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«Roseanne»: le populisme |
Dans certaines démocraties occidentales, le populisme et le racisme ont toujours fait bon ménage. Je définis le populisme comme une manière de faire de la politique en enjolivant les vertus du «peuple» faisant face à la corruption et l’égoïsme des politiciens traditionnels et des élites bourgeoises. Théoriquement, le racisme représente une idéologie qui prône l’inégalité des races humaines et qui s’est développée en Europe à partir de la fin du 19ème siècle. Dans la pratique, le racisme se manifeste sous la forme de provocations et d’humiliations verbales, de stéréotypes négatifs, de discriminations effectives dans la société, de phénomènes d’exclusion sociale à l’égard de minorités, ou de ségrégation systématique à l’égard de populations entières.
Par son histoire, sa constitution démographique, et sa structure fondamentalement inégalitaire, la société américaine combine amplement ces deux traits que nous retrouvons à travers les médias et principalement les séries télévisées. «Roseanne» est l’une de ces séries. Très populaire au cours des années 1980 et 1990, la série a perdu pied durant les années 2000 mais a refait surface au début de l’année 2018 pour être sacrée comme l’émission télévisée la plus regardée aux États-Unis. Selon TV Ratings du 23 mai 2018, «Roseanne is the highest-rated and most-watched series of the broadcast season, eclipsing NBC’s This is Us and CBS’ Big Bang Theory.». (Roseanne est la série à l’audimat le plus élevé de la saison, éclipsant la série This is Us qui passe sur NBC et la série Big Bang Theory qui passe sur CBS”) [ma traduction]. D’autre part, «Entertaining president Channing Dungey told ad buyers at the network’s annual up front that a staggering one in 10 Americans had already watched Roseanne’s season premiere…» (La présidente du divertissement chez ABC, Channing Dungey, a déclaré à des acheteurs de pubs lors de l’exposition annuelle du réseau qu’un nombre stupéfiant d’un Américain sur 10 avait déjà regardé la première de la saison de Rosanne…) [ma traduction]. Pourtant, malgré le succès phénoménal de cette série, ABC vient de l’annuler hier mardi 29 mai après que Roseanne Barr, l’actrice qui joue le rôle éponyme de la série, publia le tweet suivant: «Muslim brotherhood & planet of the apes had a baby=VJ» (Les frères musulmans et la planète des singes ont eu un enfant=VJ) [ma traduction]. «VJ» représente les initiales de Valérie Jarrett, une avocate de race noire qui a été une conseillère du président Barack Obama à la Maison Blanche. La rapidité avec laquelle ABC prit la décision d’annuler la série révèle que l’affaire était sérieuse et que Rosanne Barr était allée trop loin. Pourtant, l’actrice s’est défendue et a rejeté tout le blâme sur Ambien, un médicament qu’elle consomme pour traiter son insomnie. Voici ce qu’elle a déclaré sur son compte Tweeter: «Guys I did something unforgiveable so do not defend me. It was 2 in the morning and I was ambien tweeting… it was memorial day too…I went 2 far & do not want it defended…it was egregious indefensible. I made a mistake I wish I hadn’t but…don’t defend it please.» (Mecs, J’ai fait quelque chose d’impardonnable, donc ne me défendez pas. Il était deux heures du mat et je tweetais sous l’influence d’ambien…c’était aussi le jour du souvenir…je suis allé trop loin et je ne veux pas que cela soit défendu… c’était extrêmement indéfendable. J’ai commis une erreur, je regrette d’avoir dit cela mais…ne le défendez pas, s’il vous plait.) [ma traduction].
Des tonnes d’articles ont été écrites par des journalistes et des politologues pour expliquer comment le populisme a porté Donald Trump au pouvoir. Ce populisme d’extrême-droite fondé sur la xénophobie, le protectionnisme, l’autoritarisme et le nationalisme blanc semble réussir jusqu’à présent au président américain si l’on en juge par l’enthousiasme de ses partisans. Qui sont ces partisans? Pour la plupart, leurs traits distinctifs sont l’appartenance à la race blanche et un bas niveau d’éducation formelle. Ces 2 caractéristiques sont fondamentales. Ces groupes n’ont pas accès à des logements décents, à des soins de santé et une éducation de qualité, et reçoivent des bas salaires qui ne leur permettent pas d’économiser ou de se constituer un décent capital. Historiquement, dans la société américaine, c’est la classe ouvrière noire qui est sujette à ces traits négatifs. Mais, dans l’Amérique d’aujourd’hui, la classe ouvrière blanche partage ces retards structuraux avec la classe ouvrière noire. Le président américain a joué sur ces forces négatives pour rallier la classe ouvrière blanche qui ne se rend pas compte qu’elle est manipulée.
Le succès de la série télévisée «Rosanne» provient largement du fait qu’elle s’adresse à ce même public. Il est possible que la victoire de Trump ait favorisé le retour de «Rosanne». On dit que le président a appelé Roseanne Barr pour la féliciter du succès du taux d’écoute de la première de sa série. En fait, il semble interpréter ce succès comme un referendum de sa propre popularité. «Look at Roseanne! Look at her ratings!» (Regardez la série Rosanne! Regardez ses taux d’écoute!) [ma traduction] s’est exclamé le président au cours d’un meeting dans l’Ohio. «They were unbelievable! Over eighteen million people!» «Ils sont incroyables! Plus de dix-huit millions de gens! Et tout ceci c’est pour nous!». (Troy Patterson, The New Yorker, 30 mai 2018).
Le racisme américain a la vie dure parce qu’il est structurel. Est-ce que le populisme en a pour longtemps encore dans le corps social américain? La dernière fois qu’il s’est manifesté dans toute son intensité ici, c’était à l’époque du maccarthisme, dans les années 1950. Cependant, le populisme semble se répandre de plus en plus dans d’autres sociétés occidentales (Voyez le succès de La Ligue en Italie). Va-t-il devenir la norme? Question cruciale, fondamentale!
Hugues Saint-Fort
30. mai 2018