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Chronique du temps présent

Intellectuels martiniquais,
n’aurez-vous pas honte de voter
avec la Droite assimilationniste?


Raphaël Confiant

25 Décembre 2009

 

 

 

 

 

 

Discours sur le colonialisme

La Martinique est réputée pour être l’un des pays au monde qui comporte le plus d’intellectuels au kilomètre carré. Je ne sais pas si cette affirmation est avérée ou si elle a été vérifiée par quelqu’un, mais ce que l’on constate, c’est que beaucoup de gens dans ce petit pays se drapent dans la toge de l’intellectuel dès qu’ils possèdent le moindre diplôme et se mettent à tenir des discours plein d’autorité, voire parfois d’arrogance, alors que souvent leur production intellectuelle, même lorsqu’ils se targuent d’être professeur d’université, tiendrait sur un timbre-poste. Ce qui par contre est avéré, c’est que, comme dans tout pays colonial, l’intellectuel martiniquais ne peut pas, ne saurait être de droite. Dans une colonie, l’intellectuel est forcément opposé au système déshumanisant en place et l’essentiel de son travail consiste à le dénoncer ou, à tout le moins, à en déconstruire les fondements idéologiques. C’est ce qu’on fait, en leur temps, des intellectuels internationalement connus comme Aimé Césaire, Edouard Glissant, Frantz Fanon, Vincent Placoly, André Lucrèce, Jean Bernabé etc… ou connus localement comme Gilbert Gratiant, Raymond Relouzat, Emile Yoyo, Georges Mauvois ou Armand Nicolas.  Tous se sont employés, dans leur domaines respectifs de pensée (littérature, histoire, philosophie, anthropologie, linguistique etc…) à révéler – au sens quasi-photographique du terme – la vraie nature du système colonial d’une part et à exhorter, d’autre part, le peuple colonisé «à sortir hors des jours étrangers».

Double mission donc: dénoncer l’existant et ouvrir un chemin neuf.

En colonie, il ne peut y avoir d’intellectuel de droite. Il n’y a que des diplômés, souvent compétents dans leur domaine technique particulier, mais incapables de penser leur place et surtout celle de leur peuple dans le monde puisque ce peuple, à leurs yeux, n’en est pas un, mais juste une «population». Population qui fait partie d’un grand ensemble appelé «métropole». Alors bien sûr, on assiste de temps à autre à des tentatives plutôt comiques d’élaboration d’une pensée antillaise de Droite, comme chez cette profaillonne de philo qui se prend pour une philosophe (comme si un prof de lettres était un écrivain ou un prof d’économie un chef d’entreprise!), mais tout cela n’aboutit piteusement qu’à théoriser l’aliénation. A justifier l’injustifiable à l’aide d’une argumentation fallacieuse.  Soyons clairs! Dans un pays normal, il peut parfaitement exister une pensée de droite: Raymond Aron en a été l’un des plus brillants exemples en France. Dans une colonie, c’est impossible puisque le cœur même de la pensée de droite, c’est la défense des valeurs nationales, de la langue nationale, de l’identité nationale etc… Or, le colonisé de Droite rejette sa nation, sa langue et son identité au profit de celles d’une lointaine métropole! Notre profaillonne rejette ainsi l’identité créole au profit de l’identité gauloise.

C’est qu’en colonie, tout est à l’envers: les intellectuels de Gauche se trouvent obligés de défendre les «valeurs nationales» parce qu’il y va de la survie de leur peuple. Il s’agit là d’un nationalisme «réactionnel» à ne pas confondre du tout avec le nationalisme «réactionnaire» qui sévit, à droite, dans les pays normaux. Le «génocide par substitution» de Césaire n’a rien à voir avec «l’invasion de l’immigration» de Le Pen! C’est ainsi qu’en colonie encore, la lutte de libération nationale prévaut (ou devrait prévaloir en tout cas) sur la lutte de classes, chose que n’ont toujours pas comprise nos trotskystes antillais, alors que dans un pays normal, c’est exactement l’inverse. Bref, la situation de l’intellectuel en colonie, intellectuel forcément de gauche donc, est des plus inconfortables. Il est donc parfaitement incompréhensible qu’à la veille d’une consultation décisive pour l’avenir du peuple martiniquais qu’un certain nombre d’entre eux, et parmi les plus médiatisés, abandonnant leur rôle de dénonciateur du système et d’éclaireur sur le chemin de l’émancipation, se mettent à freiner des quatre fers et reprennent les discours lamentable de la Droite sur la «sécurité» qui devrait être garantie au peuple martiniquais. Enrobant tout cela dans une phraséologie postmoderne selon laquelle «il ne s’agit plus de se battre pour conquérir l’indépendance, mais d’aménager une dépendance non-humiliante». Propos jésuitique qui ignore le fait que les quatre DOM sont de parfaites anomalies au niveau international, les dernières colonies du monde en fait. D’éternelles parenthèses, pour reprendre une expression de Césaire…

