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La peinture en Martinique
Maison du bagnard
par Gilbert Francis Ponaman

Maison du bagnard

Jean-Marc Andrieu – Maison du bagnard, 1991, Acrylique sur toile, 168 x167 cm.
(photo Jean Popincourt)

«Enfin des Mondes invisibles deviendront réalité». Ce mot d’Apollinaire illustre la Maison du Bagnard, qui emprunte le sentier lumineux de l’art sacré pour nous conduire vers l’Ailleurs. Ce chef-d’œuvre de mysticisme pictural témoigne du génie de Jean-Marc Andrieu à transcender la banalité du quotidien.

Cette peinture ne s’explique pas, elle se ressent. L’artiste l’inscrit dans une forme carrée, fenêtre ouverte sur le monde spirituel, restituant l’infini des cieux et non «l’obscure clarté» qui descend des étoiles. Il éveille notre conscience en nous offrant par touches fiévreuses la vision d’un ciel bleu touareg s’unissant au bleu ciel de la mer des tropiques. Sa palette décline cette couleur froide en foncé, cobalt, lapis-lazuli, azurite, aigue-marine, rythmant la toile d’éclats lumineux. Par l’absolu du bleu, le peintre suggère le divin, la plénitude.

Au milieu de cet azur teinté d’indigo, surgit l’astre jaune safran, rouge safran, dont les flammes parcourent le ciel, dorent l’ensemble. Je vois dans cette couleur chaude en mouvement, l’allégorie de mains hindoues malaxant le mandja solaire, bénissant bêtes, hommes et dieux d’eau de curcuma, allusion à une société créole fascinée par des dévots autrefois hués.

Couleur et lumière orchestrent la composition. Cette œuvre est avant tout un jaillissement de couleurs sublimées par la lumière. C’est leur association plus que le sujet lui-même qui structure la toile. Au premier plan, deux arbres au feuillage vert donnent une impression de profondeur, facilitent la mise en relief des formes et de l’espace. Le vert suggère la vie, l’omniprésence de l’arbre sacré. Des touches marron foncé, jaune citron, jaune safran des Indes, mauve, rose s’interpénètrent et offrent le sentiment d’une foule colorée, semblable à celle que décrivait Lafcadio Hearn, «Une population fantastique, surprenante, une population des Mille et Une nuits. Elle est de couleur variée mais la dominante est le jaune, avec tous ces tons intermédiaires.»

Par la disposition des éléments secondaires, arbres, pierres, buissons vert pomme, par l’opposition des couleurs, le peintre laisse à penser qu’une diagonale traverse son tableau et nous ramène au sujet central: la Maison baignant dans l’incandescence. Son architecture s’apparente à une chapelle, une pagode, tant les symboles foisonnent. La toiture rose mauve compose une série de triangles imbriqués. Triangles maçonniques?

La Maison est petite. Le bagnard est un homme seul, son statut le stigmatise. Pourtant il reste sensible au partage. Le rose de la toiture, de l’auvent, des volets relevés, nous indique sa capacité à aimer malgré sa solitude. Sur la façade avant, une véranda à demi fermée par une balustrade rouge et bleue – son agencement évoque encore des triangles. Deux piliers bleus soulignent la forme rectangulaire de la façade. Au-dessus de l’auvent, deux traits de couleur verte délimitent un triangle dont le sommet surmonté d’un cierge élève vers la transcendance. Dans l’embrasure de la porte, on croit reconnaître une croix de Lorraine. Carrés, cercles solaires, triangles, rectangles, croix parsèment l’œuvre et informent de la connaissance qu’a le peintre de la géométrie sacrée.

La Maison du Bagnard est un portail vers l’univers de l’invisible. Elle transcrit cette pensée de Tagore: «L’art sert à faire embrasser par notre conscience des sphères plus vastes et plus hautes.» En ce sens, elle est un chant cosmique. À travers des variations entre figures ésotériques, jeu exhaussé par une symphonie de teintes exaltées, Andrieu nous transmet un message: l’homme doit regarder le monde par la fenêtre de son âme pour voir au-delà, sortir des limites de l’égotisme et plonger enfin dans la lumière, dans les tons de l’arc-en-ciel. Tel un éveilleur de conscience, il nous arrache à la nuit, nous guide, nous révèle que nous sommes aussi l’Infini.

Gilbert Francis Ponaman

Maison du bagnard

Maison du bagnard. Photo © Matinikphoto.com

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