Potomitan

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Libre conversation avec
Joby Bernabé

José Le Moigne

 

 

 

 

 

 

 

 

menton, Juillet 2008. Photo F.Palli.

Joby Bernabé

José: Je voudrais demander à Joby Bernabé de se présenter pour les lecteurs de «Hauteurs».

Joby: Avec grand plaisir. Je suis natif de Saint-Pierre, l’ancienne capitale, qui a disparu avec ses habitants en 1902, lors de l’éruption de la Montagne Pelée. Depuis environ trente ans je suis artiste en Martinique. C’est ma profession et je me considère comme un diseur de paroles.  Je travaille autour de la parole essentiellement, en créole ou en français, avec mon guitariste ou avec quatre ou cinq musiciens.

José: voilà, c’est là-dessus que je voudrais t’interroger si tu permets que je te tutoie …

Joby: moi aussi, ça me met bien plus à l’aise et je préfère.

José: Alors, je vais essayer de te poser des questions à propos de notre communauté antillaise en métropole. Trop de jeunes, là-bas, on perdu la réalité, le signifiant du conte créole.

Joby: Oui.

José: Alors, si tu le permets, je voudrais te demander pourquoi tu as choisi le conte, le dire, le marquage de paroles, comme média artistique ?

Joby: Je ne sais pas trop si c’est l’oralité que j’ai choisie ou si c’est elle qui ma choisie. Ce qui est certain, c’est que j’étais en France en 1964. En 1970, j’ai voyagé en auto-stop à travers l’Afrique. J’ai eu, disons, comme un retour de la parole su je puis dire et je me suis intéressé au créole; plus spécialement à la création artistique en créole, à l’oralité créole; plus spécialement à la création de textes courts que je dirais en créole et parfois en français. Je me suis penché sur la tradition du conteur créole, mais je ne me considère pas comme un conteur, même s’il m’est arrivé de dire des contes traditionnels mis en scène musicalement, comme au premier festival d’Aix-en-Provence ou j’ai dis un conte qui s’appelait: Conte de la pleine lune quand elle marronne dans les bois, avec des musiciens. Par la suite, j’ai eu l’occasion de jouer dans un film qui s’appelait : La Rue cases-nègres. J’étais justement celui qui anime la veillée après la mort du père Médouze, c’est-à-dire du conteur. Bien sûr, je me suis alors intéressé à sa manière de faire. Moi, encore une fois, je travaille sur des textes courts, avec recherche poétique, une recherche sur les mots, et bien sûr la voix.

José: La gestuelle aussi …

Joby: La gestuelle aussi, mais ce n’est pas primordial.

José: Ce que tu viens de dire me fait plaisir parce que tu parles de La Rue cases-nègres et il se trouve que Joseph Zobel est mon grand ami en métropole.

Joby: Zobel, on a beaucoup sympathisé pendant le tournage de La Rue cases nègres. A chacun de ses passages en Martinique, on a l’occasion de se voir. J’ai également joué dans une pièce de théâtre tirée de ses poèmes et mise en scène par Julius Amédée Larue. Il est à Paris en ce moment pour le vingtième anniversaire de la sortie du film. Ma femme y est parce que, malheureusement je suis retenu ici par mon programme, mais j’ai adressé à Euzhan un poème par fax. J’espère qu’il sera lu. On est vraiment très proche et c’est vraiment magnifique ce que tu viens de dire, parce que ça indique qu’il y a une ronde de pensées et de paroles autour de Zobel qui est un grand monsieur. Une sorte de grand frère pour moi et je l’aime profondément.

José : Et que je respecte énormément parce qu’il représente tout à la fois mes grands-parents que je n’ai pas connu et leur génération que j’ignores tout autant parce que je suis arrivé en métropole à l’âge de deux ans et demi. Il me lie, comment dire, d’une façon sensible, charnelle, à ma culture antillaise; et donc, mon amitié pour Joseph entre tout à fait dans le cadre de ce que je veux faire ici. Mais je suis un peu embarrassé parce que j’avais préparé une série de questions qui dévie un peu. Donc, je vais te les poser et on s’adaptera si tu les juges trop carrées.

