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Le créole et «L’idéologie linguistique haïtienne»: Montréal, le 26 mars 2020 |
Le sociodidacticien et sociolinguiste haïtien Bartholy Pierre Louis, ancien étudiant de la Faculté de linguistique appliquée de l’Université d’État d’Haïti, a soutenu avec succès en 2015 une magistrale thèse de doctorat intitulée «Quelle autogestion des pratiques sociolinguistiques haïtiennes dans les interactions verbales scolaires et extrascolaires en Haïti?: une approche sociodidactique de la pluralité linguistique» (tome 1: 551 pages; tome 2: 125 pages). Cette thèse, défendue le 15 décembre 2015 sous le sceau de l’Université européenne de Bretagne (laboratoire «Plurilinguisme, représentations, expressions francophones information, communication, sociolinguistique», PREFics - UFR Arts, lettres, communication (ALC), a été élaborée sous la direction du linguiste Philippe Blanchet, professeur à l’Université́ Rennes 2. Sociolinguiste, spécialiste du plurilinguisme et didacticien de réputation internationale, Philippe Blanchet est l’auteur entre autres de «Les transpositions didactiques», dans Blanchet, P. et Chardenet, P. (dir.), «Guide pour la recherche en didactique des langues et des cultures. Approches contextualisées». Montréal / Paris, PREFics, Agence universitaire de la Francophonie / Éditions des archives contemporaines, 2011; il est également l’auteur de «Politique linguistique et diffusion du français dans le monde», dans Bulot, T. et Blanchet, Ph., «Une introduction à la sociolinguistique (pour l’étude des dynamiques de la langue française dans le monde)», Éditions des archives contemporaines, Paris, 2013.
En amont de sa démonstration doctorale, Bartholy Pierre Louis –qui a au préalable mené des enquêtes sociolinguistiques de terrain, en Haïti--, précise que «Cette thèse de doctorat en science du langage est présentée en deux tomes. Le premier est constitué des trois parties de la thèse. Le second tome réunit les annexes. Celles-ci offrent la possibilité de poursuivre la lecture des extraits (…) utilisés dans le corps de la thèse. Ces annexes sont composées d’un corpus sur le français haïtien (Annexe I), de la transcription des entretiens réalisés et des exemplaires des questionnaires distribués (Annexe II), de deux extraits de grilles de programmation de deux stations radiophoniques à Port-au-Prince et des informations complémentaires sur les Frères de l’instruction chrétienne (FIC) (Annexe III). Les entretiens sont aussi disponibles sur un support CD dans une enveloppe insérée dans le tome II.» L’annexe I, «Corpus de français haïtien», comprend un glossaire dans lequel un certain nombre de termes du français régional aujourd’hui usités en Haïti sont répertoriés.
La thèse de doctorat de Bartholy Pierre Louis, «Quelle autogestion des pratiques sociolinguistiques haïtiennes dans les interactions verbales scolaires et extrascolaires en Haïti?: une approche sociodidactique de la pluralité linguistique», comprend un résumé en trois langues: créole, français et anglais. La version française de ce résumé se lit comme suit: «Ce travail de recherche basé́ sur une approche empirico-inductive est une description analytique et une synthèse interprétative des pratiques sociolinguistiques haïtiennes à̀ partir des représentations du français et du créole (langues co-officielles). Situé́ largement devant le créole haïtien et l’anglais, le français se trouve au centre de la demande sociale pour son rôle dans l’insertion socioprofessionnelle en Haïti. De par sa fonction de langue seconde par rapport au créole, langue première en Haïti, il génère des phénomènes de discrimination, d’insécurité́ et de sécurité́ dans les interactions verbales scolaires et extrascolaires. Dans ce contexte, le créole francisé comme indice d’une double identité́ apparente (créolofrancophone) des scolarisés ne peut remplacer le français. L’autogestion de la pluralité́ linguistique haïtienne est alors envisagée dans une sociodidactique de «terrain» afin de réduire l’insécurité́ linguistique et faciliter la réussite éducative. Cette recherche propose comme démarche une «didactique énonciative contextualisée» considérant le français haïtien comme un construit à̀ partir des ressources linguistico-culturelles locales autogérées et partagées et capable de transposer les pratiques quotidiennes extrascolaires des apprenants locuteurs en pratiques scolaires ordinaires pour libérer la parole.»
