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Le commerce diabolique

Franck Degoul

 

 

 

 

 

 

 

 

Le commerce diabolique, Franck Degoul • 2000 • ISBN 2-84450-063-8 •
Ibis Rouge • Couverture : aquarelle originale de Thierry LIMA
Le commerce diabolique

Étude ethnologique sur les croyances magico- religieuses aux Antilles.

Cet ouvrage se construit sur des entretiens avec des personnes de tous milieux sociaux et l'auteur se donne comme gageure d'explorer l'imaginaire du pacte diabolique qui transparaît à travers les propos des informateurs. Certes il existe des écrits sur ce pacte, mais ils se contentent de présenter des stéréotypes et des préjugés lorsqu'il s'agit de décrire de tels phénomènes.

L'auteur, à partir des récits mettant en scène des personnes que l'on soupçonne d'avoir pactisé avec le diable, pose la problématique du rapport du réel et de l'imaginaire en analysant le phénomène du «on dit cela et c'est vrai» c'est-à-dire de l'être collectif. On découvre ainsi un imaginaire des lieux, propices à la prise de contact avec le diable, des pratiques magico-religieuses qui sont différentes de celles d'aujourd'hui, l'obtension des richesses étant la principale motivation.

Une analyse de la prise de contact avec le diable revèle qu'il existe un imaginaire du livre diabolique qui est à l'univers du Mal ce que la bible est au Bien.

L'engagement lui-même est perçu comme une servitude qui conduit fatalement à la perte de l'engagé. Celui-ci serait amené en échange de biens à vendre des gens, des enfants et des signes, des indices révèlent ses accointances avec le diable.

Certaines classes sociales ou certaines ethnies sont souvent représentées dans les récits ayant trait à un quelconque engagement avec le diable. En explorant cet imaginaire, l'auteur pénètre l'intime d'une culture qui ne se serait peut-être pas autant dévoilée si elle avait été interrogée de front.

Franck Degoul est né en 1976, il prépare un DEA d'anthropologie à l'université de Provence sous la direction de Jean-Luc Bonniol. Son étude porte sur la figure du fossoyeur en Martinique et plus largement sur l'imaginaire des divers rapports existant entre vivants et morts au sein de cette société.

Le commerce diabolique est son premier essai, mais un de ses articles figure dans Le Visteur Lumineux.

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«Franck Degoul, tout jeune chercheur, s'est en effet attaché à rassembler un matériel textuel oral, et à scruter à travers lui le contenu même d'un corps de croyances. En donnant la priorité à la parole même, il nous démontre ce que peut fournir en la matière de la belle et bonne ethnologie, surtout lorsqu'elle est servie par un bonheur jubilatoire de l'écriture. Le lecteur qui saura s'immerger dans ces pages accèdera à l'intime d'une culture, à ce qui en constitue ses ressorts les plus profonds. Car ce qui nous est présenté relève d'un système d'explication global de l'action des hommes en ce monde, un système où sont définitivement réglés tous les tenants et les aboutissants de nos destins : la mort du vice-recteur Revert, auteur d'un des premiers ouvrages consacrés à la magie antillaise, ne fut-elle pas liée, selon une rumeur insistante, à un quimbois lancé contre celui qui s'était imprudemment échappé de ses allées familières de géographe pour s'intéresser de trop près aux charmes et aux sortilèges de la terre martiniquaise ?»

Jean-Luc BONNIOL

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Préface

Tout n'a-t-il pas déjà été dit sur l'univers de la magie et de la sorcellerie aux Antilles? Depuis plusieurs décennies, les ouvrages n'ont pas manqué sur le sujet, flirtant parfois avec un sensationnalisme de pacotille, ou bien, sur un mode plus savant, dévidant les fils d'une analyse psycho-logique, voire psychanalytique, capable de sonder les profondeurs de l'âme antillaise, ou bien encore s' appuyant sur la relation d'anecdotes sorcellaires pour s'intéresser avant tout aux interactions micro-sociales entre les individus...

