Une république à inventer

Jocelyn Valton

L'esclavagisme demande pardon.
L'esclave médite le mot abolition. Pierre GUION

L'émission «Culture et Dépendances» diffusée le 5 mai 2005 sur la chaîne de la télévision française Tempo avait pour thème de débat: «Y a-t-il un racisme anti-blancs?». La question ne m'a pas laissé indifférent.

Parmi les invités sur le plateau, on pouvait compter: le philosophe Alain Finkielkraut, qui a défrayé récemment la chronique par des interventions radiophoniques aux cours desquelles il s'exprimait sur ce qu'il est convenu d'appeler «l'Affaire Dieudonné» du nom de l'humoriste d'origine africaine. Les Antillais, du point de vue du philosophe, n'étant que des «assistés»; Elisabeth Lévy; l'écrivain Calixte Beyala; Olivier le Cour Grandmaison, auteur d'un ouvrage récent: «Coloniser Exterminer»; Tarik Ramadan; Didier Pérat auteur de: «En manque de civilité» et Claude François Paoli, un ressortissant Corse.

Ce débat a lieu alors qu'Alain Finkielkraut est à l'origine d'une pétition circulant à Paris sous la forme d'un «Appel contre les ratonnades anti-blancs».

Avant de dire quoi que ce soit d'autre, le Nègre que je suis voudrait affirmer qu'il se sent aussi Juif, bougnoule, bridé et autres qualificatifs qui stigmatisent l'appartenance ethnique ou raciale et que l'on voudrait péjoratifs. Je veux dire par là que j'ai éprouvé la profondeur de la condition humaine par où l'on a cherché à déshumaniser les miens. Je porte en moi cette mémoire à dimension universelle et me sens solidaire de toute fraction de l'humanité à qui l'on tenterait de dénier sa condition humaine. C'est, devant les tragédies de l'histoire, la réponse d'un Antillais à Alain Finkielkraut.

Quelques éclaircissements sont nécessaires dans les débats récents qui agitent la société française. D'abord savoir de quoi l'on parle. Et je suis frappé d'entendre le mot racisme vidé se son sens. Or il me semble que certains mots sont suffisamment graves pour qu'on les utilise avec la précision qu'ils méritent et qu'on refuse de les voir arrangés et délayés à la sauce médiatique. Le racisme, en dépit de toute rationalité scientifique, est une invention de l'Occident qui a divisé et hiérarchisé les groupes humains selon leurs phénotypes, leurs apparences physiques.

Je n'apprendrai rien à personne en disant que les Occidentaux, dits de «race blanche», se sont placés au sommet de cette hiérarchie fabriquée. Les hommes dits «Noirs», «Jaunes» ou «peaux-rouges» étant considérés comme inférieurs, quand il ne leur était pas, purement et simplement contestée leur condition humaine. Le racisme renvoie donc très précisément à ces théories haineuses et fardées de scientisme éhonté, à grands coups de mesures anthropométriques que l'Occident a tenté d'imposer au reste du monde.

Il est bon de rappeler soixante ans après le second conflit mondial, que ces théories racistes ont mené le monde dit «civilisé» au mal absolu, à l'une des plus grandes barbaries de tous les temps conduite par les meutes nazies. Avec comme dessein, d'éliminer de la surface du globe des pans entiers de l'humanité au seul motif de leur différence. Et je pense à l'idée que nous serions, selon certains, trop préoccupés par notre histoire. Mais elle doit bien servir la mémoire des peuples, à tenter de repousser les temps barbares. Ces temps qui partout, avec l'oubli comme complice, font le rêve compulsif du retour. La mémoire, dans cette guerre, n'est rien moins qu'une arme miraculeuse.

Revenons à cette mise au point. Racisme: haine d'un groupe humain dit de «race différente» et jugée inférieure. Voilà cette invention de l'Occident. Et le vieux démon n'est pas mort. En témoignent les 2'500 nazis nostalgiques du IIIe Reich essayant, bannières rouges et noires au vent, de défiler à Berlin ce 8 mai 2005.

Ainsi parler de racisme anti-jeune n'a pas de sens. Tout au plus est-il question de conflit de générations à l'intérieur d'une société. Encore qu'il me paraisse abusif de parler de haine des adultes, donc des parents à l'encontre de leurs enfants. Les raccourcis de manchettes de journaux brouillent la pensée et nous font parfois tomber dans le ridicule.

Claude François Paoli lors de l'émission, évoquant un «racisme anti-Corses», tombe aussi dans l'abus de langage. Une situation politique conflictuelle entre la France continentale et une île géographiquement proche qui revendique son indépendance politique, débouche depuis de nombreuses années sur des affrontements armés, des attentats contre le pouvoir français qui répond par la répression. Dans ce conflit entre gens de même race, il n'est donc pas question de racisme. Il ne faut pas tout confondre.

De même, lorsqu'en Guadeloupe des conflits larvés, et des tensions xénophobes (que l'on doit déplorer et condamner) s'expriment à l'encontre des ressortissants de la communauté haïtienne, il ne s'agit pas de racisme. Ce qui oppose et divise Guadeloupéens et Haïtiens n'a pas de rapport avec un conflit de «race». Les deux groupes humains concernés sont Nègres. C'est la question de l'immigration massive, mal contrôlée avec toutes les conséquences socioéconomiques et de pression démographique que l'on sait. Ce qui, je le rappelle, n'excuse rien!

J'ajouterai que le racisme étant la croyance des Occidentaux en la supériorité de la race Blanche, je ne connais que ce racisme-là. Car enfin je n'ai jamais entendu aucune autre faction de l'humanité prétendre au titre de race supérieure. Il faudrait être, il est vrai, tombé sur la tête, pour avoir de telles prétentions. On laissera donc volontiers ce privilège à ceux qui le réclament. Mais il faut bien que ceux qui ne sont guidés que par la haine et le mépris de l'autre s'attendent à quelques retours de bâton.

