Messieurs,
J'ai bien reçu votre demande d'entretien que je me vois, hélas,
contraint de refuser. Pourquoi? Non par hostilité particulière envers vos
personnes, que je ne connais d'ailleurs pas, mais pour toute une série de
raisons dont voici les principales:
- Il ne faut pas confondre le combat des ANTILLAIS, des CREOLES, qui
sont un peuple, disposant d'une langue, d'une musique, d'une cuisine, d'une
architecture, d'un territoire propres avec le combat des NOIRS FRANCAIS.
Nous autres CREOLES aspirons au minimum d'intégration dans l'ensemble
français, c'est-à-dire à une autonomie la plus vaste possible laquelle doit
pouvoir évoluer, à moyen ou long terme, vers une indépendance complète à
l'instar de nos pays-frères que sont Sainte-Lucie, Dominique, Barbade ou
Haïti. A l'inverse, les NOIRS FRANÇAIS - et c'est leur droit le plus
Absolu - aspirent à un maximum d'intégration dans l'ensemble français. Bref,
nous autres Antillais sommes un peuple différent du peuple français, une
nation en devenir, alors que vous, les Noirs français êtes une minorité
nationale française. Si des solidarités sont possibles entre nous, si des
actions communes peuvent ponctuellement être menées, NOS COMBATS RESPECTIFS
SONT FONDAMENTALEMENT DIFFERENTS. Entretenir la confusion ne peut
qu'affaiblir, voire miner, le combat que nous autres, Antillais, menons pour
l'accession à notre pleine et entière souveraineté, tout en gardant des
relations d'amitié et de respect avec le peuple français.
- Que les NOIRS FRANCAIS se rassemblent sur une base ethnique, voire
Raciale - "Conseil des Associations Noires" dîtes-vous - , je peux le
comprendre tout à fait dans le contexte de racisme tantôt larvé tantôt
ouvert existant actuellement en France. Mais dans notre cas à nous
Antillais, toute forme de "noirisme" serait suicidaire étant donné que nous
sommes un peuple, certes à dominante nègre, mais composé de Mulâtres, de
Blancs créoles, d'Indiens, de Chinois et de Syro-Libanais et autres. Notre
combat national ne peut en aucun cas s'appuyer sur une vision coloriste de
la réalité. La nation créole est une nation métisse à l'instar de ses sœurs
caribéennes et sud-américaines.
- Sans m'immiscer dans les luttes quotidiennes des Noirs français, je
ne peux que constater le fait suivant: des associations, telles que le
COLLECTIF-DOM, se coltinent une série de dossiers très concrets, se battent
au jour le jour, pied à pied, avec l'administration, intentent des procès à
des racistes, font un intense travail de lobbying etc..., or jamais il ne
m'a été donné de lire dans la presse, d'entendre à la radio ou de voir à la
télévision le moindre COMBAT CONCRET mené par votre CRAN. Je m'interroge
donc sur le terme "représentatif" figurant dans votre dénomination. Et pour
revenir sur la question de la solidarité ponctuelle possible entre les
Antillais et les Noirs français, je peux citer l'appui que certains d'entre
nous ont apporté à la démarche du COLLECTIF-DOM et de son dynamique
président, Patrick Karam, pour faire condamner la compagnie "BANANIA" et son
logo raciste de même que l'appui que le COLLECTIF-DOM nous a donné pour
lutter contre la suppression du CAPES de créole. Ces coups de mains
réciproques et ponctuels (j'y insiste) sont toujours les bienvenus et si vous avez des propositions en ce sens, pourquoi pas?
- Et enfin, d'une manière plus générale, si je comprends bien que des
travailleurs, des ouvriers, des paysans pauvres etc... fuient l'Afrique et
les Antilles pour venir s'installer en Europe, je ne comprends pas que des
intellectuels en fassent de même. Il s'agit là à mes yeux d'une démission,
voire d'une désertion. Car une question et une seule se pose: QUI
DEVELOPPERA L'AFRIQUE ET LES ANTILLES? Qui parviendra à les arracher au
sous-développement? Est-ce que ce sont les "Toubabs" et les "Zorey" qui
vont le faire? Pendant que des intellectuels africains et antillais
installés en France et en Europe s'efforcent d'obtenir des postes de
conseiller municipal ou régional, de maire ou de député, voire de ministres,
leurs frères africains se noient par centaines dans le détroit de Gilbratar
ou au large des Canaries et leurs frères antillais s'enfoncent dans la
délinquance et le crack. Je persiste à penser que Koffi Yamgnane serait plus
utile en tant que président de la République du Togo que maire d'un obscur village breton de 400 habitants.
Je vous souhaite tout de même un bon séjour à la Martinique.
Cordialement
RAPHAEL CONFIANT
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