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Contes créoles

Le roman de Zamba et de Lapin

Lapin boit le sirop de Zamba

Quelques contes créole
recueillis par Mme Schont, 1935.

Un jour, compère Zamba  voulut planter des patates dans son champ qu'il avait laissé envahir par les hautes herbes, les lianes, les «haziers»1. Avant de planter, il fallait désherber, sarcler et fourcheter2. C'était un gros travail, et Compère Lapin, en bon voisin, vint aider compère Zamba dans cette rude besogne.

Les voilà tous deux au travail depuis un bon moment.

Lapin au bord, Zamba au milieu du champ; ils travaillent en silence, tellement ils ont de l'entrain. Soudain, Compère Zamba entendit la voix de Lapin qui disait: «Oui, oui, j'arrive; attendez un peu

Compère Zamba lève les yeux et ne voit personne. C'est pourquoi il demande à Lapin: «Compère Lapin, que dis-tu?»

Lapin lui répond: «C'était ma voisine; elle vient juste de partir. Elle m'avait invité à venir au baptême de son fils, aujourd'hui. Je devais même être parrain. Mais puisque tu as aujourd'hui besoin de moi, elle peut bien attendre. Je ne peux pas maintenant laisser le travail pour un ami comme toi.»

Zamba était heureux de sentir l'amitié de Lapin. Mais il est bon chrétien, et il dit: «Non, non; il ne faut pas faire attendre la voisine; il faut y aller, puisque c'est pour faire d'un enfant un chrétien.»

*

Lapin se laissa persuader et s'en alla. Mais il n'alla pas au baptême. Il prit le chemin de la maison de Zamba. Il savait que Zamba avait acheté une dame-jeanne de sirop. Il en but tant qu'il put et revint au champ.

Zamba fut curieux de savoir le nom qu'on avait donné au filleul de Lapin. Lapin dit: «On l'a baptisé: Au rascou»3

Tous deux se remirent à couper les «haziers», à fourcheter la terre.

Au bout d'un certain temps, Lapin, eut envie de boire encore du sirop. Et de nouveau, Zamba l'entendit dire: «Mais oui, j'arrive tout à l’heure.»

Et Lapin expliqua à Zamba que son autre voisine avait aussi un enfant à baptiser, dont il devait être parrain. Zamba, de nouveau, l'engagea à ne pas remettre à plus tard de faire d'un enfant un chrétien.

Lapin reprit le chemin de la maison de Zamba et lampa quelques bonnes rasades de sirop.

Quand il revint au champ, Zamba voulut savoir le nom du nouveau chrétien. Lapin dit: «A mitan!»

Et tous deux se remirent à l'ouvrage.

Après un temps, Lapin recommença le même manège. Encore une fois, Zamba l'engagea à ne pas tarder à faire d'un enfant un chrétien.

Cette fois, il vida la dame-jeanne et la reboucha soigneusement.

Revenu au champ, il apprit à Zamba que l'enfant avait été appelé: «C'est tout.»

Ils travaillèrent jusqu'au soir, en bons camarades, puis rentrèrent chacun chez lui.

*

Quand Zamba  s'aperçut que la provision de sirop était épuisée, il comprit, et, comme d'habitude, jura qu'il allait tuer Lapin.

Quand il arriva dans la case de Lapin, le compère était déjà couché.

Zamba, aveuglé de colère, entra en trombe et saisit Lapin par une patte; Lapin lui dit: «Mon pauvre Zamba, qu'as-tu? Tu n'y vois plus clair! Tu veux me donner la main et tu ne vois pas que tu tiens le bord du lit!»

Et Zamba lâcha Lapin et agrippa le bord du lit.

Et Lapin sauta par la fenêtre, et Zamba n'y vit que du feu.

Notes

  1. Mot créole: mauvaise herbe.
     
  2. Bêcher à la fourche-bêche.
     
  3. Au ras du cou.

boule

Viré monté