Joby : Oui, oui …Il faut que ce soit une conversation, mais il s’agit toujours d’un fil. On a parlé de zobel parce que l’instant s’y est prêté.

José : exactement, mais, pour moi, à tort ou à raison, le fil me paraît être ici le conte … mais tu dis que tu n’es pas conteur … tu es quand même diseur ?

Joby : Oui, au fait, c’est vrai que quand on parle ou que l’on pense Culture créole on pense automatiquement conte ; et j’ai été invité à bien des endroits où, malgré ce que j’avais pris la précaution de dire, on m’a présenté comme un conteur. Ce qu’il faut noter, c’est que c’est tout à fait nouveau en Martinique de dire des poèmes sur scène ; et, la première fois que j’ai présenté des paroles en créole, les gens connaissant que le conte en créole m’ont dit: j’ai entendu ton petit conte. Mais il ne s’agit pas d’histoire. Les contes sont des histoires, mais les poèmes ne le sont pas nécessairement.  Donc, que l’on parle du conte, je le veux bien puisque je m’y intéresse un peu, mais je m’intéresse essentiellement à l’oralité et aux mille façons qu’il y a de dire un texte.  Que ce soit en créole, en français ou en espagnol puisque je connais l’espagnol …

José : Donc tu t’incrit dans une « école » ( parce que je ne trouve pas d’autres mots) qui serait l’Oralité ? Le dire avec des mots plutôt qu’avec du papier, des dessins, de la peinture …

Joby : Le dire avec des mots et, dès lors que je vais m’intéresser à des poèmes qui chantent à ma voix, je vais m’intéresser à des poèmes qui permettent un accueil, une réception assez directe. Par exemple, si je dis du Césaire, je ferais le choix de certains poèmes parce qu’il y a des poèmes que l’on lit, pour soi, avec les yeux, dans son intimité, que l’on peut dire devant un certain public, mais il y a des publics qui sont vite lassés par la poésie. Je m’intéresse donc à un parole chantante, une parole sonore, que ce soit en créole ou en français; et bien souvent, je suis accompagné de musiciens. On se trouve donc là dans une apparence assez éloignée du conte, mais, ceci dit, je peux prendre le débit du conteur traditionnel parce que le conteur traditionnel a ses …paramètres.

José: Ah ! Il improvise… d’accord, ce que tu dis me déroute un peu, mais ce n’est pas grave, on va faire autrement car vu de la métropole, c’est le conte … Mais je voudrais te demander, comment tu situes, toi, l’oralité,  dans ce bourrage de crânes, en quelque sorte, que nous recevons en métropole avec Confiant, Chamoiseau et les autres …

Joby: Hé ! hé !( rires) Moi je ne suis pas persuadé qu’il s’agit de bourrage de crânes. Je crois que la parole, depuis ce que l’on pourrait appeler le verbe premier, la parole qui passe par les langues  — parce qu’il ne faut pas confondre parole et langue —  doit être partagée. De sa création à son interprétation elle passe par une palette énorme qui fait que si on écrit des romans, que l’on fasse une recherche de style comme Chamoiseau ou Confiant qui ont offert une entrée française au créole alors qu’au fond ils parlent de leur pays, que l’on ait une langue poétique comme xavier Orville ou une langue complètement dépouillée comme Zobel, c’est toujours la parole. Là  il s’agit de paroles écrites et par exemple, des paroles que je viens d’évoquer, celles de Zobel et de Xavier sont celles qui se prêtent le plus à l’oralité. Il a le conte, il y a les proverbes, il y a les titines, et maintenant il y a la parole rythmée des jeunes rappeurs. Des paroles qu’ils veulent travailler de manière sonore. Donc,  pour moi, c’est une même parole qui se développe et c’est la parole d’une terre, d’un pays, d’une aspiration qui va se développer sous une forme très intellectuelle, ou alors analytique comme celle de Glissant quand il parle du pays,  à une à une parole chantée, rappée ou dite de différentes manières …

