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Contes créoles

Le roman de Zamba et de Lapin

Ce que fit Lapin pour avoir une maison

Quelques contes créole
recueillis par Mme Schont, 1935.

Les tours pendables que Lapin avait joués à Zamba étaient nombreux. Il avait acquis par sa malice une grande célébrité, mais il se sentait las de la vie vagabonde qu'il menait depuis longtemps. Il réfléchit que le Bon Dieu avait donné à chaque animal un endroit pour se loger, et que lui seul était sans abri.

Il alla donc trouver le Bon Dieu et lui demanda la permission de bâtir sa demeure. Le Bon Dieu lui dit: «Tu as beaucoup péché, Lapin; cependant je te pardonnerai et te permettrai de bâtir ta maison si tu m'apportes une touffe de poils de Cochon Sauvage, une Couleuvre Bambou, du lait de Vache Sauvage, et si tu sonnes la cloche du Diable.»

*

Lapin partit à la recherche de Cochon Sauvage. Il le rencontra dans la plaine, un beau matin.

«Bonjour, Cochon Sauvage», lui dit-il.

«Groum, groum», lui fut-il répondu. Cela voulait dire laisse-moi passer, range-toi.

«Puisque tu es si pressé, faisons une course», dit Lapin.

Cochon Sauvage refusa d'abord, mais Lapin supplia tant, qu'il finit par consentir. Les voilà partis, courant, courant, jusqu'à ce que Cochon Sauvage se mit à baver de fatigue. Alors Lapin, en un tour de main, lui arracha, une touffe de poils sur l'échine, et s'enfuit.

C'est depuis ce jour-la que les cochons ont le poil rare à cet endroit.

*

Maintenant, se dit Lapin, il faut avoir Couleuvre Bambou. Il coupa un bambou assez gros pour se glisser à travers, et se rendit chez Couleuvre Bambou.

«Eh bien, lui dit-il, gageons que tu ne traverseras pas ce roseau aussi bien que moi.» Et disant cela, il traversa le roseau.

Couleuvre prétendit qu'elle le ferait aussi bien et mieux, qu'elle passerait trois fois. Elle le fit une fois, deux fois; la troisième fois, Lapin boucha les deux orifices, et Couleuvre Bambou était prisonnière.

*

Mais comment traire Vache Sauvage? se dit Lapin. Il prit une corde et partit en quête de Vache Sauvage. Il la trouva qui paissait au pied d'un sablier.

«Vache Sauvage, lui dit-il, tous les jours tu dis: je suis vaillante, je suis forte; qu'est-ce que tu paries que tu n'es pas capable de renverser ce sablier d'un seul coup de tête. - Tu parles trop», dit Vache Sauvage, et, tète baissée, elle s'élança sur le sablier. L'arbre était si solidement enraciné, qu'aucune de ses feuilles ne trembla. pourtant, Vache Sauvage avait foncé avec une violence telle, que ses cornes s'étaient enfoncées dans le tronc, et y restèrent fichées malgré tous ses efforts pour se libérer, Lapin, prestement, de sa corde, lui lia les pieds, lui prit son lait et partit.

Ce n'est que longtemps après que Vache Sauvage put retirer ses cornes qui s'étaient tordues du choc. C'est depuis ce temps-là que les cornes des boeufs ne sont plus droites.

*

Il restait à Lapin l'épreuve la plus difficile à passer: sonner la cloche du Diable! Elle est accrochée si haut, si haut, dans son clocher, que Lapin, jamais, ne pourrait grimper si haut.

Mais il trouva un expédient. Il fabriqua un aiguillon et alla se cacher dans le champ de malangas de Diable. Et quand Diable vint faire la récolte de malangas, Lapin se mit à le piquer de l'aiguillon. Diable devint furieux de douleur, et se mit à tout arracher autour de lui et à lancer en l'air les plantes qu'il arrachait. Et il arriva qu'avec une des plantes, Lapin fùt lancé juste au-dessus du clocher. Et il saisit la corde qui pendait du bourdon et se mit à sonner en chantant: «Ding, dong, Bon Dieu qui êtes au-dessus de moi! Vous l'entendez sonner, n'est-ce pas? Ding, dong, ding!»

*

Enfin Lapin se présenta devant le Seigneur qui lui dit:

«Tu as subi toutes les épreuves, et je te pardonne. Tu construiras ta maison, et tu l'appelleras: garenne. Mais, comme tu as souvent été méchant, il faut que je te punisse. Tu ne mangeras plus de chair, mais tu te nourriras d'herbes. Et c'est depuis lors que Lapin ne mange plus que des herbes.»

Et Lapin se mit à construire sa demeure en chantant:

«C'est moi, Lapin garenne,
Gorina;
Moi qui mange les petites herbes,
Gorina;
Les petites herbes que me donne ma mère,
Gorina.

C'est moi, Lapin garenne,
Gorina;
Moi qui mange du petit baume1,
Gorina,
Et qui fait du caca en petites graines,
Gorina.»

Note

  1. Une herbe odorante des Antilles.

boule

Viré monté