Que dire alors de «l'Appel contre les ratonnades anti-blancs» lancé par Alain Finkielkraut? Il fait suite à des incidents survenus au cours d'une manifestation de lycéens, manifestant à Paris contre la réforme de l'enseignement dite «loi Fillon», le 8 mars 2005. Au cours de cette manifestation, des cogneurs se seraient livrés à des agressions à l'encontre de manifestants. Vols à l'arraché de téléphones portables, coups de poing et autres brutalités. Les agresseurs seraient des jeunes venus de la banlieue. Doit-on s'étonner de l'agressivité de ces jeunes des banlieues? Français, ils sont pour une bonne part issue de l'émigration, d'origine magrébine, antillaise, africaine… et vivent en marge de la société française. Ils ont vu leurs parents au plus bas de l'échelle sociale et connaissent avec eux les difficultés matérielles, le mépris et le racisme poli à la Française.

Alain Finkielkraut disait dans l'émission qu'il fallait «être du côté de la République» et qu'il était «difficile d'intégrer des gens qui n'aiment pas la France». Hélas, l'histoire nous montre que la République n'a pas toujours été du bon côté. Celui des plus faibles. La République a trop souvent été un outil d'oppression. J'apprenais au cours de cette même émission l'existence des tueries de Sétif (entre 15'000 et 35'000 morts Algériens) orchestrées par l'armée française le 8 mai 1945 alors même que l'Europe, et son allié américain, fêtait dans la liesse la libération du joug de l'oppresseur nazi. «L'histoire générale contre l'histoire de communautés aigries» dont parle Alain Finkielkraut ne peut être qu'une histoire débarrassée des révisionnismes scandaleux qui ont coulé une chape de plomb sur les dérives et les errements criminels de l'Occident, habile à se fabriquer une mémoire qui ne l'importune pas.

Nous voudrions aimer l'Occident et la France des nobles idéaux, mais il faut que l'esprit de domination, le mensonge et le mépris disparaissent par la volonté des peuples et des gouvernements qui les représentent. Il faut que les torts soient reconnus et que se manifeste à la face du monde le désir sincère de les réparer. Qu'elle soit aimante et juste envers tous et nous pourrons aimer cette République devenue autre, désormais en accord avec l'image qu'elle veut donner d'elle. Et nous ne faisons pas ici état d'une volonté de culpabilisation, mais bien de responsabilisation.

Alain Finkielkraut a d'autre part avancé que le désir de reconnaissance est plus fort que le désir de vérité. Je dirai qu'ils sont imbriqués lorsqu'on considère la situation des anciens colonisés d'Algérie, d'Afrique ou des Caraïbes. Nous livrons depuis longtemps bataille pour que notre mémoire ne soit plus honteuse, falsifiée ou occultée. Et l'on voudrait nous faire croire que nous ressassons trop et que cela nous empêche d'avancer. J'objecterai que pour aller dans une direction, on a besoin d'avoir une conscience précise de l'espace, du derrière et du devant. Cela tombe sous le sens.

Elisabeth Lévy s'étonnait sur le plateau que l'on ne place pas toutes les traites négrières sur le même plan et que les reproches soient dirigés contre l'Europe. Ainsi l'Occident serait moins coupable qu'on ne voudrait le faire croire car, après tout, il y a eu l'esclavage entre les chefferies africaines, et puis aussi celui organisé par les Arabes. Cela mérite réponse.

Entre le XVIe et le XVIIe siècle, le temps des «Lumières», se développe en France et dans le reste de l'Europe, une pensée rationnelle qui permet l'éclosion de grandes découvertes scientifiques. Les nations européennes qui se disent «civilisées», en opposition au reste du monde dit «sauvage» vont, en réalité, profiter de leur avance technologique pour porter la barbarie au cœur de civilisations moins avancées sur ce plan. L'Europe est de fait comptable de son inhumanité qui l'a conduite à perpétrer des massacres à dimension de génocide et à asservir un pan entier de l'humanité.

La traite négrière transatlantique, systématisée et étendue comme jamais dans l'histoire à une échelle intercontinentale, justifiée par une religion détournée de ses principes les plus fondamentaux, codifiée en France par le «Code Noir» de Colbert, ministre de Louis XIV, est bien à distinguer des formes de l'esclavage antique. Elle s'en distingue par son arrogance, son mépris et sa mauvaise foi sans précédents, car l'Europe était philosophiquement outillée pour savoir que ce système était une barbarie. Elle l'a pourtant maintenu par la force, la répression et les pressions idéologiques jusqu'au milieu du XIXe siècle. 1848, seconde abolition en Guadeloupe, après un rétablissement par le «grand» Napoléon Bonaparte dont les Français célébraient la mémoire il y a peu. Que dire aussi de cette Europe du XXIe siècle qui peine encore à reconnaître ses crimes contre l'Homme et s'agace de voir la dignité se manifester quand nous réclamons le respect de la mémoire de nos ancêtres.

Si l'Europe croyait l'affaire entendue c'est qu'elle n'a pas foi en l'Homme car la force de l'humanité est bien là à renaître de ses cendres d'ébène sur des bouts de rochers perdus en plein océan, quand ce n'est sur les pavés parisiens comme un 23 mai 1998 lors d'une marche silencieuse rassemblant 40'000 personnes, petits-fils d'esclaves des Amériques françaises.

Une date que nous voudrions voir adoptée comme journée nationale au nom d'une histoire partagée avec les Français mais d'une mémoire que nous portons seuls en nous.

Kaouane, le 8 mai 2005
© Jocelyn Valton

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