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L’enfant qui meurt

Umar Timol

L’enfant qui meurt ne fera pas la une des journaux, on ne défilera pas pour lui, on ne l’immortalisera pas, on n’en fera pas un héros, un symbole, on ne dira qu’il est tombé sous les balles des terroristes, l’enfant qui meurt demeurera un inconnu, sauf aux yeux de ceux qui l’aiment, il n’empêche que c’est une même matière qui unit son corps, il n’empêche qu’il a les mêmes rêves, il n’empêche qu’il est fait du même tissage, il est semblable à ceux dont la mort est l’objet de toutes les attentions, c’est un être humain après tout, les terroristes qui l’ont tué sont des terroristes bien comme il faut, ils portent cravates et costumes, ils sont élus démocratiquement, ils siègent au parlement, ils sont ministres, ils savent s’exprimer parfaitement, ils sont omniprésents sur la scène internationale, ce sont des personnes importantes et d’ailleurs ils ne font pas le sale boulot, d’autres le font à leur place et ils le font bien, plus que bien, on parle de frappe chirurgicale et parfois quand ils s’y prennent moins bien on parle de ‘dommage collatéral’, de toute façon ils savent tous les mots pour travestir la vérité, ils tuent toujours pour se défendre, la mort d’un enfant est toujours malheureux mais on se bat contre les terroristes alors qu’il sont eux-mêmes des terroristes, ils sont, à vrai dire, les bons terroristes, ils pratiquent le terrorisme d’état mais il faut éviter d’en parler au risque de passer pour un extrémiste, il y a des choses qui ne sont pas bonnes à dire, des choses peu convenables mais qu’importe, qu’importe ce qu’est cet enfant, ce qu’il pense car il n’est pas grand-chose, peut-être même rien, il n’est qu’un enfant qui vient de là-bas, de contrées éloignées, ne sont-ils pas tous des fanatiques, des barbares, n’est-il pas vrai qu’ils oppriment leurs femmes, qu’ils ne croient pas en nos valeurs, ils ne sont pas tout à fait comme nous, des bêtes sans doute mais on ne dira pas le fond de notre pensée, on est des gens polis, nous, qu’importe donc la mort de cet enfant, il n’est rien même s’il est tout pour ses proches, il n’est rien même s’il a en partage avec tous les êtres une même lumière, il n’est rien et il demeurera inconnu, semblable à des milliers d’enfants qui tous les jours meurent, on ne défilera pas pour lui, sa photo ne figurera pas à la une des grands journaux, on n’en fera pas un martyre, parce qu’il n’est pas du bon côté de la barrière, parce qu’il est une mauvaise victime, parce que son sang est de moindre valeur.

Umar 

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