Ces divinités qu’ils croient détruire…

Raphaël Confiant

Madévilen et ses deux épouses

Madévilen et ses deux épouses, Sainte Marie. Photo J. Benoist.

Lire aussi: Destruction de statues hindoues: un crime contre le patrimoine martiniquais par Gerry L’Étang.

La destruction de statues hindoues, en plein mois de célébration de la révolte du 22 mai et de l’abolition de l’esclavage, n’a guère provoqué d’émoi à la Martinique. Ce geste scandaleux n’a suscité ni articles dénonciateurs dans le quotidien, ni coups de gueule sur les radios, ni pétitions, comme cela se produit habituellement dans des cas similaires. Pourtant, ces divinités — Mariemen, Madouraïviren, Paklayen etc… —, arrivées du pays tamoul au siècle dernier sont un pan de notre mémoire collective, une facette de notre sensibilité créole puisque, comme tout un chacun peut le constater, les «Bondié Kouli» ou cérémonies hindoues sont davantage fréquentées par des non-Indiens que par des Indiens.

Ce geste est une agression contre la culture créole. Contre l’hindouisme créole. Contre l’indianité créole. Qui en sont les responsables? L’enquête de police répondra à cette interrogation, nous dira-t-on. Foutaises! Chacun sait que l’affaire sera classée d’ici quelques mois et que personne n’en parlera plus. Je prends donc mes responsabilités et déclare que cette destruction n’est aucunement l’œuvre d’un déséquilibré mental ou d’un individu isolé. Elle émane de gens qui appartiennent à la religion dominante — tant dans sa forme romaine qu’étasunienne —, cette religion qui a accompagné l’esclavage et l’a bénit durant trois siècles. Celle qui a détruit la religion des autochtones caraïbes et brûlé les statuettes de Maboya et de Shémin. Celle qui a détruit la religion de nos ancêtres africains et a renvoyé Legba, Erzulie et Ogoun dans les ténèbres.

Ces gens ne cessent d’éructer des insanités sur leurs multiples radio-libres à longueur de journée, vouant aux gémonies tout ce qui fait partie de notre culture: les veillées mortuaires avec conteurs, le carnaval, le bèlè, le quimbois et maintenant l’hindouisme créole. Ces gens participent au processus de dissolution progressive de l’identité martiniquaise, servant ainsi de forces d’appoint au colonialisme français. Ces gens sont des Antillais, hélas…

Et pour mieux masquer leur assimilationnisme militant, ils ont déniché ces temps-ci un nouveau bobard: Jésus-Christ est noir. Faut-il recommander à ces gens de lire Cheick Anta Diop et Alain Anselin qui démontrent, de manière irréfutable, que les Egyptiens de l’Antiquité, furent majoritairement des Nègres et rappeler à ces mêmes gens que la civilisation pharaonique date de… 3'000 ans avant Jésus-Christ? Comme si le Nègre avait toujours besoin du Sémite, de l’Européen ou de l’Asiatique pour réussir quelque chose!

Pauvres complexés qui, nuitamment, s’arment de pioches pour détruire des statues hindoues, vous ne parviendrez jamais à effacer la douceur de Mariémen de nos cœurs!

Raphaël Confiant

éléphant

Destruction de statues hindoues: un crime contre le patrimoine martiniquais
par Gerry L’Étang

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Ces divinités qu'on croit détruire... Tu l'as dit, écrivain.

Elles pourraient leur donner un bon bok, une bel kabech, ceux qui croient dans leur cœur que c'est bien fait ce qui est arrivé à nos statues là. De son rituel du krazé-sa, le veule, il a encore lâché son frein. Tout ce qu'on ne comprend pas, on kraz. Tout ce qui est ancien, on kraz. Tout ce qui est nouveau, on kraz. Au nom du factice. Des statues qui ne t'ont rien fait, que je sache, tu massacres. Pour qui? Parce que tu es mal, tu t'exorcises en cognant ta propre image dans un miroir de pierre enjolivée d'innocence.

Peuple de fêlés que nous sommes, on ne s'en sort pas, avec toute les grâces reçues dans ces îles-là, pas fichus rester tranquille à contempler un petit moment l'espace profond qui est à nous, entre deux idées volées. Faut qu'on écrase quelque chose pour sentir qu'on a une quelconque force en soi.

Aujourd'hui il y en a des qui pleurent le geste malsain, parce qu'on a, allez, évolué un peu. Mais dans le temps où tout disparaissait, qu'on pilonnait l'héritage, où est passé ce que nos ancêtres ont apporté, et ont créé? Pas de quoi faire un musée! On l'a jeté nous-même parce qu'on se faisait honte! Et le petit peu qui reste ne voilà-t-il pas qu'il y a encore des inutiles que ça gêne. Or, or! Tambour va!

