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BILLET

Trump, Brexit, le Pen – un courant de fond anti transnational…

Khal Torabully

20 janvier 2017

Aujourd’hui, Donald Trump, dont la fortune avoisine les 4 milliards de dollars, et sans expérience politique aucune, va prendre les rênes de la première puissance militaire du monde, les États-Unis. Certains, incrédules, pensent à un cauchemar en train de s’installer sous le ciel américain. Un mauvais rêve, en somme, devenu réalité pour 4 ans. Comme si le phénomène Trump n’était pas rattaché à un courant de fond plus probant, plus étendu. Déjà, devant sa «moumoutte» de trublion de l’establishment politique, le monde sait que des jours imprévisibles se profilent à l’horizon, rendant le monde encore plus illisible, déroutant les «prévisionnistes» et analystes de tout poil. C’est cette «trumpisation» de la politique elle-même qu’il convient d’explorer car elle annonce des lendemains qui ont commencé à déchanter sous d’autres cieux… Réflexions en ce jour de l’accession de Trump à la présidence des États-Unis…

Brexit et Trump

Cette impression de douche froide – nonobstant les soutiens de Trump qui a su racialiser les urnes, comme je l’avais signalé dans un article – on l’avait déjà ressentie après les résultats du Brexit, où l’électorat avait confondu rejet des réfugiés/migrants et le rattachement à l’Union Européenne. Incrédules, les anglais et le reste du monde avaient mis du temps à saisir ce que des analystes ont présenté comme la première grande fissure de la construction transnationale européenne. Au-delà de la lecture «erronée des enjeux du référendum» (rester dans ou quitter l’Union Européenne) les votants avaient mixé politique intérieure et leurs désirs d’une politique nationaliste. En votant contre l’UE, dirent-ils, ils sanctionnaient l’orgueilleux Cameron qui avait fait du Brexit un vote de confiance pour lui et son gouvernement. Plus profondément, ils voulaient aussi revenir à des frontières imaginaires de l’Englishness. Clairement, l’Union Européenne symbolisait un pouvoir de tutelle ouvrant l’insularité aux courants migratoires et aux réfugiés, alors qu’Albion devait se replier sur lui-même et vivre en isolement glorieux, tout en bénéficiant de son ancien empire. C’était le sens des votants de ce vote «subliminal»… Rappelons que le signal ethnique et régressif fondait ce choc majeur pour la construction européenne, instrumentalisé par l’UKIP, l’équivalent du FN outre-Manche. Le protectionnisme s’affichait au flanc mou de l’Europe.

Trump, en campagne, se félicitait de ce camouflet administré aux technocrates et autres abonnés du pouvoir. Surfant sur son programme anti-establishment, se proclamant le héraut du nationalisme américain, il encourageait les américains déçus et marginalisés à faire leur Brexit avec le pouvoir confisqué par un groupe d’intérêts, laissant le peuple dans son dénuement... En se proclamant le porteur d’un «Brexit» américain de la mondialisation, il a su cristalliser les peurs des frontières poreuses, incriminant des hordes de mexicains ou de musulmans envahissant la forteresse américaine, se présentant comme un champion du rêve américain blanc. Les partis ultranationalistes et xénophobes l’ont soutenu, exprimant leur désir d’un retour de l’Amérique blanche au pouvoir, après deux mandats d’un Obama noir, maintes fois vilipendé non pas pour sa politique mais pour sa couleur de peau. La dernière campagne d’Obama pour le poste suprême n’était pas exempte de relents rappelant les jours sombres du Ku Klux Klan…

On connaît le résultat du discours trumpien: l’élection du milliardaire qui a accumulé des faillites retentissantes et ayant su échapper aux impôts de son pays par des tours de passe-passe, peu respectueux des femmes et des gens de couleur… Qu’importe ses «faiblesses», l’Amérique blanche, malmenée par la mondialisation, se sentant sans fierté, s’est signalée dans un vote ethnicisé. Elle portait aux rênes du pays un blond dont «l’étincelante chevelure de chevalier de lumière» a aveuglé cette Amérique désirant un nouveau protectionnisme et un repli sur soi, comme préalables à la conquête du pouvoir dans un monde polycentré où la blancheur et l’empire perdaient du terrain. L’enjeu devenait aussi économique, le protectionnisme relancerait la re-industrialisation du pays…