José: oui, là je me retrouve. Tu dis ma pensée avec d’autres mots. Quand tu parles de Zobel et d’une filiation, je me retrouve. Quand tu parles d’Orville, je me retrouve. Quand tu parles des jeunes rappeurs, je me retrouve aussi. Mais quand tu parles de Chamoiseau et de Confiant, je me retrouve moins car, comme beaucoup d’Antillais  de métropole, je suis à la recherche d’une culture créole dont nous avons été privé. Nous allons donc vers le roman pour tenter de la retrouver par l’imaginaire. Ainsi je me retrouve  dans les premiers romans de Chamoiseau, Texaco notamment, je me retrouve dans ceux de Raphaël depuis Le nègre et l’amiral jusqu’à …

Joby: La Vierge du grand retour.

José: Oui, je m’y retrouve, même si c’est réducteur, parce que j’ai l’impression de vivre une culture antillaise qui, malgré les aléas, est demeurée la mienne et d’entendre, en quelque sorte ma maman. A partir de là, il y a une rupture. J’ai l’impression que l’on veut m’inoculer de force une créolité intellectualisée qui n’est plus la mienne et qui me m’impose, tu me diras ce que tu en penses, une sorte de frontière. Il y a ceux qui vivent dans l’espace Caraïbe et qui possède le créole et qui peuvent avancer dans l’acquisition d’une nouvelle graphie, une nouvelle grammaire … et ceux, qui comme moi, ont été, à leur cœur défendant, coupé dans leur élan de réappropriation parce que lire le créole de Confiant et de Chamoiseau leur devient impossible. Je parle du nouvel ordre de la langue créole, pas de la créolisation, géniale, du français par ces auteurs que par ailleurs je me sens proche.

Joby: C’est donc leur créole, pas leur français ?

José: Ah non, leur créole ! Parce que le français, j’ai la chance de le connaître assez pour faire la balance. Rabelais, par exemple, puisqu’on fait souvent référence à Rabelais quand on évoque Confiant, je me régale. Je veux simplement dire que cette nouvelle manière d’écrire le créole m’enferme, dans un paradoxe qui me navre, dans mon créolisme métropolitain et m’interdit, du moins pour le moment, l’entrée de ma créolité martiniquaise. Je reconnais que c’est un peu confus.

Joby: Non, il y a là un véritable questionnement ; mais il est vrai que, disons dans une période d’élaboration d’une culture sur un noyau identitaire, il y a différents antagonismes. Je trouve que Chamoiseau, Confiant et Jean Bernabé, au départ, on voulu seulement rattacher la créolité seulement au créole. Aujourd’hui on sait qu’elle n’est pas rattachée seulement au créole. La créolité, c’est aussi une manière de penser, de voir le monde, tant et si bien qu’il y a une rencontre entre Chamoiseau et Glissant pour que la langue et la culture créole soit un lieu de naissance et en même temps d’observation. La notion de société récente est importante parce que Saint-Pierre a disparu en 1902 et Fort-de-France n’est devenue une capitale culturelle qu’au environ de 1930. Donc, au départ, il y a eu toutes ces recherches sur le créole et ces propositions de linguistes comme celles de Jean, qui est doyen de la Faculté de lettres et agrégé de grammaire, qui proposent une graphie du créole parce que, maintenant, il est reconnu que le créole est une langue comme toutes les autres. Seulement, c’est une langue récente, nouvellement née qui de ce fait passionne tous les linguistes pour ça. Ils ont donc proposé une graphie du créole. Un système conventionnel ‘écriture. A coté de cela il y a la créolité qui est un tout ; une manière de voir le monde …et y participant, il y a le conte traditionnel, le raga, les rappeurs, les romans et les poèmes. C’est tous ensemble qu’ils participent à la créolité. Donc, quelqu’un qui vivrait en métropole, qui n’aurait pas connu le monde créole, mais qui se réclamerait d’une certaine appartenance, doit en connaître tous les aspects, que ce soit folkloristes et traditionnels, mais aussi modernes ; parce que, justement, cette culture n’est pas fermée sur elle-même, elle est essentiellement ouverte et c’est ce qui est intéressant. Quelquefois, je dis : « Oh, ils vont loin », mais ça ne m’empêche de remonter aux racines créoles pour écrire mes textes et pour les dire.