La démonstration doctorale de Bartholy Pierre Louis s’articule autour de trois grands axes:
«Pratiques socio-langagières et éducatives en Haïti, contexte sociohistorique et sociolinguistique» (partie I); «Du contexte scientifique à la problématique de la recherche» (partie II); «Enquête sociolinguistique en contexte socio-didactique: méthodologie, résultats et interventions» (partie III). Il y a lieu de préciser que la troisième partie consigne la démarche épistémologique du linguiste-chercheur en termes d’enquête de terrain, validant ainsi par la connaissance scientifique l’ensemble du propos contenu dans la thèse. Les trois parties sont suivies de la conclusion générale, d’une bibliographie comprenant des ouvrages spécialisés, des articles de revues, des documents officiels, des ouvrages littéraires et d’une sitographie.
Chacune de ces parties pourrait avec profit faire l’objet d’une présentation spécifique tant la lecture de la thèse est captivante et la démonstration rigoureuse. Par exemple, l’argumentaire méticuleux exposé au chapitre 9.3.1.1, «Langues, communication et pratiques didactiques», éclairant le dispositif d’enseignement/apprentissage du français en Haïti, est précieux pour interroger la didactisation des connaissances en général, et, de manière plus spécifique, l’impératif de la didactisation du créole aux côtés du français dans l’aménagement futur de nos deux langues officielles.
Dans le présent article, nous nous attachons à exposer l’analyse faite par Bartholy Pierre Louis de «L’idéologie linguistique haïtienne: pour ou contre le français?» (chapitre 4.3.1.3, p. 201 et suiv.) ainsi que le lien qu’il établit entre la théorie qui modélise son objet de recherche et l’observation de terrain qui la conforte dans sa dimension scientifique. Cette analyse présente une description à jour des dérives idéologiques d’une petite minorité de prédicateurs créolistes pourfendeurs de la langue française en Haïti et défenseurs sectaires du «tout en créole tout de suite». Les enquêtes de terrain de Bartholy Pierre Louis lui ont permis de valider l’analyse suivante, qu’il faut fidèlement citer pour sa pertinence: «Que ce soit en famille, à école, à l’université, dans les administrations publiques et/ou privées ou dans les milieux sociaux spontanés, le créole doit être partout utilisé. Il est question ici de remplacer le français par le créole là où il n’a pas encore été investi soit comme langue de scolarisation ou langue de communication. Cette proposition rejoint [celle des] militants du créole qui soutiennent, du reste, fermement cette position. Dans leurs discours, le français est moins important, même si la constitution haïtienne lui a confié le statut de langue seconde et officielle. (…) De plus, ils rendent le français en partie responsable du sous-développement du pays, car les taux d’échecs majeurs sont liés au français comme langue d’enseignement; ce qui est largement discutable et même réfuté dans certaines publications scientifiques dont celles de Berrouët-Oriol (2011 : 182) qui voit, au contraire, la possibilité d’aménager les deux langues: «Mais contrairement à certains qui croient, de bonne foi ou avec d’ingénues ornières, qu’il faudrait désormais passer de manière exclusive au «tout en créole», nous plaidons ouvertement pour un aménagement linguistique fondé sur l’effectivité des droits linguistiques dans les deux langues haïtiennes». (Op. cit. p. 201-202)
