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Carnet de voyage
depuis Saint-Domingue

Max Rippon

      

 

 

 

 

 

En compagnie du poète cubano dominicain Pablo Armando Fernandez,
complice de mes nombreuses séances de lecture à deux voix.

En compagnie du poète cubano dominicain Pablo Armando Fernandez, complice de mes nombreuses séances de lecture à deux voix.

Je suis venu souvent en Dominicanie. J’ai vu souvent la ville dans sa vie intense de fin de journée, mais je n’avais jamais pris le temps de regarder vivre la Capitale, comme aiment à le dire les gens du pays.

Je suis perché sur ce pont qui domine à perte de vue.

Je suis perché sur ce pont qui domine à perte de vue. En bas c’est un tourbillon de véhicules qui s’évitent de justesse, dans un vacarme de moteurs poussifs, de klaxons sourds parfois, stridents toujours. De piétons habiles à se faufiler entre les pare-chocs acérés tels des dents de la mer. Il me semble que seuls ceux qui sont à bord savent où ils vont. Qu’importe chacun prend d’assaut une guimbarde au hasard d’un ralentissement, ou d’un feu, rouge de colère.

Je pense à cet instant qu’il faut une compétence particulière pour prendre le volant à pareille heure. Je m’approche d’un jeune souriant à la vie. Je le questionne sur le sens et la cadence des klaxons et des sirènes hurlantes. Il me répond que tout cela n’a pas de vrai sens; mais qu’il convient joyeusement de klaxonner en ville, tout le temps et surtout à chaque croisement, car parfois cela peut servir!

Je comprends alors, que Saint-Domingue a sa musique, faite d’autobus enroués, de policiers siffleurs, de sirènes qui ne sont pas toujours celles des urgences, comme New-York a son odeur de vapeurs humides du métropolitan tube.

Il est 17heures. Heure de mon retour à l’hôtel Lina à Santo-Domingo. De mon haut point de vue, j’ai vu l’avenue du 27 février croiser celle qui met à l’honneur Maximo Gomez. Ce pont qui n’est pas l’unique du genre dans ville bien peuplée, est un génie de métal et de haubans d’acier entrelacés, qui permet aux piétons de trouver leur place dans ce nœud urbain, qu’est la circulation automobile au centre ville.

La Féria del Libro

Je suis là, observateur attentif, car je participe à La Féria del Libro à la demande et invitation de la Région Guadeloupe. Dans le cadre de l’année que nous avons dédiée à notre île voisine, la Féria qui s’y tient nous oblige à un regard particulier.

La qualité de l’accueil montre le niveau de considération dans lequel on nous tient ici. Mme Andréa Médina Bautista le consul, s’est employée à me rendre le débarquement facile, jusqu’à mon installation confortable à l’hôtel.

Durant cette longue période la Capitale fait la fête au livre. Il s’agit d’une Féria au sens tropical et hispanique du terme. Il n’y a pas de moquette ni de velours, pas le sentiment de livre objet culte ou sujet ostentatoire; mais une mise à disposition simple. C’est une fête qui met le livre dans un rôle de prétexte à se voir, à sortir, à parler, à se rencontrer, et enfin à être chaleureux, par besoin et par vocation, pour ce peuple délicieusement exubérant. Aucune proposition cossue du livre, ni autour de la lecture. Pas de poncifs doctes; mais du barbe-à-papa, du pop-corn, des autos-tamponneuses...

Une des nombreuses sculptures du Parque de la Cultura.

Une des nombreuses sculptures du Parque de la Cultura.

Les livres eux sont là, comme le mort aimé est présent lors de la veillée mortuaire; sauf qu’ici à Santo-Domingo, c’est la joie qui préside à chaque rencontre, chaque embrassade, avec cette foule de jeunes aux uniformes rivalisant de couleurs vives. Un coin est dédié à l’alimentation de cet imposant public qui lève la poussière à chaque pas posé sur ce sol brulé en cette saison. Dans cette zone en rangs serrés de cocinas d’ici et d’ailleurs, pizza à la faveur d’un public de jeunes taillé à sa mesure. Voilà pour l’ambiance.   

Pour ce qui est de la ville j’insiste sur sa musique nerveuse, faite de klaxons de taxis rarement indiqués, à bout de souffle qui conduisent en grand vacarme les connaisseurs habitués d’un point à l’autre de la mégalopole. L‘inconfort sonore ne dure pas longtemps, tant les conducteurs de ces morts roulants sont sympathiques dans leur recherche du client volontiers embarqué dans ces claquements appuyés de portières en fin de vie. C’est tout cela qui m’a plu dans ce bref séjour.

Cérémonie d’hommage en présence du ministre de la culture et de la «junta» du festival.

Cérémonie d’hommage en présence du ministre de la culture et de la «junta» du festival.

Pour ce qui est de la littérature elle-même, j’ai connu des moments de grande qualité. Des échanges du niveau attendu, dans un pavillon élégant et permanent, dédié tout entier à la poésie. J’ai noté ce grand intérêt confirmé pour notre archipel. S’il me fallait faire le choix, Je retiendrais cette idée qui consiste à concentrer tout ce qui à trait au culturel, dans cet espace de grande richesse architecturale qui s’appelle trop lapidairement: Place de la culture.

Et dans cet espace qui sert si bien la Féria del Libro, je veux retenir une voix qui épouse celle de notre Zagalo, mise au service d’improvisations chantées de très bonne facture, comme le font si bien aussi les hommes de Grands-Fonds.

Place de la culture.

L’autre coup de cœur se résume en ce poème spontané tout exprès pour elle.

                    Le temps d’une parole

J’ai vu une femme aveugle ouvrir grands les yeux
Pour mieux voir le bruit autour
J’ai vu une femme aveugle tâter les contours d’une fleur
Pendue au bout d’une tige hésitante
Pour tutoyer sa couleur soleil
J’ai vu une femme aveugle prendre l’envol des oiseaux
Fixer la musique rauque de ma voix
Pour mieux m’entendre lui dire
Mon admiration de la voir lire du bout des doigts
Et chanter aux nuages le langage des hommes…

Si je devais me permettre un bémol, il concernerait cette facilité à abandonner à même le sol les reliefs de repas, les emballages de pizzas et les cannettes vidées.

Je ne veux pas clore ce carnet sans me poser la question de savoir comment faire pour maintenir cette jeunesse si vive et abondante en solution pour l’avenir et non en problème pour demain.

Cette ouverture sur la grande région à laquelle je participe de plus en plus par conviction, nous montre à quel point nous avons à partager nos histoires qui se complètent, et que le temps du vivre dos contre dos est un temps révolu.

La Caraïbe est une juxtaposition de grains d’or, avec des émeraudes en rut, culminantes pour centre. Il nous appartient d’être le fermoir actif de ce continent à bâtir, pour que nous ne soyons plus cette «dent mal chaussée dans l’éclatant dentier de la caraïbe», dont parlait Guy Tirolien, dans Balles d’Or.

Max Rippon
le 4 mai 2013, sur le chemin du retour.

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