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Le paradoxe ultramarin aux élections

Hugues Saint-Fort

Cet article est une réflexion sur un aspect de la présidentielle française qui s’est achevée hier dimanche 24 avril avec la victoire d’Emmanuel Macron, sur la candidate d’extrême-droite, Marine Le Pen. L’aspect que j’ai retenu est celui du comportement électoral des résidents ultra-marins qui, dans leur grande majorité, ont choisi de voter pour Marine Le Pen, à rebours de la réélection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République. D’une manière générale, Marine Le Pen a récolté plus de 50% des voix dans cinq territoires d’Outre-mer. Elle a obtenu 60.87% des voix en Martinique, 60.70% en Guyane, 59.79% à Mayotte, 50.69% à St-Pierre-et-Miquelon, près de 60% des voix à la Réunion. Mais, c’est en Guadeloupe qu’elle a réalisé son meilleur score avec 69.60% des suffrages.

Et pourtant, pendant longtemps, la famille Le Pen ne pouvait même pas se rendre dans certains territoires ultramarins. En 1987, des milliers de personnes envahissent le tarmac de l’aéroport de Martinique pour empêcher l’atterrissage de Jean-Marie Le Pen. Mais, trente-cinq ans plus tard, M. Le Pen arrive en Guadeloupe sans difficulté, malgré un petit incident où des manifestants ont perturbé son hôtel aux cris de «raciste, dehors».

C’est que l’entreprise de dédiabolisation mise sur pied par le Rassemblement national (RN) a porté ses fruits et a fini par faire oublier l’image désastreuse de son père. Marine Le Pen n’a manqué aucune occasion de choyer les Outre-mer, dont son entourage se plait à rappeler qu’ils «représentent près de 4% du corps électoral».

Ces faits suffisent-ils pour expliquer le vote massif de la majorité des territoires ultramarins pour Marine Le Pen ? Une grande partie des électeurs de gauche de Jean-Luc Mélenchon (42%) ont voté pour Emmanuel Macron ; beaucoup d’observateurs ont analysé la victoire du président comme la conséquence d’une décision assumée par beaucoup d’électeurs de « faire barrage » à Marine Le Pen et à l’extrême-droite. Comment dans cette ambiance générale de rejet de l’extrême-droite symbolisée par Marine Le Pen, les électeurs ultramarins ont-ils pu maintenir leur attachement à Marine Le Pen et voter en masse pour elle? Il me semble qu’il y a eu beaucoup de naïveté chez les électeurs ultramarins, un certain refus de faire face à une réalité idéologique et politique. Comment ces électeurs ultramarins ont-ils pu succomber aussi facilement aux «charmes» et aux mensonges de Le Pen alors que la majorité du  reste du pays dénonçait l’idéologie d’extrême-droite du RN, marquée par la xénophobie, le racisme, le nationalisme forcené? Il était clair pourtant, pour peu qu’on prenait la peine d’ouvrir les yeux que Marine Le Pen ne possédait pas les compétences et la capacité requises pour gouverner la France et qu’elle se réfugiait derrière une rhétorique creuse pour masquer ses faiblesses.

Il reste que le score de l’extrême-droite (42%) à ce deuxième tour va demeurer un score historique. Marine Le Pen a permis à son parti d’atteindre un niveau inégalé et il est possible que le RN constituera une force dominante de l’opposition à Emmanuel Macron. La candidate d’extrême-droite s’est battue pour normaliser son parti et se défaire du stigmate de l’appellation de «parti d’extrême-droite». Malheureusement pour elle, les faits sont coriaces et cela explique pourquoi tous les secteurs d’activité courante dans la société française se sont mobilisés pour dénoncer les tares du RN. L’issue des législatives représente maintenant que les résultats de la présidentielle sont bien connus, la question fondamentale de la vie politique française. Que va-t-il advenir de la gauche à ces législatives des 12 et 19 juin prochain? Jean-Luc Mélenchon parviendra-t-il à obtenir cette union populaire dont il a lancé l’idée dès le soir du premier tour? Ses rêves d’être «élu» Premier ministre alors que dans la classique tradition démocratique de la Vème République, c’est le Président de la République qui a le pouvoir de nommer un Premier ministre en se basant sur la majorité du parti qu’il dirige. Comment la droite républicaine ou en tout cas ce qui en reste se comportera-t-elle face au parti du président, la République en Marche? Que se passera-t-il au Rassemblement national? Il est clair que Marine Le Pen a fait piètre figure dans sa tentative de montrer qu’elle était capable d’exercer la fonction présidentielle, spécialement dans un contexte de crise. Et, les crises n’ont pas épargné la France: crise sanitaire, crise internationale, i.e. la guerre de l’Ukraine, sans oublier une crise économique qui ne va pas tarder à se manifester au grand jour avec l’inflation qui atteint pratiquement toutes les sociétés. Il apparait d’après l’analyse des experts que la France est partagée maintenant en 4 grands blocs:

  • Une France antisystème d’extrême gauche qui s’incarne en Jean-Luc Mélenchon, qui veut une alternative antilibérale.
     
  • Une autre France antisystème qui, elle, s’identifie à l’extrême-droite de Marine Le Pen et pour laquelle il y a un double problème qui est à la fois social et identitaire.
     
  • Une troisième France qui s’identifie au système. C’est la France qui va bien. C’est celle qui a voté Macron dès le premier tour. C’est celle qui a voté pour lui il y a cinq ans: ce sont les retraités. Ce sont les catégories aisées. Ce sont les urbains.
     
  • La quatrième France est constituée par les abstentionnistes (28%) au second tour.

Hugues Saint-Fort
New York, avril 2022

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 Viré monté