Il y a communauté de vue entre ce diagnostic établi par Bartholy Pierre Louis et le nôtre quant aux dérives idéologiques d’une petite minorité de prédicateurs créolistes pourfendeurs de la langue française en Haïti et défenseurs sectaires du «tout en créole tout de suite». En effet, dans l’article en deux parties que nous avons publié dans Le National les 20 et 31 août 2017, «Faut-il exclure le français de l’aménagement linguistique en Haïti?», nous avons inventorié plusieurs expressions du «populisme linguistique» en Haïti: cette «idéologie linguistique haïtienne» auscultée par Bartholy Pierre Louis dans sa thèse, au motif d’une radicale et légitime défense du créole, s’oppose à la réalité de notre patrimoine linguistique bilingue biséculaire créole-français. Notre article expose l’enfermement catéchétique promu par quelques prédicateurs créolistes, liés la plupart du temps à certains idéologues de l’Académie créole, enfermement qui va à l’encontre de l’article 5 de la Constitution de 1987 consacrant la co-officialité du créole et du français en Haïti. L’article Faut-il exclure le français de l’aménagement linguistique en Haïti?» renvoie à celui que nous avons préalablement publié à Port-au-Prince dans Le National le 1er août 2017, «Le «monolinguisme» créole est-il une utopie?», et dans lequel nous avons identifié certaines cautions intellectuelles de l’«idéologie linguistique haïtienne» parmi lesquels le linguiste haïtien Yves Dejean de langue maternelle française. Ainsi, soutenir l’idée, comme le fait Yves Dejean, qu’«Il faut tirer les conséquences du fait qu’Haïti est un pays essentiellement monolingue (…) Haïti est des plus monolingues des pays monolingues» (Yves Dejean: «Rebati», 12 juin 2010) –ou encore que «Fransé sé danjé», (Yves Dejean: revue Sèl, n° 23-24, New York, 1975)–, revient à s’enfermer dans une dommageable myopie historique et idéologique qui pourrait faire obstacle à l’aménagement simultané des deux langues officielles du pays ainsi qu’à l’ouverture assumée au multilinguisme de notre modernité de sujets parlants. «L’enfermement catéchétique» des prédicateurs créolistes se donne à mesurer également au creux de l’article écrit par Tara García Mathewson, «How Discrimination Nearly Stalled a Dual-Language Program in Boston» (The Atlantic.com, 7 avril 2017), dans lequel pince sans rire le linguiste Michel DeGraff, cité par l’auteure, assène que «We became free in 1804 but THROUGH THE FRENCH LANGUAGE we did remain colonized» (les majuscules sont de nous, RBO). Affirmer de manière aussi fantaisiste que nous sommes restés «colonisés» en raison de l’existence de la langue française en Haïti relève non seulement d’un dommageable canular conceptuel, mais surtout d’une vision extraordinairement pré-scientifique du mode de constitution historique de la République d’Haïti. Pareil rachitisme conceptuel, qui s’adosse aux métamorphoses du révisionnisme historique, entend superposer les effets miroir de la superstructure idéologique par-dessus la réalité historique telle qu’auscultée par les meilleurs historiens qui ont étudié les rapports des classes sociales avant et après l’Indépendance, ainsi que la configuration sociologique de l’État post-1804. (Là-dessus, voir Étienne D. Charlier: «Aperçu sur la formation historique de la nation haïtienne», [1954] rééd. Éditions DAMI, 2009; voir aussi Carolyn Fick: «Haïti, naissance d’une nation: la révolution de Saint-Domingue vue d’en bas», Éditions Les Perséides, 2013.) Plus près de nous, dans un «post» émis sur Facebook et daté du 21 mars 2020, le linguiste Michel DeGraff --connu pour la rigueur de plusieurs de ses études sur le créole mais expulsé «macoutiquement» en 2018 de l’Académie créole sans justification crédible de celle-ci--, s’exprime comme suit: «Kreyòl la se yon lang SYANTIFIK ki DJANM. Dokiman sa a se yon atik nan jounal SYANTIFIK Haitian Studies Association (Journal of Haitian Studies). Si kreyòl la ka sèvi pou LASYANS, li ka sèvi nan LEKÒL, nan INIVÈSITE, nan PALMAN tou, kòm sa dwa, san fòs kote, san baryè. Ayiti se yon peyi ENDEPANDAN depi 1804. Nou pa dwe kite lang franse a mete baboukèt nan bouch okenn sitwayen---ni sou ban lekòl, ni nan aktivite pwofesyonèl, ni nan biwo leta, ni nan tribinal, ni nan palman... Ayiti pa fouti devlope si n kontinye ap mete baboukèt sou lang nasyonal nou