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Bolsonaro, vision corallienne et catastrophe climatique

Khal Torabully

Jair Bolsonaro pourrait devenir le prochain président du Brésil. Présenté comme un Trump tropical, ce nationaliste adoubé par les évangélistes surfe sur la vague du mécontentement des Brésiliens face à la situation sécuritaire et de corruption alléguée des élites de gauche de leur pays. Après les scandales sous le règne de Lula et la «destitution» de la présidente Dilma Rousseff dans l’enquête Lava Jato (Lavage de voiture), un vide était tangible au sommet de l’Etat. C’est de ce vide qu’un cyclone politique et climatique est né, menaçant directement l’Amazonie, les poumons verts de la planète et la démocratie au Brésil engoncé dans des scandales financiers et politiques. Le peuple, à l’évidence, réclame du changement à tout prix et n’hésite pas, au vu de la corruption systémique, à confier son destin à Bolsonaro, qui se pose en «homme providentiel» ou sauveur de la nation, et surtout, des gros capitaux qui le soutiennent. Et le probable futur président brésilien ne s’en cache pas, déclarant lors d’une réunion qu’il est un résultat du bancada ruralista, mouvement de gros propriétaires terriens, qui a, selon lui, favorisé l’agribusiness et l’exploitation minière au Brésil. Il leur a même promis de fusionner les ministères de l’Environnement et de l’Agriculture pour avoir plus de liberté d’exploiter les terres protégées.

Bolsonaro, ce nostalgique de l’époque des généraux et de la torture, a de quoi nous inquiéter, surtout quand nous connaissons le poids politique de ces «ruralistas», une alliance puissante de gros propriétaires terriens et de l’agribusiness présente au Sénat et la Chambre des Députés du Brésil, si proche du candidat de l’extrême-droite.

Bolsonaro, sachons-le, veut ouvrir les régions amazoniennes à l’exploitation minière, principalement dans les enclaves des quilombolas (descendants d’esclaves marrons) et des terres indigènes. Pour lui, il faut que les minorités se plient aux droits de la majorité, déclarant que «les minorités s’inclinent devant les majorités. Les minorités s’adaptent ou disparaissent». Sans hésitation, les liens entre les droits humains, les diversités et l’attaque sur l’écologie sont bien réels dans cette élection.

Les «fables des serres» et l’hyper libéralisme

Bolsonaro ne s’en cache pas:  le climat ne fait pas partie de ses priorités. Sa politique hyper-libérale et nationaliste ne s’embarrasse pas des aléas climatiques. Il a qualifié le réchauffement planétaire de «fables de serres». Il fait écho en cela à son alter ego américain, le président Trump qui a traité la menace climatique d’invention de scientifiques désaxés ou gauchisés. Bolsonaro, qui a remporté le premier tour électoral au Brésil, avec plus de 50 millions de votes, pourrait être la caisse de résonance trumpienne au Sud, sonnant le glas des écologistes et des politiques nécessaires pour penser la planète en termes globaux et solidaires.

Considérons la vision de Bolsonaro face au changement climatique et à l’écologie, et cela, au vu des dernières prédictions des experts nous donnant 12 ans seulement pour inverser la courbe de la destruction de la planète. Il s’agit de réduire l’émission des gaz à effet de serre au plus vite. Si cela n’est pas fait, nous aurons droit à une augmentation de la température globale de l’ordre de O.5 °C, ce qui signifie, par exemple, la destruction de tous les coraux, sièges de la biodiversité marine sur Terre.
Avec la probable élection de Jair Bolsonaro ce dimanche, nous semblons promis à un engrenage dangereux.

En effet, nous savons que Trump a mis hors-jeu l’Environmental Protection Agency et donné l’autorisation à des exploitations dans des parcs nationaux, le business étant le fer de lance de celui qui veut rendre «America great again»… Il s’est retiré des accords de Paris sur le climat, acte que veut émuler Bolsonaro le nationaliste qui s’est proclamé le champion de l’agro-business. Ce dernier voudrait une Amazonie ouverte au marché, et surtout aux entreprises de forage et de monoculture (le soja, par exemple).

Rappelons que Wall Street, voyant les actions en bourse du Brésil s’envoler après la victoire au premier tour du Trump brésilien, l’a qualifié de «populiste conservateur». L’idéologie libérale s’enfle résolument, Trump s’est lui-même qualifié de « ationaliste  cette semaine, comme si ce terme n’avait pas une résonance néfaste sur les sociétés tentées par les replis. L’unilatéralisme états-unien s’impose donc sur l’échiquier brésilien au moment même où un exode de réfugiés sud-américains vers l’Amérique du Nord est en cours. Ce sont les plus pauvres qui sont les premières victimes de ces politiques néo-libérales, populistes ou nationalistes.

Ce qui est à craindre de cette contagion populiste, c’est bien la naissance d’une vague «nationaliste» qui rate, à un moment crucial de la survie de la planète, un mouvement de fond transnational pour faire front à une menace immédiate de la survie de la planète. Le calcul à court terme prévaut en ce moment sur d’autres considérations au Brésil et ailleurs.

