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Annou voyé kreyòl douvan douvan

Poème du décours

Robert Berrouët-Oriol

 

Lauréat de poésie
Prix Ouessant du livre insulaire 2010

(Extraits)

 

 

 

 

 

Poème du décours, Robert Berrouët-Oriol • Éditions Triptyque
ISBN 978-2-89031-671-3 • 93p • 16 $ CAN

Poème du décours

cathédrale de hautes terres d'ouragans de bourrasques sur ta peau tannée de soif la mer brûle mes sabirs dicte son syllabaire de prières et piéton maraudeur d'angéliques tracées comment harper tes filaments crépus apprivoiser mes saignées de venelles leurs cortèges de voix de gorge lancées à l'assaut du lointain j'avance chaloupant vers ton profil engravé malgré toi sur pierres calcinées de ma ville chaque vague domptée par l'encre au solfège de mes paumes couve heures folles torche bûchère que porte ta crinière aux senteurs de résine de sexes embastillés elle est calendrier palimpseste brasillant 1734 incendies par verdict comploté d'échafaud ma ville Angélique flamboie de négresse passion Mont-Réal fouettée aux fureurs de l'esclave ointe d'ébène ma ville halète crépite hurle orfrayée s'embrase surprise dans son sommeil de congères et voici que nulle stèle aujourd'hui ne porte ton nom drapé de honte et d'oubli et voici que lire telle saga sur les murs de la vieille ville est aujourd'hui fête blessée aux épines du soleil je parle pourtant toutes langues du temps longtemps langues de l'offertoire latin de bouges grec d'îles déchues araméen du dernier soupir

criollo pendu à Barcelone rimbaldien amputé d'Abyssinie mais je ne cherche point lunaison mythique dans ta chevelure seule la braise m'importe qui sèche tes larmes à l'échafaud à chaque coin de rue où tu vois passer les rires d'Alexandre fruit de tes entrailles bénies soient-elles y puiser dictame pour mon cou cassé pantelant au bout du fil en pénitence de missives inachevées et j'aime cette parlure de dentelle tu me la parles ce jour introït j'en tisse l'offrande médusée par baiser d'archet sur la cirre de tes vocales elles goûtent tant tes senteurs-archipel tes humeurs fauves félines et pour qu'enfin advienne ta voix j'engrange dictée de paupières elles veillent mutines au front de mer moquant à-dieu-vat la Plantation 

la projetant en pleine mer d'un souffle rieur patient labour à mi-phrase au bégaiement des pixels je convoque tes lèvres anémones pour un ballet d'eau-forte à quatre mains sais-tu c'est aux flambées crinières que gisent les lucioles de mon enfance mes plaies d'ardoise fêlée mes dérives sans passeport et de toi je ramone toute la lumière du monde pour abolir le troc des mots sans sommeil

vingt et une heure quarante le clavier dort son sommeil d'octets à refaire le cens des osselets aux écumes de l'Âge n'ai en mains que frêles césures voyelles qui dansent impunément dans ma tête notes cassées claudiquant d'un timbre à l'autre l'ai-je su l'attente est déjà chute blessée au dos de l'encre par récolte de mots de passe à l'aube dépouillés comment parler langue de crues ne sais toujours pas nommer piétage de paroles ouïe sourde paupières marbrées sur les menstrues de ta nuit seule hoquette à ma luette ce pur ce dur désir de dire tant de lunes sur mon étal hachées le temps d'un spasme

bâton pèlerin pour recoudre mes pas défaire mauvais présages et tramer brèches ventriloques balafres cousues aux cils du temps je porte l'invite à tes lèvres que je sais poulpes vêtues de signes courriels sur ma langue ne trace point quête d'oasis rêves aurifères ou mirages dionysiaques à hisser aux enchères d'Olympe mon cou mêmement démâté accote clavier ourle syllabes drues comment mais comment épeler en majuscules lettrines tant de plaies seyantes encor rivées à mes dés

hormis rappels maléfiques d'un ventre infertile le temps qui passe ne revient guère sur ses pas il sèche tes larmes à l'aune de l'oubli et trompettes festives en berne de vœux tu bats cartes neuves sur table basse à trois pattes le temps qui passe est un livre lu de l'ultime fêlure à la préface ainsi le frère redevenu enfant sur sa couche aux senteurs de linceul veille l'index posé sur mes calendriers délébiles effroi d'escales s'il en est frère au rire de pioche ne fut jamais pleuré sauf à celer mes pupilles

crinière en feu d'oracles ta voix ces jours derniers s'estompe écho assauté par quête de bouée ai-je donc tant d'escales à décliner seul le silence connaît le prix arraché aux suppliques de l'œil où donc chercher sommeil si ce n'est de tes paumes fredonnant chaleur espiègle sur mon cou cassé à chaque halte de Damas où l'envol des oiseaux migrants sur terres brûlées affranchit Lazarre ton patronyme venu des grands ports sucriers d'Europe ou du fameux bourg de Judée mais certaine légende sans doute malveillante et débauchée dit qu'il fut hissé à bâbord en haute-mer par mystères  du temps Guinée depuis enfouis sous pierres tombales  à l'aine de l'Île maudite et si ta voix s'éloigne de l'encrier marronnant mes doigts en sang mutilés engourdis d'octets c'est qu'à ton respir sur tous fronts de mer suis encor l'Étranger aux lettres ciselées la voix charmant au loin ce qui advient par l'urgence scalpée du dire-à-deux en ses plissures ses intonations fébriles creusant l'oracle au ventre mou du Sens je les lie toutes sur ta langue crépue en aller simple par petites touches éclopées