an. LANG KREYÒL LA SE MOTÈ POU EDIKASYON, LIBERASYON, JISTIS, DEVLÒPMAN, DIYITE AK RESPÈ DWA MOUN ANN AYITI. http://linguistics.mit.edu/…/DeGraff-20170310-JoHS-two-woch…» / «Le créole est un langage scientifique fort. Ce document est un article dans le journal scientifique Haitian Studies Association(journal des études haïtiennes). Si le créole peut être utilisé pour la science, il peut être utilisé à l'école, à l'université, au parlement aussi, comme juste, sans barrières. Haïti est un pays indépendant depuis 1804. Nous ne devrions pas laisser la langue française mettre le peuple dans la bouche d'un citoyen --- ni à l'école, ni au bureau de l'état, ni au parlement... Haïti ne peut se développer si Nous continuons à mettre la folie sur notre langue nationale. La langue créole est le moteur de l'éducation, la libération, la justice, le développement, la dignité et le respect des droits de l'homme en Haïti. http://linguistics.mit.edu/wp-content/uploads/DeGraff-20170310-JoHS-two-woch dife.pdf». Plutôt que de plaider pour une véritable didactisation du créole, Michel DeGraff se contente d’un lapidaire «sermon», d’une profession de foi, laissant explicitement entendre que le créole serait –déjà-- une langue scientifique de premier plan capable d’exprimer toutes les réalités de la science et de la technique… Pour notre part, nous estimons que dire et penser la science en créole, dans tous les domaines, est nécessaire et s’avère un incontournable impératif historique; mais cela nécessite en amont la mise en route d’une ample didactisation de la langue créole elle-même et la mise à disposition d’une gamme normalisée et variée d’instruments didactiques pour l’enseignement de la langue et l’enseignement dans la langue créole. C’est donc bien la nécessité de la mise en place d’un tel dispositif de didactisation de la langue créole que réfute Michel DeGraff sous couvert de «Kreyòl la se yon lang SYANTIFIK ki DJANM». Ce «sermon» identitaire et «nationaliste» est d’ailleurs en phase avec la complaisance de Michel DeGraff vis-à-vis certaines interventions dans le domaine éducatif du régime néo-duvaliériste Tèt kale de Michel Martelly/Laurent Lamothe (2011-2015) connu pour sa corruption généralisée, la criminalisation du pouvoir d’État livré aux «bandits légaux» et la dilapidation des caisses de l’État. Ainsi, dans l’article «La langue maternelle comme fondement du savoir: l’Initiative MIT-Haïti: vers une éducation en créole efficace et inclusive» (Revue transatlantique d’études suisses, 6/7, 2016/2017, p. 182), Michel DeGraff assume qu’«Il existe déjà de louables efforts pour améliorer la situation en Haïti, où une éducation de qualité a traditionnellement été réservée au petit nombre. Un exemple récent est le Programme de scolarisation universelle gratuite et obligatoire (PSUGO) lancé par le gouvernement haïtien en 2011 dans le but de garantir à tous les enfants une scolarité libre et obligatoire.» Michel DeGraff ne pouvait pas ne pas savoir que le PSUGO du régime néo-duvaliériste Tèt kale de Michel Martelly/Laurent Lamothe a été largement décrié en Haïti par de très nombreux enseignants comme l’atteste bien, à la suite d’une enquête fouillée, la série d’articles parus sur AlterPresse en 2014, «Le Psugo, une menace à l’enseignement en Haïti? (parties I, II, III) - Un processus d’affaiblissement du système éducatif». Le système prédateur et scandaleusement corrompu du PSUGO a également été rigoureusement ausculté par Charles Tardieu, spécialiste des sciences de l’éducation et enseignant-chercheur, dans son article fort bien documenté daté du 30 juin 2016, «Le Psugo, une des plus grandes arnaques de l’histoire de l’éducation en Haïti». Charles Tardieu est aussi l’auteur d’une série de quatre articles sur le PSUGO parus en Haïti sur le site AlterPresse, «Haïti: le PSUGO, une catastrophe programmée (1/4)», 4, 5, 6,7 août 2016).