Il faut refaire de plus grandes. Des grandes, grandes, grandes statues, des remake géants des divinités de villages qui accompagnèrent nos ancêtres à où l'affamé de sucre avait déjà dépouillé et égorgé un autre indien. Madévilin sabre brandi! Kalimaï ennemie du mal! Kanavédi, chasseur d'obstacles! D'immenses statues, des visibles et des invisibles, des réelles de pierre et des virtuelles de l'onde, des présences nécessaires, au regard plein de force et de douceur, troisième œil comme un laser, doigt pointé nettoyeur et bénisseur, main imparable et guérisseuse. Les mettre bien en haut des mornes pour chirurgier et rapiécer ces cœurs lacérés qui se lassèrent d'aimer. On ne doit pas se lasser d'aimer! Il faut refaire illico ce qui a été dérespecté, rebâtir de plus belle ce qui a été profané par un geste macaque que Singe lui-même ne fait pas, geste de piètre allure qui insulte notre conscience au lieu de la nourrir, acte bidon qui montre que tout l'intellect des écoles, le prêche des églises, la sauce macabre des média et le talent mièvre de nos artistes faciles n'ont fait de nous qu'un paquetas qui tait son âme belle sous une arrogance de polichinelle.

Il faut que l'indien qui a tant apporté cesse pour de bon de croire qu'il mérite aussi le sort amer de l'amérindien. Il faut qu'il ranime son patrimoine, qu'il le redécouvre en son tréfonds plutôt que nulle part, qu'il le multiplie, qu'il l'éclaire, qu'il le répande à verse sur cette culture du panache, de l'eh, oh m'as-tu vu, comme il a sauvé la canne de ses larmes sur cette terre sans demander merci, ces îles qui sont tout aussi à lui qu'à l'un et à l'autre. Sans plus se cacher à lui-même, fouiller aussi sa propre histoire.

Sueur dans les cannes, virtuose du coutelas, invocations dans les temples, éducation à l'enfant, services rendus sans compter, prières et chants sacrés suivis de manger pour tous... un amour qui se prolonge... Une vieille donnait hier trois petits citrons à une infirmière qui s'était occupée d'elle sans compter, l'infirmière qui se lève le matin à trois heures pour prendre sa voiture et aller faire la toilettes des vieux... Impotents au grand cœur, elle a repris espoir et confiance dans le fond de l'Être pour trois petits citrons reçus d'une vieille main d'or. C'est ça, zendien. C'est sa, kréyol. Pas toute cette farandoles sur marbre qui brille, ce défoulement qui pétarade, ce bruit omniprésent, cet énervement pour un oui ou un non, ces grandiloquents immeubles où le jour n'entre pas. C'est citadelle bâtie dans le cœur de l'homme, c'est la flûte des mornes, c'est le chant du matin, c'est la prière et le pardon, le conciliabule et le doux silence intérieur. L'être son là. Là, là même là.

On ne tuera pas l'Être, et ce qui est donné est bien donné, Moi, enfant malabar traité de coolie quand j'apprenais à lire, je continuerai de cultiver l'enfant du peuple sans regarder qui est là et d'où venait son ancêtre. Mais je te redirai toujours en méga agouba la parole de mes vieux : apprends à t'aimer d'abord avant de jalouser l'autre, cherche en toi-même qui tu es sans ces étiquettes de société d'ailleurs, vois où est ta nature profonde et créatrice, aimante et protectrice de vie. Généalogiste, sache qui était ton ancêtre, et pourquoi il franchit l'océan.

Car à force de te tuer toi-même à vouloir que l'autre te respecte avant même de faire ta petite toilette, tu te renfonces dans ton propre trou. Et tu ne t'en sors pas, et l'encrabeur fait chaque fois de toi son nannan.

Les saints, les divinités, les êtres de lumière ne meurent pas. Leur vraie nature, c'est notre profondeur et notre hauteur, le compas de notre compassion, notre humilité sans l'humiliation.

Les retours de massue peuvent être, hélas, costauds... Nou pa té bizwen sa! 

Jean S. Sahaï, 
juin 2006, Guadeloupe

éléphant

Communiqué de Presse

Le mouvement «Bâtir le Pays Martinique» tient à faire part de sa très vive émotion devant les actes de vandalisme qui ont frappé certains temples hindous de la Martinique et ont abouti à la destruction de statues datant de plus d’un siècle et demi.

Ces statues, amenées de l’Inde par les dizaines de milliers de travailleurs tamouls qui, à compter de 1853, sont venus aider à la sauvegarde de l’économie cannière de notre pays, font désormais partie intégrante du patrimoine religieux et culturel martiniquais.

Notre Mouvement tient à rappeler que l’Indianité est une composante à part entière de l’identité créole et qu’à ce titre, elle mérite non seulement respect et considération, mais surtout protection.

Nous condamnons donc sans réserves de tels actes et demandons aux autorités de prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre hors d’état de nuire ceux qui en sont responsables et pour empêcher qu’ils se reproduisent.

Louis BOUTRIN
Porte-parole de «Bâtir le Pays Martinique»

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