Brésil, le lien entre diversités et écologie

L’équation brésilienne actuelle, pour moi, se résume dans l’imaginaire corallien. J’avais défini cette vision en établissant un lien générique entre diversité biologique et culturelle. Ce lien est circulaire. Le Brésil ou la Colombie, pour ne citer que ces deux géants de l’Amérique du Sud, combinant des grands espaces verts nécessaires pour l’oxygène planétaire, sait combien ce lien est ténu. En effet, si la diversité culturelle, personnifiée par les peuples indigènes, est mise à mal, la diversité biologique est menacée, car ces peuples vivent souvent en symbiose avec la nature et contribue donc à la continuation d’un écosystème où l’humain, à la différence des multinationales, respecte l’environnement et donc, sa diversité. Dans l’autre sens, si cette diversité biologique disparaît, la diversité culturelle et humaine est aussi menacée. Souvent des peuples se sédentarisent sous la pression des intérêts économiques, partent en exil ou disparaissent tout bonnement, n’ayant plus le moyen de survivre dans un environnement soumis au forage ou à la monoculture intensive. Aussi, dans la pensée corallienne, on ne peut défendre la diversité biologique sans défendre la diversité culturelle, qui est son pendant naturel, chaque partie y développant une relation symbiotique. C’est ce que Bolsonaro met en péril.

Il est contraire à la diversité, aux diversités. Il prône une vision musclée de «l’ordre », un retour à une société répressive et unilatérale, peu respectueuse des minorités faisant la diversité humaine et de la diversité biologique. Dans cette vision, il ne cache pas son désir de déréguler en matière de protection environnementale, notamment celle des forêts pluvieuses ou tropicales, ouvrant des pans entiers de l’écosystème à l’agribusiness et aux mines. Il veut aussi stopper la création des réserves pour les peuples autochtones, représentant la réelle diversité culturelle vivant en synergie avec la diversité écologique. Cela est donc clair: la vision corallienne soulignant la complémentarité entre diversité biologique et culturelle, garante des diversités, est menacée si Bolsonaro arrive au pouvoir au Brésil ce dimanche. Les grands perdants de sa victoire, sans conteste, seront l’environnement et une politique globale contre le réchauffement planétaire. D’ores et déjà, Bolsonaro a fait part de son intention de fermer l’IBAMA, l’agence de protection de l’environnement, qui lutte contre la déforestation et l’Institut Chico Mendes, qui met à l’amende ceux qui détériorent l’environnement.

Aussi, au cœur de la montée des populismes et des nationalismes, la démocratie dérive donc vers les récifs coralliens promis à une longue agonie, comme le dit admirablement Jonathan Watts, qui utilise la symbolique du corail à bon escient: «Il sera impossible de réparer l’économie à moins de réparer l’environnement. L’instinct mondial en faveur d’un changement radical est juste, mais s’il n’est pas axé sur la reconstruction écologique, les démocraties du monde pourraient disparaître avant les coraux»1. La diversité biologique que symbolise le corail est clairement liée à la diversité des démocraties et aux droits des minorités, les unes étant les garantes des autres. Cela signifie que dans les crises de changement climatique et des réfugiés à répétition, la démocratie elle-même pourrait péricliter si elle ne fait pas la part des choses entre les cultures prédatrices, les économies à vision unilatérale et une économie globale des diversités.

Divorce entre politique et écologie

La communauté scientifique mondiale a raison de craindre le pire, si les Brésiliens ne se ressaisissaient pas. Ils ont la plus grande forêt tropicale au monde, celle qui absorbe une grande partie du monoxyde de carbone. Ils ont aussi les plus grandes superficies de terres cultivées de la planète, et ignorer l’impact d’une politique désastreuse pour l’environnement et les diversités compromettrait l’avenir d’une action mondiale concertée pour lutter contre les crises climatiques et politiques en cours et à venir.

Dans ce sens, un communiqué rédigé par des scientifiques brésiliens met en garde contre Bolsonaro, qui distille des fake news sur l’environnement (reflétant l’inquiétude des votants sensés) sur l’internet, pour grapiller des votes indécis. Bolsonaro n’est cependant pas d’humeur à annoncer qu’il soutiendra les scientifiques ou une transition vers l’énergie verte, tout en disant qu’il a changé d’avis sur certains dossiers écologiques. Cela ne trompe personne: «Cependant, toute position déclarée qui n’est pas favorable à l’environnement, aux populations traditionnelles et autochtones et leurs cultures et la protection des droits de l’homme fondamentaux, s’oppose à la Constitution brésilienne de 1988». 2

Une chose est claire: le vote des Brésiliens combinera la préservation ou le rejet de la lutte contre le réchauffement planétaire, le respect des diversités économiques, politiques et culturelles et la montée ou l’arrêt d’un élan autoritaire soutenu par des gros capitaux pour qui la destruction de l’environnement globale n’est qu’une «fable des serres»… En attendant le vote du dimanche au Brésil, la forêt amazonienne, les peuples premiers et les coraux retiennent leur souffle, en espérant que l’oxygène du monde ne sera pas mis sous l’éteignoir du populisme déferlant…

Note de l’auteur: «A la veille de la publication de l’article Bolsonaro, conscient des enjeux climatiques, a annoncé qu’il ne quitterait pas les accords de Paris sous certaines conditions, preuve que l’enjeu écologique est de prime importance…»

Notes

  1. https://www.theguardian.com/commentisfree/2018/oct/24/planet-populists-brazil-jair-bolsonaro-environment
     
  2. https://news.mongabay.com/2018/10/amazon-and-climate-science-threatened-if-bolsonaro-elected-brazils-president-commentary/

Viré monté