aux résonances hors de proportion avec ses dimensions. Mieux, en sublimant ses apparences sensibles, en révélant ses effets insoupçonnés, en laissant entrevoir sa transcendance, les peintures amplifient l’écho du lieu. Et font plus encore. Elles disent le «je ne sais quoi et le presque rien», l’indicible des «affinités électives» qu’entretiennent avec la Martinique ceux qui les ont réalisées. Ces créations saisissent ceux qui les observent car elles disent la beauté. Et son étrangeté.

Gerry L'Étang

Notes

  1. Le journaliste culturel Jocelyn Abatucci, auteur de nombreux documentaires sur les peintres en Martinique, nous confia en avoir rencontré quelque 180, professionnels, semi-professionnels, amateurs confirmés. Et juge ce nombre non exhaustif : «Après quinze années d’émissions sur le sujet pour Télé Martinique, j’en découvre toujours. Et je parle bien sûr d’artistes de qualité. Rapporté à une île de 400 000 habitants, cela paraît énorme. Il se joue ici quelque chose de tout à fait important autour de la peinture et des arts qui lui sont associés.»
     
  2. Recherches en Esthétique, Arthème, Arts Caribbean.
     
  3. Henri Guédon, Ernest Breleur, Hector Charpentier, Serge Hélénon…
     
  4. La rédaction des chapitres de cette première partie a été facilitée par une collecte de données réalisée par Joëlle Nottrelet, qui a fait l’objet d’un rapport au conseil régional de Martinique : Figures historiques de la peinture en Martinique, 2006.
     
  5. En novembre 1943 fut créée l’école des Arts appliqués (aussi appelée: «école des Arts appliqués de Martinique» ou «école des Arts appliqués de Fort-de-France»). Elle fut fondée par le gouverneur Georges Louis Ponton, à la suite de vœux émis par le conseil général. Cette école avait pour but, «en utilisant les richesses de la Martinique, tant matérielles que pittoresques, le sentiment artistique et l’habileté de l’artisan antillais, de développer un artisanat local de qualité et de donner à l’élite la possibilité de s’orienter vers les grandes écoles d’art de la métropole.» (Annuaire de la vie martiniquaise, tome 2, Fort-de-France, 1947, p. 349).

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Table des matières de La peinture en Martinique

