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Compte-rendu de lecture de «Simoun»

Hugues Corriveau

 

 

 

 

 

 

Simoun, Robert Berrouët-Oriol • 2021 • ISBN 9782898010989 •
Éd. TRIPTYQUE • 17,95 $

Le réputé critique littéraire du journal montréalais Le Devoir, Hugues Corriveau, publie ce 14 août 2021 un remarquable compte-rendu de lecture de «Simoun», huitième livre de poésie de Robert Berrouët-Oriol (Éditions Triptyque, Montréal, mai 2021). Ce compte rendu porte le titre évocateur de «Le grand vent sahélien» et fait partie d’un grand ensemble dont le titre général est «Entendre battre le cœur». En voici le texte intégral:

Le grand vent sahélien

Dans un tout autre champ d’écriture, Robert Berrouët-Oriol nous propose encore sa haute parole, son langage ultrachâtié qui obombre une simplicité parfois plus souhaitable. Ainsi, dès le premier poème, nous faut-il saisir cette parole «fleurant fastes festivités / et ritournelle d’apnée.» Convenons que ce n’est pas peu. Tournons la page de Simoun­ et nous serons immédiatement confrontés «au surjet primipare des alvéoles / liant d’anabase pour l’hommage persien». Vraiment, on se sent immédiatement un peu décalé, renvoyé à quelque obscur complexe devant un tel étalage de ce savantissime vocabulaire. Mais qu’y a-t-il donc qui nous sollicite tant chez ce poète, que recèle donc cette parole poétique méticuleuse, pleine d’embûches et d’entourloupes?

Sans doute la constante référence au grand poète que fut Saint-John Perse, poète immense qui est l’ange tutélaire de Berrouët-Oriol, source avouée, donnée comme primordiale.

Donc, ce que j’aime ici, c’est que la poésie n’est pas donnée de soi, car elle travaille la langue, sa matière première comme une glaise toujours fuyante. Lire ce poète, c’est admettre ce décalage entre notre réalité actuelle et un ton suranné, mais vivant encore sous sa plume. C’est mettre la langue poétique au service même de la langue qui se déploie comme le référent premier, loin de la triviale réalité ou proposant parfois une réalité refaite à la dimension même de la langue. C’est ultraexigeant, c’est tout à fait particulier, mais c’est une invitation au voyage que seul ce poète sait maîtriser et proposer à des hauteurs qui le comblent d’aise.

Accompagnons-le, lui qui utilise une «blanche canne pour recoudre le fil cassé de l’encre et retrouver terres fertiles du Poème.» Nous y décoderons «la grammaire des archipels», y rencontrerons des chairs altières ou opulentes, des lieux de grand désarroi ou épris de tendresse. Il s’agit en fait de tendre l’oreille aux cérémonies «célébrées dans l’Ici du Poème.» Tout ce vent transversal, dont parle le recueil, parcourt la voix, la soutient, est son inspiration même. Le monde est, comme souvent, un texte palimpseste, difficilement décodable, qui commande une tâche ardue à laquelle s’adonne cette poésie complexe.
Le désert, les hommes bleus, le simoun poussant sa force, traversent de grands espaces et l’Histoire, passent par des oueds ensablés, des tourments de vents qui charrient ce qui fait respirer. «Simoun ô vent majuscule / tu lègues aux langues touaregs / la langue primipare du Poème / mektoub cent fois recousus dans la tendreté des mots» est-il promulgué. Le destin implicite dans le terme « mektoub » prend ainsi possession de ce qui se déploie dans le sens incompris du monde.

Voilà donc de quoi est fait ce recueil difficile, il faut en convenir. Les textes de Berrouët-Oriol sont destinés à qui cherche ailleurs que dans la langue de convenance une valeur de surcroît.

Extrait de «Simoun» 

Simoun ô vent d’ample voilure
en tes coutures aveugles
tu dresses table féconde des longues maraudes
sous la lumière sacrée des grands espaces
nul exil n’affranchit le passage des hommes bleus
nulle trêve au midi du soleil
n’efface traces lues au coude des sentiers sablonneux
le rauque cri des dromadaires salue l’arrivée de l’oasis
et le sable recouvre les pas de l’Amande
à tous battements des paupières 
femme touareg au masque de sable
tu portes en toi arômes de bivouac et promesse des osselets de l’enfance
dans l’amitié du point d’eau
l’oasis est lieu d’échanges des guerriers du désert 
et réceptacle du croisement des mémoires caravansérails
j’écoute bouger les pas de l’Amande
sur sablonneux tapis dont on ne voit pas la frontière
et voici qu’ainsi j’habite l’essence même des mots sans patrie
folle l’amulette clame sa décrue
folle mon errance paie tribut de l’âge
seuls les aveugles ne parlent pas langue du Simoun

*

Viré monté