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La Geste de Petit Jean
Petit Jean et Petite Marie
Quelques contes créole
recueillis par Mme Schont, 1935.
Petit Jean avait une sœur qu'on appelait Petite Marie; Petite Marie, un jour qu'elle se promenait toute seule, rencontra un beau monsieur bien habillé, tout couvert de bijoux, d'or et de diamants. Le beau monsieur fit la cour à Petite Marie, et, quand elle rentra à la maison, elle raconta, toute joyeuse, à sa maman qu'elle avait trouvé un amoureux, et elle parlait des beaux vêtements et des superbes bijoux.
La mère de Petite Marie, sachant bien quelles ruses le Diable emploie pour séduire les petites filles, la mit en garde: il fallait vérifier si le beau galant n'était pas le Diable en personne. Pour cela, il fallait, à la prochaine rencontre, avoir sur elle une épingle, et piquer le conteur de fleurettes. Si de la piqûre sortait du sang, c'était un homme; mais si c'était du pus qui sortait de la piqûre, on avait affaire au Diable.
Petit Jean accompagna sa soeur au rendez-vous. Pendant la conversation, elle eut soin de piquer la main de son prétendant. Du pus sortit de la piqûre. Mais Petite Marie était déjà comme ensorcelée, et pour ne pas devoir dire la vérité à sa mère, elle se piqua elle-même et essuya le sang avec son mouchoir. En rentrant, elle montra à sa mère la trace de sang. Devant cette preuve, la mère consentit au mariage.
On célébra donc la noce, et le Diable partit, emmenant Petite Marie. Mais Petit Jean, qui savait tout, voulut sauver sa sœur, et partit avec eux. Et le Diable pensait que deux valaient mieux qu'un, et consentit à emmener aussi Petit Jean.
Arrivé dans sa case, le Diable ordonna immédiatement de tout préparer pour manger les deux enfants, car le Diable, alors, mangeait les hommes.
Les préparatifs furent un peu longs, et, à un certain moment, le Diable s'endormit. Quand il ronfla bien fort, Petit Jean lui enleva doucement les bottes de sept lieues qu'il avait aux pieds, les chaussa, prit Petite Marie par la main, et ils partirent.
Le Diable ronfla longtemps, et les deux enfants eurent déjà fait un grand bout du chemin qui devait les ramener chez leurs parents, quand il se réveilla.
Lorsqu'il découvrit que les deux enfants étaient partis avec ses bottes de sept lieues, il se mit en une grande colère, et jura de les rattraper.
Il chaussa donc sa paire de bottes de cent lieues, et partit, et, malgré leur avance, les enfants, bientôt, entendirent derrière eux le pas rapide et le souffle du Diable qui approchait.
Déjà, le Diable croyait pouvoir les saisir, et tendait la main; mais, soudain, il ne les vit plus. Petit Jean s'était transformé en jardinier, et Petite Marie en une fleur que le jardinier arrosait.
Le Diable dut retourner chez lui, et il conta à sa femme comment il avait cru saisir les enfants, et tout à coup n'avait plus vu qu'un jardinier qui arrosait une fleur. La femme lui dit: «Mais il fallait saisir le jardinier qui était Petit Jean, sûrement, et la fleur qui était Petite Marie, sans aucun doute!»
Et le Diable, furieux d'avoir été si bête, repartit à la poursuite des enfants.
Bientôt, ils entendirent de nouveau son souffle rauque et son pas rapide; de nouveau, il étendit la main pour les saisir, mais il ne les vit plus. Il y avait devant lui une mare sur laquelle nageait un canard.
Alors le Diable, ne pouvant croire ses yeux, demanda au canard: «Mon beau canard, n'as-tu pas vu un jeune homme et une jeune fille passer par là?»
Mais le canard continua à barboter, et ne lui répondit pas.
Revenu chez lui, le Diable raconta a sa femme l'étrange aventure. Elle lui dit: «Tu n'as donc pas compris! Tu es trop sot, vraiment: le canard c'était Petit Jean, et la mare était Petite Marie.»
Alors le Diable rugit de colère, et repartit comme une flèche, pensant que peut-être il trouverait encore le canard barbotant dans la mare; mais, naturellement, les enfants étaient déjà beaucoup plus loin.
Quand ils l'entendirent venir, Petite Marie se transforma en église, et petit Jean en prêtre. Le Diable arriva et demanda au curé: «Mon beau curé, n'as-tu pas vu passer un jeune homme et une jeune fille?» Mais le prêtre ne lui répondit pas, et continua a dire: «Dominus vobiscum», et aspergea le Diable avec de l'eau bénite. Le Diable courut tant qu'il put... Dans sa hâte, il ne trouva pas la porte de l'église, et sauta par une fenêtre qu'il arracha en passant; il revint chez lui, rapportant la fenêtre, et raconta sa mésaventure à sa femme. Et sa femme vit bien que la fenêtre qu'il avait apportée n'était qu'un morceau de la robe de Petite Marie, et elle le lui dit.
Quand il comprit que, pour la troisième fois, les fugitifs lui avaient échappé, il entra dans une fureur terrible. Il grinça des dents si fort que des étincelles jaillirent de sa gueule, et mirent le feu à sa case. Et le feu dévora la case, le Diable et sa femme.
Les enfants revinrent auprès de leurs parents, et l'aventure servit de leçon sévère à Petite Marie.