7.  Préface d’Alfred Marie-Jeanne

9.  Peindre et donner à voir en Martinique, par Gerry L’Étang

12.  Histoire et figures historiques

15.  Histoire générale de la peinture en Martinique, par René Louise

53.  Les éveilleurs, par Jean-Pierre Arsaye

80.  Paule Charpentier: l’obsession d’être artiste, par Marlène Laure

86.  Le vidé du carnaval, par Maïotte Dauphite

88.  Alexandre Bertrand: Sansann, par Gerry L’Étang

96.  Bonjou patwon (La soumission), Récolte, par Jean Benoist

98.  Raymond Honorien: l’art entre réalisme et pédagogie, par Jean Marie-Louise

106. Fleur de balisier, par Georges Desportes

108. Marcel Mystille: le paysage comme expression, par Suzanne Lampla

114. Anse Dufour, par Philippe Joseph

116. Germain Tiquant: la souvenance d’antan lontan, par Renée-Paule Yung-Hing

122. Pitt, par Daniel Boukman

124. Joseph René-Corail: artiste et militant, par Jean Marie-Louise

132. Le Christ guérillero, par Jean Benoist

134. Dumas Jean-Joseph: une vie vouée à l’art, par Fernand Tiburce Fortuné

140. Grève du port, par Philippe Montjoly

142. Henri Guédon: Homo duplex, par Roger Toumson

150. Rencontre, par Jean-Marc Terrine

153. Esthétique et influence amérindiennes, par Thierry L’Étang

168. Peinture et peintres d’aujourd’hui

171. Esthétique picturale d’aujourd’hui. Manifestes et diversité, par Dominique Berthet

190. «Il est des philosophies persuadées…», par Jean-Marc Andrieu

194. Maison du bagnard, par Gilbert Francis Ponaman

196. «Né à la Martinique, dans un village de pêcheurs…», par Victor Anicet

200. Restitution n° 2, par Dominique Aurélia

202. «En rentrant de ma formation…»,  par Christian Bertin

206. Zanndoli, par Jean Marie-Louise

208. «Chaque peinture est une expérience…», par Julie Bessard 

212. Sans titre, par Jean Bernabé

214. «Le dessin, la peinture…», par Claude Cauquil

218.  Février 74, par Daniel Boukman

220. «J'ai grandi dans le creuset culturel haïtien…», par François Cauvin

224. Lespwa mal-papay, par Gerry L’Étang

226. «Il n’y a qu’une réalité, figurative ou abstraite…», par Hector Charpentier

230. Femme fleur, par Jean-Pierre Arsaye

232. «Lorsque j’étais adolescente…», par Chantal Charron

236. Abécédaire n° 1, par André Lucrèce

238. «Peindre, c’est ma façon de m’exprimer…», par Honoré Chosrova 

242.Détente à la rivière, par Raphaël Confiant

244. «L’aptitude à créer, transcender…», par José Clavot

248. Tombeau des Caraïbes, par Raphaël Confiant

250. «De l'enfant barbouilleur, j'ai gardé…», par Steph Destin

254. Coqueleur, par Pascal Saffache

256. «Quand j'ai commencé à peindre…», par Alain Dumbardon

260. Palimpseste doré, par Joël Beuze

262. «Expérimenter la figuration et l’abstraction…», par Fred Eucharis

266. Le marchand de tissu, par Jean-Pierre Arsaye

268. «L’Humain est la source de mon travail plastique…», par Jacqueline Fabien

272. Technicolor Dream for Danièla, par William Rolle

274. «Dis-moi dans quel paysage tu vis…», par Serge Goudin-Thébia

278. Échelle, par Thierry L’Étang

280. «Je crois intimement que chaque individu…», par Habdaphaï

284. Identité des identités, par Nicole Cage-Florentiny

286. «Au sortir des Arts décoratifs de Nice…», par Serge Hélénon

290.  Prie-Dieu, par Patrick Chamoiseau

292. «Je, pourvoyeur de geste(s), est un cas particulier…», par Valérie John

296. Écoute le silence, par Roger Parsemain

298. «Le peintre que je suis, exprime difficilement avec des mots…», par Louis Laouchez

302.  Fugue, par Joëlle Busca

304. «C’est au collège Ernest Renan de Fort-de-france…», par Marc Latamie

308. MansaSpan..., par Maryse Condé

310. «Mes cercles solaires sont imprégnés de lumière de mon île… », par René Louise

314. Chant de chamane, par Fernand Tiburce Fortuné

316. «Je tente d'être une sorte de chroniqueur…», par Raymond Médélice

320. Dorlis, par Monchoachi

322. «Quand j’étais enfant, je ressentais le besoin impérieux…», par Christophe Mert

326.  Aujourd’hui?, par Éric Pezo

328. «Mots / Métaphores / Formes et couleurs…», par Bertin Nivor

333. Kwaïb-kat-kwazéshu, par Fernand Tiburce Fortuné

334.  «Je réalise mes œuvres sur différents supports…», par Pacha

338. Papa Jean, par Renée-Paule Yung-Hing

340. «La vision du peintre…», par Victor Permal

344.  Vwel pwason, par Gerry L’Étang

346. «À vivre imprégnée de la lumière de Martinique…», par Martine Porry

350.  Saisons, 25 – février, par Renée-Paule Yung-Hing

352. «La Martinique que je peins est celle de mes souvenirs…», par Raphaël Prospa

356.  Récolte des cannes, par Raphaël Confiant

358. «Cherchant, il y a bien des années déjà…», par Catherine Théodose

362.  Morne sable, par Jean Bernabé

364. «Franchement, je ne me pose pas la question…», par Laurent Valère

368. Manman Dlo, par Thierry L’Étang

370. Références bibliographiques

372. Index des œuvres par artiste

Viré monté