Destruction de statues hindoues :
un crime contre le patrimoine martiniquais

Gerry L'Étang

Statues temple de St-Pierre
Statues du temple de St-Pierre. Photo J. Benoist.

La déprédation récente de statues hindoues à la Martinique, pose la question de la sauvegarde du patrimoine Martiniquais et de la connaissance par les Martiniquais des contours ce patrimoine.

La dimension profanatoire de ce qui s’est passé en cette fin de mois de mai dans un temple hindou de Basse-Pointe, est sans doute apparue à tous. La plupart de ceux qui en ont été informés, essentiellement par l’antenne d’ATV, ont été heurtés par le caractère scandaleux d’une entreprise consistant à fracasser à coups de masse des sculptures érigées par un groupe religieux. Cette atteinte à la liberté de pratique, au respect de lieux de culte est en soi détestable. Mais le crime ne se limite pas à cela. La destruction des statues du temple de Moulin-L’Etang est aussi une atteinte au patrimoine martiniquais. Pour s’en convaincre, il importe de rappeler l’histoire de ces statues.

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, arrivèrent avec les 55 convois de l’immigration indienne, quelques sculpteurs hindous. La mémoire hindoue martiniquaise a gardé le souvenir d’un certain Vatialou Maldè, prêtre sculpteur d’un temple du dieu Madourai Viran qui débarqua de la Présidence de Madras avec ses outils. «Il choisissait avec soin les roches à la rivière et, avant de les déplacer, procédait la nuit à un rituel. Plus rarement, il sculptait sur place. Une fois la sculpture terminée, il réalisait encore dans le koylou un rite afin de la consacrer, de lui ouvrir les yeux.».

Les sculpteurs qui tel Vatialou Maldè inscrirent dans l’andésite noire des rivières de Martinique les figures des dieux de l’Inde, travaillaient en haut-relief, technique caractéristique de la sculpture populaire des districts tamouls de Tanjavur et de South Arcot, d’où provenaient la plupart des Indiens de Martinique. Suivant cette technique, la pierre est à demi sculptée dans le sens de l’épaisseur; la face cachée étant, elle, non travaillée. Cette façon est aujourd’hui en Inde même abandonnée au profit du procédé ronde-bosse, où la pierre est intégralement sculptée. Le musée de Pondichéry garde cependant précieusement quelques-unes de ces sculptures populaires en haut-relief du passé, dont la ressemblance avec les sculptures martiniquaises est confondante.

De nombreuses sculptures de ce type furent réalisées à la Martinique dans la seconde moitié du XIXe. Et on en comptait encore une centaine au début du XXe. Les avatars que traversa depuis l’hindouisme martiniquais, les fermetures de temples, les destructions, les dispersions, les vols, les remplacements par des formes modernes importées d’Inde ou de Trinidad réduirent ce chiffre de moitié. Ce nombre vient encore d’être abaissé par les destructions de Basse-Pointe.

L’enjeu que représente ces statues dépasse donc leur simple dimension religieuse. Ces Sèlè hindous sont un élément essentiel du patrimoine matériel martiniquais, notamment artistique. Le choix esthétique qui consiste à les calandrer d’un mélange de jaune de chrome et de gomme arabique - ce même «jaune calandé» qui orne les «têtes calandées» (coiffes créoles traditionnelles) - reflète par ailleurs leur créolisation. Ils constituent de plus, des marqueurs d’une des sources anthropologiques de ce pays. Et donc de ce qu’il est aujourd’hui.

Ces dimensions multiples ont à l’évidence échappé au névrosé qui a levé sa masse. Comme elles échappent à tous ceux qui n’ont pas appris à lire sur les visages séculaires de ces statues, la symbolique, l’histoire qui y sont inscrits. Les destructions passées et présentes de ces Sèlè sont aussi les conséquences de cette méconnaissance.

Mais cette méconnaissance ne saurait relativiser la perte que constitue cette déprédation. La destruction d’un ensemble statuaire vieux d’environ 150 ans est un dommage immense pour la Martinique. Cet acte inqualifiable appelle une enquête et des sanctions exemplaires. La sauvegarde de ce qui reste du patrimoine matériel hindou, comme d’autres éléments du patrimoine martiniquais, passe aussi par cette pédagogie-là.

Gerry L’Étang
Anthropologue, coauteur de
L’Inde dans les arts de Guadeloupe et de Martinique. Héritages et innovations

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