«L’idéologie linguistique haïtienne» circonscrite par Bartholy Pierre Louis dans sa thèse s’est aussi manifestée en Haïti par la publication en 2018 du livre de Gérard-Marie Tardieu, «Yon sèl lang ofisyèl» («Une seule langue officielle») dont nous avons parlé dans notre article «Le créole, «seule langue officielle» d’Haïti: mirage ou vaine utopie?» (Le National, 7 juin 2018). Alors même que ce livre n’a eu aucun écho auprès des enseignants et des linguistes en Haïti, il illustre bien le caractère toxique des idées fantaisistes des tenants de «l’idéologie linguistique haïtienne» dont se réclament les idéologues créolophiles, membres ou pas de l’Académie créole. Ainsi, l’une des expressions du fondamentalisme créolophile et de l’aveuglement volontaire se donne à voir dans l’article «Yon sèl lang ofisyèl pou dechouke mantalite nou» (Le Nouvelliste, 31 mai 2018) annonçant la parution en Haïti du livre de Gérard-Marie Tardieu, «Yon sèl lang ofisyèl» («Une seule langue officielle»), dans lequel celui-ci, membre de l’Académie créole, plaide pour un unilatéralisme linguistique qui entend exclure l’une des deux langues de notre patrimoine linguistique, le français. L’argumentaire de Gérard-Marie Tardieu, selon le compte-rendu de son livre paru dans Le Nouvelliste, s’articule autour de l’idée de «révolution» à mener sur le chantier linguistique afin que le créole devienne la seule langue officielle d’Haïti: «Se konsa GMT [Gérard-Marie Tardieu] panse fòk gen yon revolisyon ki pou fèt. L ap pèmèt lang ayisyen an ak lang kolon an reprann plas yo kòmsadwa. Sa vle di, lang kreyòl la ap sèl lang ofisyèl nou pandan lang blan franse yo ap desann nan dezyèm plas la.». On notera au passage que l’article reprend le cliché éculé et xénophobe de la «langue du blanc», la «langue du colon», le français, confortant ainsi la fausse idée que cette langue serait aujourd’hui, en Haïti, une langue «coloniale» et par ailleurs une langue tout à fait étrangère comme l’est le coréen ou le danois. Pour sa part, Bito David --ingénieur-agronome, diplômé en gestion administrative et spécialiste en éducation multiculturelle selon Le Nouvelliste du 18 juin 2014, et qui a publié plusieurs livres en français--, voit dans le fait français en Haïti un «crime», une «aberration», un «virus mental et psychologique»: «Edike yon Ayisyen nan lang franse se yon krim, yon aberasyon, yon mechanste ke anpil nan nou viktim, epi ki lage nou nan yon viris mantal ak sikolojik ki ap minen piti piti tout sa ki ta kapab ede n makonen ak reyalite lavi nou nan koneksyon ak kominote nou, fondasyon n kom yon pep patikilye ak anviwonnman nou.» Ainsi, éduquer un Haïtien en français serait «un crime, une aberration»; pire: «un virus mental» qu’il faudrait combattre par la «créolisation» du système éducatif en Haïti (Bito David: «Pou kreyolizasyon sistèm edikasyon peyi Ayiti», Facebook, 27 août 2017). «L’idéologie linguistique haïtienne» est donc toxique à tous les étages de l’édifice social, et elle n’arrête pas d’enfermer la réflexion sur la problématique linguistique haïtienne dans le cul-de-sac de la confusion, de l’obscurité de la pensée pré-scientifique et de la mise à l’écart ou de l’ignorance assumée des sciences du langage.
