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Contes créoles

Le roman de Zamba et de Lapin

Zamba et les œufs de Canéfices

Quelques contes créole
recueillis par Mme Schont, 1935.

Une année, pendant le carême, quand la chaleur et la sécheresse étaient plus grandes que d'ordinaire, Zamba souffrait énormément de la rareté des vivres. Il avait mauvaise mine, il maigrissait à vue d'œil, ses jambes ne le portaient plus, et chez lui, tout le inonde mourait de faim.

Son compère, Lapin, chaque fois qu'il le voyait, l'étonnait par sa mine florissante.

Zamba se dit en lui-même: «Par ce temps de misère, Lapin est bien gros et gras et vaillant. Qu'est-ce qu'il peut bien manger pour être en si bonne forme?»

*

Pour découvrir le secret, il envoya son petit, à l'heure du déjeuner, chercher un peu de feu chez Lapin.

Comme ce jour-là le repas de Lapin était un peu en retard, le petit se contenta de prendre le feu et se remit en route pour retourner chez son père. Mais, ayant marché un peu, assez loin pour ne pas être vu par Lapin et les siens, il jeta la braise dans une flaque d'eau qui se trouvait là, et revint en pleurant dire à Lapin de lui donner encore une fois un peu de feu; que l'autre s'était éteint.

Lapin lui donna du feu et un morceau d'omelette d'œufs de Canéfices1 - car entre temps le repas avait été préparé -, en lui recommandant bien de le manger et de ne rien en dire à son père.

L'enfant promit de garder le secret. Il mangea un peu et mit en réserve un tout petit bout derrière son oreille.

Arrivé, à la maison, il jeta le feu dans le foyer, courut à son père et lui dit: «Regarde la bonne chose que Compère Lapin m'a donnée.» Zamba prit le petit morceau d'œuf, le goûta, le trouva, délicieux et poussa un grand cri d'étonnement: «Ah! ah! Compère Lapin c'est un cachottier, un avare; il sait que, par ce temps de carême, nous n'avons rien à manger, et il ne nous donne pas le moindre petit secours.»

*

Zamba s'habilla et alla immédiatement trouver Lapin. Lorsque Lapin le vit arriver, il dit: «J'avais pourtant recommandé à l'enfant de ne rien dire à son père!»

Zamba lui expliqua: «Compère, je suis venu auprès de vous pour vous demander de me prêter quelques vivres, car nous avons tellement faim! Nous sommes grands et forts, nous avons tous un appétit robuste, et, depuis des semaines, il n'y a rien à manger.»

Lapin répondit: «Je veux bien vous venir en aide, mais je crains que vous ne me trahissiez. Vous êtes tellement bêtes que, quand vous vous perdrez, vous êtes bien capables de me perdre aussi.»

Mais Zamba le pria tant qu'il finit par céder à ses prières et lui dit: «Ce que tu as mangé, ce sont des œufs de Canéfices. Je t'emmènerai là où on prend les œufs, mais ce ne pourra être que demain a quatre heures du matin.» Zamba promit d'être a l'heure.

*

Ils partirent à l'heure dite. Lapin conduisit Zamba au bord du rivage où, sur plusieurs centaines de mètres, il y avait des nids de Canéfices. Arrive à l'endroit, Lapin dit à Zamba: «Compère, regarde comme je fais: dans un nid où il y a dix oeufs, j'en prends deux; quand il yen a vingt, j'en prends quatre.» Zamba répondit: «Ne t'inquiète pas de moi, compère, je saurai faire.»

Naturellement, il ne, tint pas compte des recommandations de Lapin; d'un geste empressé, il dépouilla tous les nids de tout leur contenu, même ceux dans lesquels Lapin avait déjà pris sa part.

*

Lorsque les oiseaux vinrent pondre, ils trouvèrent leurs nids dévastés. Ils se réunirent autour de leur Roi et de leur Reine pour se plaindre, et on accusait du vol, les uns, Macaque, les autres Éléphant, d'autres Lapin ou encore Zamba.