Mais on trouvera dans cet ouvrage autre chose. Franck Degoul, tout jeune chercheur, s'est en effet attaché à rassembler un matériel textuel oral, et à scruter à travers lui le contenu même d'un corps de croyances. En donnant la priorité à la parole même, il nous démontre ce que peut fournir en la matière de la belle et bonne ethnologie, surtout lorsqu'elle est servie par un bonheur jubilatoire de l'écriture. Le lecteur qui saura s'immerger dans ces pages accèdera à l'intime d'une culture, à ce qui en constitue ses ressorts les plus profonds. Car ce qui nous est présenté relève d'un système d'explication global de l'action des hommes en ce monde, un système où sont définitivement réglés tous les tenants et les aboutissants de nos destins : la mort du vice-recteur Revert, auteur d'un des premiers ouvrages consacrés à la magie antillaise, ne fut-elle pas liée, selon une rumeur insistante, à un quimbois lancé contre celui qui s'était imprudemment échappé de ses allées familières de géographe pour s'intéresser de trop près aux charmes et aux sortilèges de la terre martiniquaise ?

Pas ici de surinterprétation, mais simplement la restitution d'une logique culturelle. Il ne s'agit pas d'un simple inventaire des conduites et des représentations liées à la magie ou à la sorcellerie. Franck Degoul s'est centré sur un épisode majeur, tel que le révèlent les discours, et autour duquel tout s'ordonne: le pacte avec le diable. Le terme engagé est un vieux mot du lexique antillais, qui remonte aux premiers temps de la colonisation, dénotant l'existence d'un contrat, qui était alors de 36 mois pour ces travailleurs qui devaient racheter le prix de leur voyage en travaillant pour le compte d'un habitant-propriétaire. Le terme a subsisté pour désigner tous ceux qui n'hésitent pas à commercer avec le Malin, de manière non plus temporaire mais définitive.

L'existence de gens gagés semble bien au cœur d'un système explicatif où certains, selon une logique de l'échange réciproque («le diable ne donne pas comme ça»...), arrivent à gagner du pouvoir, et par là à triompher des autres, ou de ce que leur réserve la vie... Triomphe éphémère, car le diable a bonne mémoire et exige toujours, le moment venu, son dû. Loin d'une explication en termes de hasard, ou de nécessités internes, nous sommes là dans un monde où ce sont les intentionnalités croisées qui priment: il est toujours possible, dans le succès inouï de celui qui arrive à sortir du rang, ou dans le malheur inexpliqué qui vous accable, de découvrir une intention cachée. Cet univers est évidemment, à double sens: d'une part y est pointée la réussite individuelle, éminemment trouble; cette réussite contient d'autre part en creux le non-succès des autres, qui peuvent à leur tour, dans leur désir de restaurer une égalité compromise, être suspectés de commerce diabolique. D'où la nécessité, qui est au centre des conduites magiques antillaises, de se garder en permanence des flèches maléfiques qui peuvent à tout instant vous transpercer, que l'on soit puissant ou misérable...

Un tel système explicatif, qui concerne au premier chef les relations interindividuelles, a partie liée avec le social, dont il épouse tous les replis. Comme tel, il porte les empreintes du passé, et relève d'une histoire de la société marquée, depuis les premiers temps de la colonisation, par la pré-valence d'une situation de domination et de dépendance articulée à la distinction hiérarchique des couleurs, comme en attestent les nombreux stéréotypes socio-raciaux que l'on peut repérer dans le corpus narratif mobilisé (le Nègre, le Chabin, le Béké, l'Indien...), ainsi que la configuration même de la relation mise en œuvre (vente, servitude consécutive).

Mais, par ses contenus même, il s'inscrit dans une histoire de rencontre de cultures: le diable est d'évidence une figure chrétienne, appartenant à la tradition occidentale, et les motifs que l'on peut discerner dans les récits qui le font entrer en scène rappellent étrangement ceux qui émaillent le vieux fond des contes européens. Dans le même temps a été établi tout un système d'équivalences avec les croyances africaines, qui permet de rendre compte de l'extrême prolixité de la figure diabolique, et de la luxuriance des créatures qui éventuellement l'accompagnent. La créolisation a enfin emporté cet imaginaire, lui donnant à la fois une tonalité particulière et une place centrale dans les représentations du monde. On est là, manifestement, en face d'une région privilégiée, selon le mot de Fanon, de 1'«âme locale», qui offre une réserve inépuisable de métaphores à ceux qui essayent de penser le destin de ce type de sociétés...

Mais trêve de spéculations: la cour ne dort pas, et elle est certainement impatiente que place soit faite maintenant à Satan, à son bal et à ses œuvres!

Jean-Luc BONNIOL

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boule

 Viré monté