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L’élection de la honte Vignette: François Gabourg |
Pour moi qui ai suivi passionnément l’élection présidentielle américaine de 2016 et qui ai voté pour Hillary Clinton, le résultat de cette élection a constitué un choc sans précédent. Je dénomme l’élection du 8 novembre 2016 l’élection de la honte suivant en cela le raisonnement et l’état d’esprit du président américain Franklin D. Roosevelt (FDR) dans son fameux discours du 8 décembre 1941, le lendemain de la dévastatrice attaque de la base navale américaine de Pearl Harbor par l’empire japonais. On se souvient en effet que FDR avait décrit l’attaque surprise japonaise du 7 décembre 1941 comme «a date which will live in infamy» (une date qui vivra dans l’infamie).
Une bonne partie de l’Amérique anti-Trump ne s’est pas encore remise de la cuisante défaite infligée aux partisans d’Hillary Clinton. Je suis encore moi-même sous le choc de cette défaite après une semaine passée en Guadeloupe au XVème colloque international des Etudes Créoles, intitulé «Pourquoi étudier les langues, cultures et sociétés créoles aujourd’hui?»
Je tâche de comprendre cette déroute totale puisque tout semblait indiquer que Clinton allait gagner cette élection: les sondages électoraux, l’état d’esprit des électeurs, la qualité des arguments avancés par le camp de Clinton.
En face, Trump manifestait dans ses discours de campagne et ses interventions dans les débats une indifférence et une méconnaissance des faits absolument révoltantes, un attachement aux mensonges les plus évidents, une dévotion aux insultes rarement exprimée dans l’histoire des élections américaines. Il alla même jusqu’à dénier la légitimité du processus électoral en qualifiant de truquage et de manipulation le système électoral lui-même. Je n’arrive pas à comprendre comment une campagne électorale qui puise ses racines dans la démagogie la plus honteuse, la haine des nouvelles minorités – Hispaniques, Asiatiques, Américains d’origine multiraciale – ait pu attirer tellement d’électeurs. Certains commentateurs ont attribué la popularité de Trump au surgissement des électeurs blancs de milieux ouvriers réduits au chômage et méprisés, parait-il, par les classes sociales supérieures. Ces électeurs blancs auraient trouvé dans les discours de Trump l’espoir et le réconfort moral qui leur auraient donné une nouvelle vie. Celui-ci a vite fait de proclamer qu’il serait «leur voix». Maintenant qu’il a été élu président, j’ai hâte de voir comment il va défendre leurs intérêts et changer leur condition. En fait, il ne se passera pas beaucoup de temps avant que ces électeurs blancs issus de la classe ouvrière ne découvrent combien ils ont été victimes d’une duperie scandaleuse. Quelle sera leur réaction?
Mais, c’est du côté de la politique étrangère que les admirateurs de Donald Trump seront le plus fortement déçus. Tout au long de sa campagne électorale, Trump s’est présenté comme un critique virulent des arrangements passés avec les alliés mondiaux de l’Amérique (OTAN, Pacifique (Japon, Corée du Sud), Moyen Orient…), de la direction prise par une économie globale trop ouverte et surtout comme un admirateur de l’autoritarisme de Vladimir Poutine, le président russe. Va-t-il essayer d’appliquer ces conceptions maintenant qu’il est président? Dans un discours prononcé au Trump’s Center for National Interest en avril dernier, Trump a déclaré ceci: “We have spent trillions of dollars over time –on planes, missiles, ships, equipment- building up our military to provide a strong defense for Europe and Asia. The countries we are defending must pay for the cost of this defense –and, if not, the U.S. must be prepared to let these countries defend themselves.” (Nous avons dépensé des trillions de dollars avec le temps – en achetant des avions, des missiles, des bateaux, des équipements – pour bâtir notre force militaire afin de fournir une forte défense à l’Europe et à l’Asie. Les pays que nous défendons doivent payer pour le coût de cette défense – et, sinon, les Etats-Unis doivent se préparer à laisser ces pays se défendre eux-mêmes) [ma traduction]. Trump ne se rend pas compte qu’une hyperpuissance a des intérêts à défendre à travers le monde et que tout retrait d’une place quelconque équivaut à une invitation à une autre superpuissance de s’investir dans la place laissée vacante. Par exemple, si Poutine lui fait les yeux doux actuellement, c’est uniquement parce qu’il recherche la fin de l’OTAN et le contrôle de l’Europe.
Ainsi donc, le 8 novembre 2016, l’inimaginable s’est produit: Donald Trump a été élu président des Etats-Unis et prendra ses fonctions le 20 janvier 2017. Comment l’électorat américain a-t-il pu élire quelqu’un qui a retourné de fond en comble les valeurs les plus sûres de la société américaine sans subir aucune punition? Il s’est complu dans la misogynie, le sexisme, le racisme, les attaques contre les handicapés, les musulmans, il a questionné violemment la légitimité du président Barack Obama en soutenant pendant longtemps qu’il n’est pas né aux Etats-Unis, et pourtant rien ne lui est arrivé en termes de sanction. Il a fallu attendre les dernières semaines de la campagne électorale avec le scandale du harcèlement sexuel de plusieurs femmes pour le voir trébucher mais cela n’a pas duré longtemps.
Comment expliquer cette résistance extraordinaire? Pourquoi Donald Trump a-t-il gagné l’élection présidentielle du huit novembre? Pour moi, la cause la plus immédiate (au-delà des causes profondes) réside dans le fait que trop d’électeurs (les ‘milléniaux’, les minorités raciales, certaines femmes…) ne se sont pas mobilisés pour aller voter. Se sont-ils laissé prendre par les infos véhiculées par les médias qui faisaient croire qu’Hillary Clinton possédait une avance confortable sur Donald Trump et que tout était joué? Certains analystes disent que près de quatre millions d’électeurs qui avaient voté pour Barack Obama en 2012 ne se sont pas déplacés. Et cela, malgré les supplications du président Barack Obama et de Michèle Obama.
L’élection d’Hillary Clinton était à la portée de ses partisans. Malgré son racisme, sa misogynie, son sexisme, sa xénophobie, sa démagogie, ses mensonges révoltants, Donald Trump aurait pu être battu assez facilement. Lui-même ne croyait pas vraiment à la victoire même s’il disait tout à fait le contraire.
Le parti républicain dont on prédisait l’éclatement au plus fort de la crise entre Donald Trump et les ténors du parti sort maintenant renforcé puisque Trump a gagné. Qu’en sera-t-il du parti démocrate?
Hugues Saint-Fort
New York, novembre 2016