Le Roi prit la parole et leur dit: «Lapin est une bête bien trop petite pour causer pareils dégâts.» On discuta longtemps, puis il fut décidé que tout le peuple des Canéfices irait à l'endroit où tous les animaux viennent boire après leur repas. Et un jour fut fixé pour ce voyage.

*

Au jour convenu, à l'abreuvoir, les Canéfices vinrent observer les animaux.

Le premier qui s'approcha pour boire fut Cochon. Après qu'il eut bu, le Roi des Canéfices lui dit: «Cochon, qu'est-ce que tu as mangé pour venir boire de l'eau?» Cochon lui répondit: «J'ai mangé des herbes dans les bois, et je suis venu boire.»

Lapin vint aussi se désaltérer. Comme il apercevait tout le peuple des Canéfices, il pensa qu'il pouvait y avoir quelque danger.

Comme Cochon s'était attardé auprès d'un corrosolier, Lapin lui demanda: «Compère Cochon, que font tous ces gens-là?» Cochon lui répondit: «Ils ne font rien; ils demandent seulement ce que vous avez mangé avant de venir boire.»

Et Lapin de s'enquérir: «Qu'avez-vous répondu?» Cochon lui rapporta alors la réponse qu'il avait faite.

Lapin alla à l'abreuvoir. La même question lui fut posée plusieurs fois, parce qu'on connaissait sa malice et ses ruses. Il répondit comme Cochon lui avait enseigné, de répondre, et ne se laissa pas prendre. Il put partir son chemin.

D'autres bêtes encore vinrent boire: Eléphant, Macaque, Tigre et Lion.

Zamba arriva enfin, le ventre tout gonflé. Il pouvait à peine marcher. Il but tellement que l'abreuvoir fut presque vide. À son tour, on lui posa la question: «Zamba, qu'est-ce que tu as mangé pour venir boire tant d'eau?» Il répondit: «J'ai mangé des œufs de Canéfices, et je suis venu boire.» Une seconde fois on lui posa la question et il répondit la même chose. Pour la troisième fois la question lui fut posée, et sa réponse fut pareille. On ne put plus avoir de doute sur sa culpabilité.

Les Canéfices se jetèrent donc tous à la fois sur lui, et le travaillèrent tant du bec et des ongles, qu'il s'en tira non sans grande peine, et avec bien des plaies et des bosses. Il avait beau crier: «C'est Compère Lapin qui m'a mis cette idée dans la tête», on le tenait bien et on s'acharnait sur lui.

*

Quand il parvint à s'enfuir, il alla s'armer d'un gros bâton pour tuer Lapin. Celui-ci, le voyant venir, prit la fuite. À un tournant de la route, il parvint à se cacher. Zamba, interdit, le chercha des yeux. Lapin mit cet arrêt à profit pour grimper dans un palmier.

Zamba passa sous l'arbre sans voir Lapin, car l'idée de lever le nez ne pouvait pas lui venir.

Alors Lapin cria de toutes ses forces: «Zamba! Zamba!»

Zamba, qui entendit venir la voix de très haut, crut que c'était le Bon Dieu lui-même qui l'appelait, et il répondit: «Oui Maître.»

La voix céleste reprit: «Qu'as-tu dit que tu ferais à Lapin?»

Zamba, plus effrayé encore que la première fois, répondit: «Rien du tout, Maître»; et, tout tremblant, il eut honte de sa colère contre Lapin, et implora: «Mon Dieu, pardonnez-moi.»

La voix alors reprit: «Continue ta route, mais, à l'avenir, ne te risque plus à faire du mal à Lapin.»

Et Zamba retourna chez lui tout rempli de contrition, et les membres meurtris du châtiment que sa gloutonnerie lui avait valu.

Note

  1. Oiseaux fabuleux.

boule

Viré monté