Potomitan

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Labadjou

Max Rippon

Le dernier bateau vient de quitter l’ancrage
Une amarre qui traine a tranché vif le luisant
Les remous turquoise de mer pure s’apaisent
Le soleil déjà sur les Basses se fane doucement
Le sable chamboulé s’abandonne entre les doigts usés des coraux
Les demoiselles les pagres et les perroquets aux portes des nasses
 S’embrassent à légers coups de bouquet de bulles 
Et la brune s’installe sur Bambara qui s’enlise dans sa brume
Dans la savane quiète de Tivoli les crabes arment leurs pinces
Les chauves-souris faméliques accrochées aux flancs de La Treille
Déploient sans bruit leurs amples ailes de feutre sombre
Les plus habiles taquinant à satiété le jus des sapotilles
Les crabes gestants sur la défensive s’enferment dans la peur
Le bec pointu d’un héron-crabier affamé frappe à leurs portes
Les femmes en bandes gaies panier tressé en équilibre sur leurs nattes
Se hâtent avec adresse entre les halliers pour devancer l’Angélus
D’arriver à temps dans la case faire diner les grands et coucher les petits
Les hommes assassinent le dos des tables à coups de dominos
La ville chante des airs de pause qui remontent depuis le creux  des ravines
La lune gravide a pris sa place dans son cocon de nuages encore tièdes
Et chaque lieu donne à la naissante nuit des allures de fête

Un trio de jeunes filles bien mises accrochées à leur chapelet
S’agenouillent en silence aux pieds d’une vierge compatissante
Notre Dames des Champs généreuse se couvre d’ex-voto
Des hommes sans âge mi-chauves au torse velu
Cercle d’or délicatement ancré à l’oreille
Devisent doctement sur le tracer des nuages
Cette heure à son odeur si douce et particulière quand elle se mêle au silence
Un négrillon attardé car le temps presse roule à l’aveugle  
Son cercle d’acier entre les rangs de canne ballotés par la brise
A la lueur des fanaux gavés de pétrole demain se prépare à voix basse
Le patron bornage fait l’inventaire des sennes qu’on ira mouiller de bon matin
Au haut du Morne Lolo une enclave d’arbustes épineux se révèle à mes yeux
Les lucioles donnent leur ballet de feux scintillants
Entre les rameaux ivres du bois d’inde-citron et des rangs de ti-boum soulants
Des crânes crépus fioles en mains s’élancent à l’assaut de ces perles de nuit
Ma tante Gaga pousse le bois sec pour varier la force du foyer
Une andouille suspendue au pignon de la pièce suinte et prend son fumet
Et les braises pétillantes enflamment les fesses noires
D’une vieille chaudière résignée

 

Un jour éphémère et crépitant à chaque fois se plie en cadence au temps
Mes cousins déjà en âge d’habilité écossent pour le dîner des pois-mélangés
Le bol en aluminium se remplit à mesure de billes émeraude aux verts variés
A la cadence des cousines envoyant monter des romances connues
Tout s’agite et reprend sa place chacun connaissant la sienne
Quand le dernier lien crépusculaire est rompu
L’île prude reprend sa route à l’abri des marées humaines  
Et la lune coquette prend les lacés du chemin-blanc pour miroir

 

Max Rippon
Durocher 17 janvier 2017

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