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Propos d'Aimé Césaire sur les résultats
du référendum du 10 Janvier 2010

                            À l'énoncé des résultats du référendum du 10 janvier 2010, je me suis entretenu avec Aimé Césaire, que j'ai trouvé, désabusé, triste, sans colère apparente qui a tenu à s'exprimer devant les martiniquais, tous. Je vous livre ses propos, tels qu'il me les a fournis et que je transcris mot à mot. Laissons le parler.

 

                            Martiniquaises, martiniquais, je dois vous parler, parler à mon peuple. Bien que cela ne soit pas dans mes habitudes, j'aurai aujourd'hui, des propos très durs envers ce peuple, ce peuple que j'ai toujours aimé, ce peuple dans sa grande diversité malgré ses habituelles erreurs qui ne sont pas toujours de sa faute. Vous venez de refuser ce qui me semblait aujourd'hui, la meilleure chance pour vous, pour votre avenir, pour vos enfants, pour la Martinique que je continue à aimer.

                            La faute en incombe d'abord à la France, son pouvoir centralisé et à son chef d'État que je n'ai jamais réellement aimé malgré ses efforts pour me plaire. Nicolas Sarkozy, le chef de l'État, est un homme habile et toujours fidèle à la politique colonialiste française. Car on ne propose pas un référendum, aussi grave, sous couvert de démocratie, car un référendum, certes démocratique, est souvent une supercherie. On ne propose pas un simple «oui» ou un simple «non» sans expliquer aux martiniquaises et aux martiniquais, ce que cela signifie, sans expliquer le sens des articles de la constitution française et les enjeux. C'était à lui de le faire. Cela n'a été réalisé que par nos admirables intellectuels martiniquais, qui n'ont pas ménagé leur peine et perdu beaucoup de temps et d'énergie à cette explication, qui tournait parfois à des propos désespérés. Les conseillers de l'actuel chef de l'État, qui, connaissant bien les martiniquais, lui ont conseillé de ne rien faire, cet homme, rusé et colonialiste, je le répète, surtout sans aucun sens de l'honneur, n'a rien fait, sûr du refus, donc du «non».

                            Peut être, n'aurais-je pas dû demander la départementalisation mais l'indépendance. A voir le chaos qu'elles ont provoqué en Afrique, j'ai eu raison en 1946 car les peuples n'y était pas préparés et surtout la Martinique était dans un tel état, qu'il nous fallait la France pour améliorer le pays, le sauver de sa misère. Je crois avoir eu raison.

                            On nous a proposé en 1958 l'autonomie. Avec mes collaborateurs du parti que j'ai fondé, après une longue réflexion, j'ai décidé un moratoire. Je ne sentais pas le peuple martiniquais, prêt à cela: cette autonomie qui devait nous conduire à l'indépendance. J'ai donc refusé pour cette seule raison et proposé un moratoire.  En 1982, bien que la France ait basculé vers  un gouvernement de gauche et que François Mitterrand fût un ami et qui a d'ailleurs proposé une fois de plus notre autonomie, j'ai, moi, demandé un moratoire. Car je savais que Monsieur Mitterrand aurait vite les mains liées, en Europe et dans son pays. Ai-je fais une erreur? C'est possible. Nous avions peu de temps, l'histoire a montré que j'avais raison. Il n'a eu les mains libres que trois ans.

                            Mais la donne en 2010 a changé. Sarkozy n'est pas Mitterrand et le peuple martiniquais a évolué, grâce à ses intellectuels dévoués et par un chef politique respecté qui s'est rangé à mes rêves, le Président du Conseil Régional qui avait lui comme moi jadis, une très forte assise politique auprès des martiniquais. Cette fois, il fallait saisir, au nez des Français, l'opportunité d'une phase transitoire, l'autonomie et ne plus reculer devant des peurs et ne plus proposer de moratoire. Au contraire puisque la France ne faisait rien, expliquer en long et en large, les enjeux de cette phase transitoire, ce qui fut fait par bon nombre d'entre vous que je ne citerai pas. J'ai pu voir des appels poignants. Je vous rappelle quand même que j'ai dit en 1980: «Ou bien la Martinique sera indépendante ou elle disparaîtra» L'occasion était donnée enfin de faire un pas vers l'indépendance, par cette phase transitoire, l'autonomie qui permettait par la compréhension de l'article 74 de la constitution française de vous donner toutes les garanties, de calmer vos peurs et de vous ériger en peuple martiniquais, enfin pourrai-je dire, car la France, l'Europe continueraient à vous aider, mais, mais, vous auriez eu votre destin entre vos mains, vous deveniez réellement un peuple, donnant un sens concret à ce mot et les progrès de la Martinique auraient été tangibles.

