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«Mi Déba»

Le ring restera vide désormais.

Max Rippon


Jeff Joseph est parti, comme on le dit pudiquement, car nous répugnons à nommer la mort.

Le ring restera vide. Je dis le ring en pensant au regard de faucon défiant de cet artiste, qui, à lui seul résumait les caraïbes.

Nous sommes tristes, après l’avoir été pour feu Saint-Eloi,  et pour Hilaire Geoffroy, pour ne citer que les plus récents.

Et là se porte ma réflexion au fait de savoir si les artistes de scène, ceux dont l’essence est le contact vivant et vibrant avec le public, peuvent se permettre de vieillir comme Voltaire avant et Ainé Césaire plus récemment?

Je réponds volontiers non, car c’est dans la brutalité de sa sortie, que l’artiste se sublimant, incruste son art et laisse la marque indélébile de son passage dans les cœurs et les consciences.

La mort de Jeff est un tissu bien cousu de concordances heureuses, si l’on songe à ses dernières et brillantes prestations en terre sienne, et  cette programmation opportune de Guadeloupe 1ERE.

D’un ami parti, il faut trier à travers peines et douleurs, et retenir quelque chose.

Concernant Jeff, c’est l’amitié discrète et toujours chaleureuse de mon voisin d’île faussement jumelles, s’agissant de Marie-Galante et de la Dominique que je veux emprisonner dans mon souvenir.

C’est l’accent du «Ka-w fè mon frrè-w!» qui sonne de manière si irrépressible à mes oreilles, qui préside à mon besoin d’en parler, pour suturer le souvenir de nos rencontres.

J’ai dit ring. Je dis aussi athlète. Car pour moi, monter en scène pour Jeff, était comme un boxeur qui enjambe les cordes et qui fait face à un adversaire, qu’est le public.

Il le défie d’emblée par, un «Est-ce-que-ça-va!», il le transperce du regard.

Des yeux de rapace qui attend son heure; mieux, surtout son angle d’attaque.

Le but final de Jeff Joseph sur scène, étant faire fondre ses admirateurs en un unique public.

 Les con-fondre en quelque sorte. Sa force instinctive était de donner au terme «le public», son vrai sens singulier, pour un vrai temps de partage. Il appelle à recevoir un message uniforme, univoque. Et le maniant à sa guise comme on le fait du plus fragile des adversaires, il le tourne et le chavire, il le porte, et le soulève, et lui donne du bonheur et le récompense ainsi d’avoir partagé sa table.

Merci Jeff, pou fòs-la-sa!

Amener des milliers de gens, venus là, isolément et pour des raisons parfois différentes, à communier et faire jeu complice avec lui, l’artiste.

Nous garderons de Jeff, ce sens du donner et du recevoir, comme le font les boxeurs, le coup de gong retenti. Là, commence pour Jeff le travail au corps, sans temps mort, sans soif à étancher,  s’épongeant le visage avec le revers de la main, en toute simplicité, le concert durant, quand d’autres font débauche de serviettes éponges. Enchaînant ses titres  sans temps inquiétude, enfilés comme une série de crochets, de directs, et d’uppercuts. Touchant à la face, au cœur, aux tripes, pour réduire la foule conquise en une seule et indivisible complicité d’écoute.  Bravo guy et thank’s a lot!

C’est ce talent qui va faire défaut désormais. Je veux par ces quelques lignes dire à mon voisin d’île que ma terre partage la souffrance du sol où il va reposer.

Et quand à la brune, nous verrons les phares de nos autos dévaler les mornes de nos chez nous si proches,  nous nous souviendrons de nous… simplement.

Max Rippon
Castel  le 27 novembre 2011

boule

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