Poursuivant son analyse et faisant à point nommé le lien entre la théorie qui modélise son objet d’étude et l’observation de terrain, Bartholy Pierre Louis précise sa pensée, au chapitre 4.4.1 intitulé «Co-construire la recherche: responsabilité, engagement et positionnement du chercheur-acteur social». Ainsi, il énonce avec justesse: «Comme nous l’avons vu précédemment, dans certains discours idéologiques --ou discours politico-linguistiquement correct (voir 5.1.4)--, les Haïtiens sont présentés comme une majorité unilingue créolophone face à une minorité de bilingues (français-créole). Ces discours alimentent --même de manière inconsciente, faute de rigueur scientifique-- des phénomènes de discriminations et génèrent l’insécurité linguistique voire psychologique, puisque «parler le français» pourrait être perçu par quelques locuteurs-militants comme l’écrasement du créole haïtien au profit du français, la langue dite «de l’ancien colonisateur». Contrairement à ces discours, cette recherche se veut être une orientation nouvelle prenant en compte les pratiques sociolinguistiques à partir desquelles émerge le français haïtien. Depuis plus de 30 ans, ce sont relativement les mêmes discours répétés et les mêmes estimations avancées sur les pratiques de langues, sans aucune préoccupation quant au renouvellement des outils méthodologiques et les positionnements théoriques, alors que les pratiques sont constamment dynamisées et renouvelées sous l’effet des bouleversements sociopolitiques et économiques que connait le pays à partir, notamment, de 1986, date à laquelle la dictature allait faire place à la liberté d’expression et, plus généralement, à l’introduction de la démocratie dans le pays. Un travail de recherche scientifique doit se faire à partir des outils théoriques et méthodologiques et en lien avec les sujets concernés par l’objet de recherche. Ainsi, notre positionnement de chercheur nous conduit vers une approche qualitative. Celle-ci nous « invite à travailler «avec des personnes», pour construire avec elles une relation qui permette de produire une interprétation des usages linguistico-culturels et des rapports qu’ils entretiennent avec ces phénomènes» (Castellotti, 2012 : 29). C’est dans cette perspective que notre travail de recherche se réalise à partir d’une intervention sur le terrain haïtien afin que les sujets parlants ne soient pas négligés dans la mise en place d’une recherche sur leurs pratiques sociolinguistiques et sociodidactiques. Dans une recherche qualitative, nous indique Blanchet (2011 : 19), «le chercheur n’est pas le détenteur ni le producteur du seul savoir légitime, qui s’imposerait contre les «représentations empiriques triviales, subjectives et erronées» de «l’homme de la rue»: les témoins, puisqu’ils informent ceux qui cherchent, sont porteurs et co-producteurs de savoirs». Notre apport élaboré à partir du discours des répondants --témoins et acteurs des pratiques sociolinguistiques sur le terrain-- devrait servir à la fois à nourrir la réflexion scientifique en sciences humaines et sociales en Haïti et faire des recommandations concrètes aux plans technique et professionnel pour favoriser le développement des compétences de communication chez les interactants haïtiens. Il s’agit dans ce cadre-là de questionner les données existantes et les confronter à la réalité de terrain; ce qui contribuera à l’avancement de la recherche scientifique et à l’amélioration des interactions verbales en milieu scolaire et extrascolaire.» (Op. cit. p. 207-208).
