Potomitan

Site de promotion des cultures et des langues créoles
Annou voyé kreyòl douvan douvan

Réflexion sur la naissance
d’une crise économique et sociétale en Martinique

Sabine Andrivon-Milton


Ce matin, je me suis levée et je me suis mise à écrire cet article car il vient de mon cœur. Il dit ce que je pense et que je ressens de cette grève et je tenais à partager mes impressions avec mes compatriotes. C’est la Martiniquaise, la mère de famille, l’enseignante et l’historienne que je suis, qui écrit. Il fallait que je le fasse. C'était comme une pulsion.

Il a été réalisé sans dico sans relecture car je voulais qu'il transcrive ma pensée profonde. Plusieurs relectures m'auraient fait changer des choses.

La crise que nous traversons en ce moment était prévisible. Depuis longtemps, les conversations ne tournaient qu’autour de l’augmentation des prix. On a vu monter la grogne de la population mais comme dans toutes les crises on a été surpris par l’ampleur de la réaction du peuple. Il fallait que cela éclate car la population souffrait et s’appauvrissait.

La situation est la même en France hexagonale où l’on réclame l’augmentation du pouvoir d’achat, mais notre cas dans les DOM est encore plus critique, car en plus de cette revendication, nous devons faire face à des prix prohibitifs, qui ne font que diminuer notre pouvoir d’achat.

Trop c’est trop! Il fallait que cela éclate. On ne pouvait plus se contenter de constater que le nombre de personnes qui font appel à la banque alimentaire augmente, que les retraités n’arrivent pas à «joindre les deux bouts», que les dossiers de surendettement se multiplient, que les salaires n’évoluent pas, que la société martiniquaise se paupérise… Il fallait réagir. Comme toutes les crises, il fallait un détonateur et celui ci-est venu de la Guyane et de la Guadeloupe.

Maintenant que la crise est là, on recherche des responsables et on se demande pourquoi l’Etat a laissé faire aux Antilles?

Pourquoi l’Etat n’a pas réagi alors qu’il savait que certains prix étaient dix fois plus élevé qu’en France?

Pourquoi n’a-t-il pas cherché à justifier ces différences de prix?

Pourquoi n’y avait-il pas de contrôle de prix?

Beaucoup de questions qui restent sans réponse, car jusqu’à présent le peuple martiniquais souffrait en silence et ne disait rien à haute voix. Il achetait et payait. Aujourd’hui, il dit assez. Assez de cette exploitation effrénée. Le peuple veut vivre dignement. Il ne demande pas une augmentation des allocations de toutes sortes. Il réclame la possibilité pour tout un chacun de pourvoir avec son salaire faire vivre dignement sa famille.

On ne se bat ces jours-ci pour obtenir plus d’aides de l’État. Nous n’avons pas la main tendue vers la France. On se bat pour que la vie en Martinique soit meilleure pour nous et surtout pour nos enfants demain.

Car si on ne réagit pas que se passera t-il?

Si les prix augmentent autant et que nous ne pouvons plus subvenir à nos besoins, que se passera-t-il?

Les jeunes partiront. Nous assisterons à la fuite de notre jeunesse vers des pays qui offrent de meilleures conditions de vie.

Le comité du 5 février a obtenu une diminution de 20% des prix de 100 articles entrant dans le panier de la ménagère. Cette mesure est bonne mais elle ne résoudra pas les problèmes de la société. Il faut revoir tout le système et les organisations professionnelles l’ont compris. C’est le moment de réclamer une amélioration des conditions de travail. C’est le moment de faire entendre notre voix, de montrer notre souffrance, de nous battre. Nous n’aurons pas d’aussitôt une occasion de nous faire entendre en si grand nombre. C’est pour cela que nous devons prendre conscience que nous sommes en train de vivre un moment historique.

Il faut l’expliquer aux enfants. Leur faire prendre conscience que nous ne sommes pas en vacances. Leur dire clairement que cette grève générale est faite pour que demain, ils vivent mieux. Il faut que cette grève soit gravée dans leur mémoire, même si elle entraîne des perturbations dans la vie de tout un chacun.

Mais peut-ton faire une omelette sans casser des œufs?

Car tout le monde est concerné par la vie chère, excepté ceux qui profitent de la situation pour s’enrichir. Mais cela a toujours et va toujours exister.

Notre société va mal. Elle s’appauvrit et cela est aussi valable pour la classe moyenne qui ne dispose pas des aides de l’état. Cette classe moyenne qui est toujours au dessus du plafond et qui doit payer tout: cantine plus cher, centre aéré plus cher et qui pourtant est déjà solidaire à travers ses impôts. Certes elle va bénéficier de la baisse des prix des produits de première nécessité, mais après?

Qu’est-ce qui est fait pour elle?

L’augmentation des salaires réclamée par le collectif ne la concernera pas. C’est pour cela qu’il faut aussi obtenir une diminution du coût des services et profiter de cette crise pour revendiquer de meilleures conditions de travail.

Cette crise ressemble, à une échelle amoindrie, à celle que l’Allemagne a traversé dans l’entre deux guerre mais avec ses particularités locales. Elle aurait pu éclater dans n’importe quelle région de France, mais elle a débuté dans les DOM car nous devons en plus nous battre contre les prix.

Espérons que nous trouverons des solutions qui puissent satisfaire les uns et les autres. Il ne faut surtout pas que la montagne accouche d’une souris.

Nous vivons un moment historique qui doit déboucher sur des mesures historiques.

Sabine ANDRIVON-MILTON
Historienne
www.andrivonmilton.unblog.fr

LKP

Viré monté