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Le grand retour à la poésie
du poète Robert Berrouet-Oriol

Hugues Saint-Fort

 

 

 

 

 

 

 

 

Simoun, Robert Berrouët-Oriol • 2021 • ISBN 9782898010989 •
Éd. TRIPTYQUE • 17,95 $

Le nom et l’œuvre littéraire de Robert Berrouet-Oriol sont entrés dans la littérature québécoise en 1986 par le truchement d’un article célèbre titré «Effet d’exil» paru dans la revue culturelle Vice Versa et consacré à l’émergence des «écritures migrantes» (Robert Berrouet-Oriol: L’effet d’exil, in Vice Versa, # 17, décembre 1986-janvier 1987). Depuis, l’expression «écritures migrantes» est devenue un des concepts clé de la littérature québécoise, un texte fondateur que Berrouet-Oriol a utilisé pour distinguer «entre deux notions voisines pour définir la double originalité de ces écritures: «voix migrantes» pour signifier qu’elles sont venues d’ailleurs, et «voix métisses», pour préciser qu’elles s’hybrident au contact des voix d’ici» (Beniamino et Gauvin 2005).

Berrouet-Oriol a poursuivi ensuite une activité strictement littéraire en publiant en 1986 Lettres urbaines; en 2009 En haute rumeur des siècles; en 2010 Poème du décours qui a gagné le grand Prix du livre insulaire en France, en 2013 Découdre le désastre, suivi de L’ile anaphore qui a reçu la Mention d’excellence de la Société des écrivains francophones d’Amérique;  en 2016 Éloge de la mangrove.

Pendant quelque temps, Berrouet-Oriol a publié surtout des textes relevant de sa profession de linguiste, textes touchant aux questions d’aménagement linguistique à l’intérieur de son pays d’origine, Haïti, et de ses problématiques socio-éducatives qui devenaient de plus en plus pressantes. Il s’est impliqué considérablement dans ces problématiques et je croyais qu’il avait mis de côté les exigences de la fiction poétique. Mais, le poète restera toujours poète, puisqu’on n’oublie jamais ses premières amours. Berrouet-Oriol est donc revenu à la poésie avec ce recueil Simoun qui constitue son sixième recueil, publié chez son éditeur de prédilection, Triptyque, qui a publié ses cinq précédents.

La page de garde de Simoun livre une citation du célèbre poète français d’origine guadeloupéenne Saint-John Perse, tirée de son recueil Vents (1946). Cette référence constitue une excellente introduction à la thématique de base du texte de Berrouet-Oriol. Le simoun est un vent désertique: chaud et violent, chargé de tourbillons de sable, il souffle, entre autres, dans le Sahara. Le texte de Berrouet-Oriol s’apparente à une puissante évocation de ce vent chaud et lointain que le poète utilise pour marquer sa fiction poétique et adresser des accents lyriques intenses à l’être aimé. Car, sous des dehors hermétiques, Simoun est d’abord un long poème d’amour incandescent. Formellement, il se situe dans la lignée des textes poétiques modernes d’expression française qui ont rejeté la versification classique pour adopter le vers libre et/ou les versets, l’oblitération de toute ponctuation (absence totale de virgule, de point…). Les poèmes contenus dans Simoun n’ont pas de titre, et le lecteur doit faire appel à sa propre lecture des textes du recueil pour interpréter où commence et où finit un poème. Berrouet-Oriol compose ses versets de façon à multiplier de larges espaces blancs tout au long de ses poèmes. Cette technique relativement répandue dans la poésie française et francophone contemporaine a été introduite par le poète symboliste français Stéphane Mallarmé (1842-1898) avec son célèbre poème Un coup de dés jamais n’abolira le hasard (1897) et occupe une certaine place dans la pratique poétique de Berrouet-Oriol mais ne joue pas un rôle prépondérant. Ces particularités formelles de la poésie française et francophone contemporaine sont loin toutefois de constituer un obstacle à tout effort d’appréciation de la poésie moderne et le recueil Simoun fournit un exemple éclatant. La grande force de Simoun, c’est tantôt l’éclat des illuminations poétiques majestueuses des versets, tantôt le calme proche imitant la répétition d’une prière:

        canne blanche canne pour recoudre le fil cassé de l’encre
       et retrouver terres fertiles du Poème
     à conjurer silences
              me voici encor en route vers toi
   Amande d’improbables rives
             quelle langue ce jour parler
                      pour chausser tes pas
à chaque carrefour de l’aube
où ma mémoire défaille défaite aux malingres tribulations
    d’hier
vaincues à la fécondité du scalpel

Dans ce court poème, le seul à porter un titre, le titre même du recueil, il y a peut-être les thèmes fondamentaux qui constituent le cœur de la fiction poétique contenue dans le texte: les silences qu’on implore, la supplique adressée à l’Amande, l’être aimé qui circule sur «d’improbables rives», la quête de cette langue que le poète ne peut parler…Sous une forme ou sous une autre, le lecteur retrouve ce vers: 

Je n’ai plus de bouche pour parler…
ou ses variations par le signifié, ou par le signifiant jusqu’à disparaitre totalement et arriver à «se parler par signes». Mais
se parler par signes est aussi source de lumière
             en tes bras hospitaliers
                      je conquiers la haute luminosité du désert
il y a que l’amour cherche encor sa langue primitive
en toi je la trame
et je m’ouvre à toutes les langues du désert

Quelques poèmes plus loin, ces thèmes s’amplifient pour former un imaginaire totalement onirique:

Simoun ô vent majuscule
Dans la fureur la moiteur des grands espaces sahéliens
brûlant voûtes plantaires au défilé des caravanes
sais-tu que chaque grain de sable aux semelles de
     L’Harmattan
porte topographie de destins brisés
             à l’aune des rêves nomades
comment résister à la malerage du Simoun
quand se délitent les vœux adressés à l’Amande
                   tous les jours lus au fronton des rétines
épuisé au cens des détresses
enfouies sous torpeur du désert
                            je n’ai plus de bouche pour parler
                                       langues de l’absence
je tisse à rebours chemins de faïence
et recouds la trame de tes voies de traverse
nul décri en amont n’abolira tracées fécondes de mes
      paumes

On ne peut pas passer sous silence la qualité de la langue poétique de Robert Berrouet-Oriol. D’abord le vocabulaire, marqué par une recherche extrêmement travaillée de mots rares choisis pour leur qualité rythmique, mélodique, chantée, mais aussi la syntaxe tour à tour classique, somptueuse, élégante et ciselée. Rares sont ceux qui resteront insensibles à un tel délice, que ce soit sous forme d’une communication écrite ou orale.

Hugues Saint-Fort
Juillet 2021

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 Viré monté