                            Il fallait que vous votiez «oui», les yeux fermés et vous ne l'avait pas fait du moins majoritairement, scandaleusement majoritairement, en votre âme et conscience, car la démocratie, c'est «un homme, une voix». Vous étiez seuls dans l'isoloir.

                            Cela m'amène à d'amères conclusions et vous me pardonnerez si je suis un peu dur avec vous, à réfléchir, à trouver des causes, des vérités et à les formuler.

                            Je commencerai par vous martiniquais car c'est vous que j'aime, en premier lieu. Je me suis certes parfois laissé emporter en vous traitant «d'âmes de morue». Mais aujourd'hui, je me dois d'aller plus loin. Vous êtes irresponsables, sans aucune pensée pour votre Martinique pour vos enfants, leur avenir. Vous vivez au jour le jour, simplement réglé par vos intérêts personnels, votre plaisir, sans la moindre lucidité, sans la moindres réflexion, sans esprit critique et cela n'est pas entièrement de votre faute, c'est le résultat de votre histoire. Je sais  que vous êtes majoritairement des descendants d'esclaves ce qui perdure dans votre inconscient. Mais, plus grave, vous êtes encore aujourd'hui des esclaves, d'une autre façon mais des esclaves quand même. En tout cas vous êtes bien loin de cette notion que j'ai de «peuple martiniquais». C'est décourageant, un peuple doit s'unir dans des situations importantes. Pardonnez mes propos mais la colère m'envahit, moi si tolérant et si courtois d'ordinaire. Vous êtes un ramassis d'abrutis, un non-peuple d'égoïstes, de décervelés. Je vais vous choquer, car je réprime mal ma colère et ces mots n'ont jamais été dans ma bouche.

                            Vous êtes «des cons» et ce n'est pas entièrement de votre faute.

                            Passons aux intellectuels. J'ai aimé leur travail et je les en félicite pour trois raisons ce qui prouve que la relève est là, plus nombreuse qu'autrefois. La première est, qu'au-delà de leurs chamailleries incessantes, ils se sont unis pour parler d'une même voix. En tant que intellectuels, ils ont tout compris, eux. La seconde raison et qui me réjouis, est qu'ils ont effectué un travail remarquable, de démagogie, au sens grec du terme donc non péjoratif, au contraire. Peut-être,  devrais-je employer le mot pédagogie, plus familier pour vous et plus approprié, «démos»,en grec signifie le peuple. Et vous n'êtes pas, martiniquais, un peuple dans l'acception du terme. En tout cas pas encore. Troisième raison, ces mêmes intellectuels sont allés au bout de leur analyse, de leur honnêteté intellectuelle et de leurs forces, une tradition martiniquaise.

                            Que dire des Békés? Qu'ils sont logiques. Descendants d'esclavagistes mais toujours esclavagistes. Pour leur seul profit et le mépris qu'ils ont de vous. Leur statut de colons dès 1848 n'est que façade. Ils sont restés les mêmes. Je vais téléphoner à Bernard Hayot qui a quelque autorité sur eux et lui dire que ses tentatives de réconciliation comme il le fit avec moi, quand nous avons planté cet arbre de la fraternité à l'Habitation Clément, est une supercherie. Cela en sera fini avec lui.

                            Les partis politiques et les syndicats ont régi différemment. Ceux de «droite», ont été aussi logiques. Leurs intérêts sont le profit personnel, ils n'ont cure de la Martinique. Ce sont les laquais de la France. C'est tout. Mais les partis dits de gauche, une mosaïque, comme les syndicats, se sont unis, ont fait taire leurs discordes. Unis, ils ont œuvré, tous ensemble, vers un seul objectif. Et je les remercie d'autant plus que c'étaient mes objectifs, une phase transitoire, préalable, que certains au départ trouvaient superflue. Je les félicite pour leur réflexion, leurs sacrifices destinés à atteindre notre idéal commun,  l'indépendance de la Martinique. Et de cela, tous les partis de gauche et syndicalistes de gauche, traditionnels, se sont donnés sans compter.

                            Sauf un, le PPM, parti que j'ai fondé.

                            Ce parti n'est plus le parti que j'ai fondé. Ses militants, l'appareil du parti, les cadres, son leader m'ont trahi, pire m'ont insulté, eux qui disent parler en mon nom. Et je vois là mes erreurs. Les militants sont là par habitude et suivent l'avis du parti, avec paresse. L'appareil du parti suit les dirigeants avec bêtise. Les cadres suivent leur chef de parti avec des ambitions personnelles.

                            Alors que l'on ne prononce plus mon nom au PPM car le PPM n'est plus celui que j'ai fondé, il y a plus de 50 ans mais il s'y oppose, aujourd'hui, entièrement. Donc j'ordonne que l'on dissolve le PPM, et ce au plut tôt. Qu'ils fondent autre chose. J'ai été trompé, trahi, humilié, moi Aimé Césaire, moi pourtant si humble.