José: Je comprends tout ce que tu viens de dire. Je le partage aussi. Je suis, quoique son œuvre soit dure à aborder, un grand lecteur de Glissant. Je me retrouve tout à fait dans l’hermétisme de Glissant. Je dirais même que j’y retrouve mon être créole. Chamoiseau aussi parce qu’il produit moins et que l’on a le temps de digérer un livre avant qu’un autre ne sorte. Confiant publie beaucoup et c’est une autre appréhension.

Joby: C’est vrai que l’on pourrait faire une belle approche de cette littérature, disons … antillaise moderne, et en parler. On pourrait parler de la vision de Chamoiseau, de la vision de Confiant, mais c’est un autre sujet. C’est vrai que Confiant a une approche un peu particulière. D’ailleurs, il y a à peine quinze ans, il écrivait en créole et ses bouquins ne se sont pas vendus. Depuis il a changé de cap et c’est son choix. Tout s’élabore avec des atermoiements et je le reconnais. Evidemment.

José: C’est que toi qui es un défenseur de la culture tu comprends. Moi qui suis un autre défenseur de la culture je comprends aussi. Mais, si je me mets à la place de certains antillais de France, qui lisent peu ou pas du tout, je ne pense pas que je puisse me retrouver dans ce discours très intellectualisé et, au bout du compte, difficile à intégrer. Il on conscience d’appartenir, à leur façon, comme le disait Glissant, à l’Antillanité, à l’Arc caraïbe. Mais pour la créolité… Je ne sais pas. C’est pour cela que je pose la question. Pas pour jouer les empêcheurs de tourner en rond.

Joby: Oui, il faut la poser, parce qu’il y a un plan de réflexion, un plan intellectuel de la créolité qui, effectivement, n’est peut-être pas à la portée de tout le monde, mais, il en va ainsi partout. Il y a des analystes, des philosophes qui réfléchissent, sortent des textes, qui peuvent se tirer dans les pattes comme ça ce passe ici aussi, mais il y a les écritures, différents plans romanesques parce que, effectivement, il y a plusieurs expressions de la même chose dans un tissu un peu tourmenté, un tissu qui se cherche …

José: C’est que les créateurs sont sacrément tourmenté et parfois sacrément emmerdeurs; mais ceci dit, peut-être ne faut-il pas confondre les lieux de communication et les lieux pour la provocation.

Joby: Surtout parce que la communication doit primer et la provocation à tout bout de champ n’est pas nécessaire, et, surtout, quand on est créateur, quand on est porteur d’une parole, qu’elle soit lyrique, d’émotion ou de réflexion, on doit savoir que c’est la parole qui nous porte parce que c’est nous qui la portons. Il faut être humble et savoir mesurer les moments.

José: Il faut savoir que les mots ne sont pas gratuits pour la personne qui te fait face. Ce n’est pas parce que tu énonces un théorème que cette personne a appris à résoudre le probème.

Joby: Oui, c’est vrai. C’est vrai ça.

Fort-de France
Novembre 2003 

©José Le Moigne et la revue «Hauteurs»
N° 14 L’identité
Valenciennes, septembre 2004

boule

 Viré monté