angéliques tracées ne sais comment découdre si longue nuit tramée sur ta mémoire au gibet de la honte à l'aine du Saint-Laurent j'entends encor ton râle écorché vif étouffé mis à l'index désormais manchot épuisé par la crue de mes maux je n'ai plus d'histoires enluminées à raconter seul mon Poème lai à toi dédié en sa  prose contuse se recueille humblement et s'agenouille sur ta langue tel ultime hommage il accompagne tes larmes blessées dans l'entrelacs des siècles pour lors sur ses terres aristocrates mon Poème habite autres mornes de tuf de sève et d'argile autres ronces autres lexiques gravés au front des quais et par mes crêtes broyeuses d'ils déjà suis Nil coulant notes hallucinées dans tes veines mon vers charrie rêches alluvions du Livre sur ses pages froissées d'avoir trop cherché quatorze heures à midi tel parfait subjonctif aux déclinaisons du délire mon vers entorse déphrasée porte grossesse paternelle signes alizés par ces pluies archipels si féroces aux Îles-sous-le-Vent que même les toitures sous grands vents de démence demandent pardon aux clous de l'affront fait par baiser de Judas au Fils prêchant  l'abstinence contre morsures aux joues la belle affaire j'arrive d'un long périple que d'autres appellent la vie en rose à ce conte un lapsus est vite arrivé car angélique négresse flambée de passion interdite tu habites l'effroi de toi ce chemin de traverse jadis emprunté par mon ombre mais de grâce vers moi passe la porte d'une houle naissante à tes reins comme à ma nuque n'ai que mes plaies d'argile enfin à seller

demain n'a plus le sens d'une lignée de verbes où ma langue s'agenouille en toi pour ramoner lambeaux de missives sauvés des eaux ne sais plus si les miennes ont coulé aux écluses du Saint-Laurent ou aux marges de l'oubli j'ai tant de naufrages à retracer à mes semelles aux arrêts de ta rétine mais ne connais toujours pas tes yeux emmurés par voile d'absence au fort de l'aigle je remonte encor coquin cou cassé l'alie de ma demeure ma nuque rit à pleines voiles d'avoir trop souvent erré sous le Tropique qui me colle à la peau cherche Poète cherche sur ta langue les clefs de l'absence l'ombre angélique s'estompe jusqu'à implosion des pupilles noyées d'embruns mais c'est sur tes ils que j'étale festive homélie à défricher cène première l'amène dictée s'il en fut vers toi je marche mes pas de saxe et  chrysalide j'arpente haltes fragiles contre la démesure du temps qui passe sans tourner la tête

et si mon ancre encor dessine mirages de mer mugissant ses écumes c'est qu'à  larguer amarres en haute saison du Poème ma voix ne connaît plus chemins de lunaison où chaque mot en ses voilures cherche havre pour recoudre récoltes d'ivresse mais comment dévêtir mes escales ma folie givrée quand rode et rode encor ton ombre à mes dépens

la gorge tranchée d'humeurs sans passeport ni lettres de créance je hisse aux cinq saisons océanes mes cervicales démâtées ainsi nommées par savants traités du corps et de l'âme à hauteur de sexte postée en garde à vue sous seing certifié des neurologues de la cité car ton ombre même scellée en cale sèche guette mon syllabaire et aux annales de la mer laisse récoltes de varech sur nos plages étonnées  ainsi défilent une à une mes yoles mes caïques surfant sur tes eaux de cruche cuite toi l'Amie falciforme baguée d'un sizain de folle équipée plus tard roidie drapée par silence de linceul partie arpenter autres pistes sans laisser d'adresse griffonnée aux ossuaires de ta malevie toi non plus ne reçus salut de larmes en l'honneur d'une ventriloque soif de vie c'eût été noyer ta fontaine que trinquer l'absinthe jusqu'au cou du jour

par deux cycles de lune maudite de fêtes païennes où démiurge j'ai tricoté les plus folles saisons puis ravaudé tant de fêlures j'ai pris Bain de boue chaussant rêves fourbus lus et bus en fleur de macadam bénie à la mairie oublieux au détour qu'on ne revient impunément sur nos pas hier trop occupé à trafiquer rêveries bossues à chercher jarres emplies de babils fous à défaut de pièces d'or hier j'empruntai itinéraires de l'enfance tramés sur chiffons kaki le sucre couleur miel y dépose encor son haleine douceâtre au jour d'aujourd'hui à vouloir conjurer mauvais sort geste fériée édentée arpentée de l'envers à l'endroit me retrouvai vêtu de dolce cécité à l'abri sous la lampe du Père trop tôt là-haut parti cueillir les étoiles toi parolier des cimes diseur d'aventures exaltantes où flibustiers et conquistadors semaient marmaille autant que guerres sans fin tu m'as hélas élu légataire de mémoires et transmis carte du ciel ô Père conteur de légendes toi non plus ne fus pleuré par-delà écume des mers et pages d'amnésie au dos de tes lettres prends garde Poète en rétention de digue un jour tu dégorgeras par bâton pèlerin une à une toutes les clefs de l'oubli

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 Viré monté