DEUX QUESTIONS

Ces chers intellos ne savent apparemment pas qu’on nous posera deux questions et pas trois. Nous n’aurons, en effet, pas le choix entre l’article 73 de la Droite, l’article 73 constitutionnalisé du PPM et l’article 74 du RMC. Nous n’aurons le choix qu’entre l’article 73 et l’article 74. Point à la ligne. Ce qui veut dire que toute personne dite de Gauche qui vote «Non» le 10 janvier se retrouvera de facto à voter avec la Droite! Nicolas Sarkozy a répété en long et en large qu’il ne modifiera pas la constitution française pour la seule Martinique et certains auront beau essayer de passer par les cuisines de l’Elysée pour flatter certains de ses conseillers dans l’espoir qu’il changera d’avis, ils se fourrent le doigt dans l’œil. Je pose donc la question sans détour à nos intellectuels: n’aurez-vous pas honte, le 10 janvier prochain, de mettre le même bulletin qu’une Droite qui n’a cessé depuis des décennies de nier l’existence du peuple martiniquais, de dévaloriser la langue et la culture antillaises, de renforcer notre dépendance économique, sociale, culturelle envers la «métropole», de nous couper de notre environnement caraïbe, de se montrer complice du «génocide par substitution» etc… etc…?

Vraiment: n’aurez-vous pas honte?

D’autant plus honte que vous êtes mieux placés que quiconque pour savoir que le passage à l’article 74 n’est absolument pas l’accession à l’autonomie, mais l’acquisition de quelques compétences dans des domaines précis, compétences dont l’exercice sera étroitement surveillé par le Conseil d’état en plus. Pour ceux qui ne comprendraient pas: au cas, où cet exercice dépasserait les bornes de la loi française, il serait immédiatement bloqué, sanctionné. Donc on ne voit vraiment pas quel «risque» court la Martinique? Et de quels «apprentis dictateurs» parlent, d’une même voix, le néo-PPM et la Droite? Et donc pourquoi il faudrait attendre 6 ans avant d’oser faire ces quelques pas, avant d’assumer cette petite poignée de responsabilités, fortement encadrées par la loi française, insistons là-dessus. Sans compter que si le «Non» l’emporte le 10 janvier, il y a le risque qu’il l’emporte à nouveau le 24, lors de la consultation sur l’assemblée unique, par une sorte d’effet-domino. Ce qui serait une catastrophe car nous retomberions alors dans le cadre de la réforme des collectivités locales concoctée Balladur et les inextricables complications qu’elle entraînera s’agissant des DOM. Nous reviendrions carrément à la case-départ. C’est-à-dire au milieu du siècle dernier.

Intellectuels martiniquais, êtes-vous prêts à assumer ce grand bond en…arrière?

Refuser d’éclairer le peuple, tourner le dos à la prise de responsabilité, avaliser l’alimentarisme et le compère-lapinisme ambiants, faire des ronds de jambe devant la ploutocratie martiniquaise, s’adonner à des courbettes permanentes devant l’Occident et à son intelligentsia, est-ce bien cela le rôle dévolu à un intellectuel qui se respecte lorsqu’il vit dans une colonie?

MORTS POUR RIEN

Et puis, les sacrifices de tous ceux qui, au cours du demi-siècle qui vient de s’écouler, ont donné leur vie pour que la Martinique cesse de danser au carnaval des autres, les morts de décembre 59, celle de Gérard Nouvet, d’Ilmany et de tant d’autres, auront-elles été vaines? N’auront-elles donc servi à rien? N’avez-donc aucun respect pour ces Martiniquais qui ont été fauchés par la mitraille du pouvoir colonial avec l’approbation de la Droite assimilationniste?

Ah, vous êtes braves, ornithorynques du MAP, pour dénoncer tel parole d’énervement d’un élu du RDM à la Région à l’encontre des Caldoches, mais jamais on ne vous a entendu dénoncer l’action  de ces mêmes Caldoches à l’endroit du peuple martiniquais. Jamais on ne vous a vu au Palais de justice portant un quelconque soutien à l’ASSAUPAMAR dans la lutte contre la privatisation du littoral, à un Nicolas Lamic victime des gendarmes français ou à L. Boutrin et R. Confiant dans leur dénonciation du chlordécone qui a empoisonné notre peuple. Jamais!

En tout cas, sachez que, tout comme la Droite et le néo-PPM, vous assumerez la pleine et entière responsabilité du «Non» à la consultation du 10 janvier prochain. Cette victoire annoncée de la veulerie et de l’abaissement de la Martinique, vous la porterez désormais gravée sur votre front tel un stigmate exactement comme les politiciens des deux partis précités.

Raphaël Confiant

 Viré monté