La thèse de doctorat de Bartholy Pierre Louis, «Quelle autogestion des pratiques sociolinguistiques haïtiennes dans les interactions verbales scolaires et extrascolaires en Haïti?: une approche sociodidactique de la pluralité linguistique» --qui devrait être publiée au format livre afin d’être accessible au plus grand nombre--, est une contribution analytique de premier plan et à jour, qui nous permet de mieux comprendre à partir d’enquêtes de terrain et d’un appareillage théorique de haut niveau la complexité de la situation linguistique haïtienne. Elle conforte le constat que «L’idéologie linguistique haïtienne» prêchée par les idéologues créolophiles, membres ou proches de l’Académie créole, est toxique et va à contre-courant d’un aménagement linguistique en Haïti conforme à la Constitution de 1987 et à la Déclaration universelle des droits linguistiques de 1996. En stigmatisant et en diabolisant la langue française en Haïti –plutôt que d’analyser les piètres conditions dans lesquelles elle est enseignée au pays--, les idéologues créolophiles entretiennent la confusion sur la situation linguistique en Haïti, sur les caractéristiques de la cohabitation entre nos deux langues officielles et ils alimentent une «vision» linguistique rachitique enfermée dans les poncifs, les clichés et les généralisations et, en tournant le dos aux sciences du langage, ils s’opposent à l’aménagement simultané du créole et du français en Haïti. C’est en raison des confusions introduites dans le champ linguistique et éducatif en Haïti par les idéologues créolophiles qu’il convient d’identifier leurs errements toxiques et de les ausculter sans complaisance dans la perspective d’une vision rassembleuse de l’aménagement linguistique au pays (là-dessus voir notre article «L’aménagement du créole et du français en Haïti: promouvoir une vision rassembleuse», Le National, 28 décembre 2017).
De manière plus essentielle, Bartholy Pierre Louis nous instruit de la nécessité de «Co-construire la recherche: responsabilité, engagement et positionnement du chercheur-acteur social», démarche assortie de «Réflexions critiques pour une sociolinguistique du plurilinguisme» (chapitre 4.3.1.1.1, p. 195) et de l’étude attentive ciblant «Le chantier sociolinguistique haïtien: idéologie, conflit, complexité» (chapitre 4.3.1.2, p. 198). Car en définitive (…) «ce travail de recherche pointe du doigt la nécessité et l’urgence de penser une intervention sociolinguistique et sociodidactique dans une démarche innovante: une «didactique énonciative contextualisée». D’où la formulation de ma question principale de départ: «En quoi les pratiques sociolinguistiques entre créole et français haïtiens pourraient-elles être intégrées dans la mise en place d’une didactique énonciative contextualisée afin de favoriser les interactions verbales en milieu scolaire et extrascolaire en Haïti? Quelle place l’éducation haïtienne devrait accorder, notamment, au français haïtien dans le développement et la co-gestion d’une pratique plurilingue haïtienne?». Cette interrogation a été abordée dans l’étude des pratiques sociolinguistiques sur le terrain. Ces pratiques forment un «cycle interinstitutionnel et interlinguistique dynamique» dans les interactions sociolinguistiques. Celles-ci sont étudiées au sens de l’unité d’analyse sociolinguistique383 où la variable sociolinguistique co-varie avec des variables extralinguistiques dans les espaces scolaire, juridique et radiophonique. Cela dit, les langues dans leur caractère dynamique mettent en relation des institutions (scolaires, sociales et professionnelles), sachant qu’il n’existe pas de frontière étanche entre le milieu scolaire et le milieu extrascolaire. Le français haïtien comme ensemble de ressources linguistico-culturelles haïtiennes devrait passer du milieu scolaire au milieu extrascolaire afin de faciliter l’enseignement-apprentissage du français et réduire l’insécurité linguistique dans les interactions verbales.» (Op. cit. p. 503).
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