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José Le Moigne,
Martiniquais de l’autre bord de l’eau

8. janvier 2010

 

 

Source:
Politiques publiques net

 

 

 

 

 

 

Photo Christine Le Moigne

José Le Moigne

Àl’heure des grandes interrogations existentielles pour la Martinique, à l’heure d’un étroit débat à la tournure douteuse sur l’identité nationale en France, Politiques Publiques a souhaité recueillir le témoignage de martiniquais "de l’autre bord de l’eau". Nous avons choisi de nous entretenir avec José Le Moigne, écrivain, martiniquais, et breton. Un témoignage personnel, mais dans lequel bon nombre "d’expatriés" se reconnaîtront sans doute.

PP : Quelques mots à propos de vous?

J’ai 66 ans depuis ce matin dont 63 passés en métropole. Ce terme ne me fait pas peur. C’est ainsi que l’on dit depuis que je suis né et je ne veux pas tomber dans la paranoïa langagière même si, je suis le premier à reconnaître que cela a quelque chose de condescendant.

Je suis né à Fort-de-France, en 1944, au kilomètre 2 de l’ancienne route de Schœlcher, un peu plus haut que la Croix-mission. Mon père était breton, marin sur L’Emile Bertin ou le Béarn, à moins qu’il ne fût tout simplement caserné au Fort Saint-Louis. Ma famille n’en a pas conservé la mémoire. Il n’en reste pas moins que pour mes cousins Martiniquais, qui ne l’ont jamais connu, il reste «Tonton Alain». Ma mère était institutrice à l’école Pérrinon. Ils se sont aimés, ils se sont mariés en 1942, sous l’administration de l’amiral Robert de si triste mémoire, ce qui n’a pas dû être une mince affaire en ce temps où les lois raciales s’appliquaient de plein droit. Voilà pour mon ascendance.

Comment êtes vous arrivé en France?

En 1947, la guerre terminée, mon père est rentré à Brest pour se faire démobiliser. Quelques mois plus tard ma mère et leurs deux enfants nés en Martinique l’ont rejoint. J’avais 3 ans, ma petite sœur 9 mois. Commence alors ma période bretonne, école primaire, lycée et université à Brest.

Années difficiles.

C’était avant l’avion et qui montait à bord du Colombie savait que, sauf évènement non prévisible, il ne reverrait plus la Martinique. Nos familles le savaient aussi. Ainsi, Man Gabou, ma grand-mère, a refusé de nous accompagner au bassin de la Compagnie. Elle s’est cachée derrière l’endroit où je suis né pour pleurer à son aise. Je ne l’ai plus jamais revu mais plus tard, quand certains de mes copains s’embarquaient sur la Jeanne d’Arc, je n’ai jamais manqué de leur demander d’aller embrasser ma grand-mère. Le lien ne fût jamais rompu et quand je suis en Martinique, mon premier souci est d’aller sur sa tombe, au cimetière du Vauclin.

Je ne crois pas que les jeunes antillais d’aujourd’hui, même nés en métropole, peuvent s’imaginer ce que fût cette époque, dans une ville en ruine, détruite à 90% où nous étions la seule «famille de couleur». Je sais ce que veulent dire «négresse», «négro», «blanche-neige» et autres noms d’oiseaux. Racisme, rejet, misère, perte de la langue Créole que j’avais parlé en premier, voilà quel fut mon lot.

Pourtant, au fil des ans, je suis devenu un petit Breton comme les autres. Tendance indépendantiste déjà, sympathisant du FLB (Front de Libération de la Bretagne).

J’aurais pu devenir professeur. J’ai préféré m’engager dans la carrière d’éducateur auprès de mineurs délinquants (Protection Judiciaire de la Jeunesse) où j’ai terminé ma carrière comme directeur. J’avais 24 ans, pour la première fois je quittais la Bretagne pour un périple de 35 ans à travers la France hexagonale.

Quelle relation avez-vous conservé avec la Martinique ? Et comment vous considérez-vous en terme d’identité?

Malgré ce parcours, je n’ai jamais oublié la Martinique. J’ai fait le choix de conserver avec elle un lien charnel, au plein sens du terme, qui fait que je m’y sens pleinement chez moi à chaque fois que j’y retourne. La première fois j’avais 30 ans.

J’aurais pu postuler, vers le milieu des années 90, pour un poste en direction à Fort-de-France. Je ne l’ai pas fait. Cela arrivait trop tard dans ma vie et après un trop long exil. Ce fut sans doute une grave erreur, mais je n’aurais pas supporté d’être considéré comme un «négropolitain» incapable, dans un métier social, d’aligner quelques phrases en créole. Je crois que beaucoup de martiniquais de métropole nourrissent ce même complexe, cette crainte de revivre le rejet à l’envers. Je parle pour ma génération bien sûr.

Il n’empêche que je me revendique comme Martiniquais à part entière. Martiniquais et Breton avant d’être Français. Tous mes livres le prouvent. C’est une évidence, et pourquoi la rejetterais-je, ma culture formelle est française, mais mes cultures intimes, ma manière d’être au monde, sont martiniquaises et bretonnes d’abord et je milite pour. Je ne me reconnais pas dans la France Jacobine et je suis pour la reconnaissance des langues, des cultures, et de tous les particularismes clairement revendiqués.

Comment vivez-vous l’éloignement à l’heure des grands enjeux pour la Martinique?

Je trouve dommage, même si je n’ignore pas que c’est constitutionnellement impossible, que les Martiniquais de métropole, qui ont fait le choix, difficile parfois, de la fidélité, n’aient pas voix au chapitre.

Je le dis haut et fort, nous ne sommes pas a priori des assimilationnistes comme je l’ai vu écrit ici et là.

Je le redis. Je suis Martiniquais. Je suis resté Martiniquais. Et je veux être considéré comme tel. Je dirais la même chose en Bretagne si la question m’était posée ; mais il y a très longtemps que la question est résolue.

José Le Moigne, écrivain.
Propos recueillis par Franck SRR

Dernier titre de José Le Moigne paru: Joseph Zobel, la tête en Martinique et les pieds en Cévennes (Ibis Rouge éditions)

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