Trump et Le Pen

Marine Le Pen ne s’est pas embarrassée pour trouver dans le fringant et déroutant milliardaire états-unien un alter ego, chaussant victorieusement ses thèses d’un repli sur soi et d’une définition identitaire proche des idéologies ultra nationalistes de son parti. Elle fut la première politicienne à le féliciter sa victoire aux élections. Et à le complimenter pour «son patriotisme économique».

Force est de constater que la haine de l’autre et le populisme ont traversé le vieux continent, prouvant que les partis ultranationalistes peuvent damer le pion à l’establishment politique. Les mouvements ultranationalistes représentent la deuxième force politique en Europe. Ils ont même touché les états, dont certains représentants reprennent des thèses de cette lame de fond qui se lève face à la «trahison des élites» et aux «invasions» de la forteresse américaine ou européenne. On place l’identité au centre du débat politique… Le bouc émissaire est tout trouvé.

Au moment des primaires à gauche et après la victoire de Fillon à ceux de la droite, Le Pen est bien placée pour emboîter le pas à son «précurseur» américain, qui a su mener les «sans-voix» à la reconquête du pouvoir. Elle est bien placée pour créer la surprise aux urnes. Des sondages lui prêtent 25 à 26% des intentions des votes. Elle serait même en tête pour le second tour1. Donc, il n’est pas totalement interdit de penser que Marine Le Pen, tout comme Trump, pourrait créer la «surprise» en France, en raflant la mise dans un pays bloqué, gangrené par des craintes liées à la mondialisation qu’elle a mal négociée, par les soupçons de la perte de sa souveraineté, les incertitudes de l’euro, le terrorisme. Les hérauts politiques refusent haut et fort une identité cosmopolite, et le peuple, confus, se demandant à quelle entité se vouer devant tant de défis à sa porte…

Trump et Le Pen, avec des répondants idéologiques en Hollande ou en Allemagne, voici ce que pourrait être la configuration politique de cette année 2017, résolument celle de l’imprévisibilité et de l’incertitude au niveau international, alors que la Chine, paradoxalement, elle, creuse le sillon de la mondialisation lancée par les États-Unis et leurs alliés, qui, face à l’émergence d’un monde multipolaire préfèrent se retrancher derrière leurs murs et d’autres à venir. Trump parle déjà de construire ce mur qui empêcherait les «violeurs latinos» d’entrer dans son pays…

Aussi, le Brexit, Trump et Le Pen, si elle remporte les présidentielles, répondraient à une cohérence politique (qui a jadis existé) reliant le vieux et le nouveau continents, laminés par la spéculation et la mondialisation ultra libérale et l’incurie de leurs classes politiques. On aura remarqué combien le discours politique a régressé. Combien la haine et la peur s’étalent en plein jour. C’est bien là le terreau de ce vote des extrêmes qui s’agrandit jour après jour.

Rappelons que les médias main stream ont été dépassés par l’élection de Trump, qu’ils jugeaient improbable… En France, un certain déni de la réalité subsiste, mais les sondages donnent, dans tous les cas, le FN en tête dans les intentions de vote… À nous de saisir cette lame de fond devant le fait politique qui peine à se renouveler vers des expériences autres…

Brexit, Trump et Le Pen, sera-ce la réponse implacable du monde occidental qui souhaite une politique radicale face aux altérités et au transnationalisme? La réponse est quasiment à nos portes. Et les murs s’en souviendront…

© Khal Torabully, 20/1/17

Note


  1.  
    http://www.lopinion.fr/video/top-flop/sondage-presidentielle-marine-pen-depasse-fillon-en-net-recul-118652

     
    http://www.latribune.fr/economie/presidentielle-2017/presidentielle-2017-le-pen-se-maintient-en-tete-des-sondages-malgre-des-divisions-631620.html

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