                            Et que dire du leader que j'ai mis en place, Monsieur Serge Letchimy, y compris à la Mairie de Fort de France comme à l'assemblée nationale?

                            Que j'ai honte de l'avoir mis là où il se trouve, à la tête de mon parti et de la Mairie de Fort de France. Je veux lui dire qu'il a saboté tout le travail de ma vie. Et en rien, j'insiste,  il n'est mon fils, ni politique, ni idéologique, ni spirituel, s'il le croyait, ce dont il vous persuade. Car mon seul fils politique et idéologique est aujourd'hui, Monsieur Alfred Marie-Jeanne. C'est le seul qui poursuit mon combat et je demande avec humilité à ce dernier de  poursuivre ce combat jusqu'à sa mort.

                            Et je demande que l'on répande partout à la Martinique que l'héritier de Césaire est Alfred Marie Jeanne, aux plus insignifiants des martiniquais. Je ne veux plus qu'on prononce le sigle de PPM car ce parti n'existe plus sauf à l'état de cadavre, sur lequel, malgré sa décomposition, on continue à ignorer l'état de cadavre. Quant à Letchimy, moi qui l'ai fait, moi qui l'ai porté au plus haut niveau, je présente mes excuses aux martiniquaises et aux martiniquais.  Tout est de ma faute. Pourtant habitué à la politique depuis 70 ans, je ne suis hélas qu'un poète. Mais que ce Letchimy aille autre part, dans ces partis qui servent les ambitions personnelles et non l'idéal, le mien, l'indépendance et l'amour, le mien, pour les martiniquaises, les martiniquais et la Martinique.

                            Chaque homme est faillible. Mais il faut savoir réparer ses erreurs. Du respect que vous avez pour moi, martiniquaises et martiniquais, je me dois de donner quelques conseils, voire des ordres: le PPM n'existe plus, Letchimy ayant acquis tout mon mépris doit être ignoré voire vilipendé. Il faut lui retirer le moment venu, la Mairie de Fort-de-France, l'empêcher de se mêler des consultations régionales et que tous lui disent, bien fort en le regardant droit dans les yeux que l'héritier d'Aimé Césaire est Monsieur Alfred Marie Jeanne. Que chaque martiniquaise et martiniquais le sache et en soit convaincu. «Vae victis» m'a-t-on appris au lycée Schoelcher de Fort de France, en classe de latin, lequel lycée doit être entièrement reconstruit et non ravalé, ne serait-ce que pour la sécurité des élèves. Il faut savoir se débarrasser des vieux symboles. «Vae victis» cela veut dire «malheur aux vaincus». Letchimy, quoi qu'il en pense, est vaincu et va tout perdre.

                            Donc, désormais, ce fameux Césaire que vous avez respecté, qui vous a rendu fiers, unis et plein d'espoir pour la Martinique, s'appelle désormais Alfred Marie Jeanne. Vous l'appelez «chaben» mais c'est comme vous voulez. Moi, mon éducation et ma vie, préfèrent l'appeler Alfred Marie-Jeanne ou peut-être Alfred tout simplement. Cela n'a pas d'importance. Soyez avec lui, comme vous avez été avec moi, respectez-le, écoutez-le et laisser le agir.

                            Je ne peux finir, martiniquaises et martiniquais, sans un message d'espoir car le combat est rude, le coup que vous m'avez porté ce dimanche ne m'a jamais autant accablé.  Seul l'espoir doit vaincre et supplanter les désillusions de l'échec. C'est ce qui m'a fait vivre. Alors reprenez le combat avec plus de détermination, d'attention et de méfiance, mais reprenez le combat. Peut-être sous d'autres formes que celle des partis politiques qui vous représentent. Je ne sais pas, le monde évolue. Peut-être, un front populaire uni, derrière la bannière d'Alfred Marie-Jeanne. Peut-être le sabordage de tous les partis politiques et le mépris des élus. Peut-être une révolte, une révolution, mais j'y crois peu, vous connaissant. Sans doute un Toussaint Louverture ou quelques femmes et hommes qui lui ressemblent.

                                                                                                                Sachez qu'à l'immense tristesse que j'ai eu à l'énoncé de ces résultats du référendum du 10 janvier 2010, je me devais de vous faire part de ma réflexion et aussi de vous dire que je vous aime malgré tout et que je vous aimerai toujours.

Aimé Césaire

                             Voilà ce que m'a dit Aimé Césaire, cette nuit du 10 janvier 2010. Il a rajouté comme je le quittais, une de ses citations «Le crayon de Dieu lui-même n'est pas sans gomme.»

Viré monté