Le charbon de bois. Source principale d’énergie avec les animaux de trait. L’eau des cascades. La force de l’esclave. Pour les besoins de la table. Du repassage. De la santé. Des brûlis pour la mise en culture des sols. Pour la Production. Ses calories et les crépitements de sa flamme. Sa lumière et ses ombres, lors des veillées aux morts. Un compagnon de chaque instant de la vie de chacun. Avant l’arrivée des colons, elle était belle, la forêt de la Martinique, verte, variée, fournie et dense, «dans ce pays montagneux couvert de bois fort hauts et fort épais», rapporte un flibustier, en l’an 1619. Mais à partir de 1635, elle a reculé devant les cultures d’exportation, tabac, indigo, canne à sucre, cacao, coton, café et, pour une population croissante, devant les besoins d’énergie journalière pour toute la vie familiale et sociale.
Déboisements en faveur de l’économie de plantation et fabrication du vital charbon de bois, lui ont porté un rude coup, «surtout dans le sud moins boisé qui connaît un mitage excessif de son faible couvert forestier»1.
Le Bois de Campêche était le plus utilisé pour la production du charbon de bois. Cet arbre aux troncs durs et aux branches garnies de robustes épines, donnait également le meilleur miel de l’île, onctueux et odorant qui régalait le palais, guérissait les ulcères d’estomac, soulageait des rhumatismes. Ce miel aux fleurs de campêche, calmait la toux ou la grippe, lorsqu’on le mélange à la «grappe» ou rhum blanc et qu’on y ajoute un morceau de citron vert. Car aux Antilles c’est «la grappe qui guérit la grippe». Le charbon de bois très chaud, servait aussi à la désinfection de l’eau.
Ce Bois de Campêche donnait un charbon au grain brillant qui n’avait pas son pareil, pour les grillades de porc à la Noël. Ici et là, quand on voyait une fumée haute et bleutée au-dessus de la campagne, on était certain qu’il s’agissait d’un «four à charbon», allumé la veille au soir.
L’opération de défournement à laquelle allaient procéder les esclaves-charbonniers, ferait disparaître leur face sous un nuage de poudre noir, laissant seulement deux ouvertures pour le blanc des yeux. Au cours de cette manœuvre, les bouffées de gaz chaud exhaleront une bonne odeur de braise ardente. La complainte des morceaux craquant au cours du refroidissement, tintera de manière discontinue à l’oreille.
Les nègres auront pris toutefois de grandes précautions, en se rendant à cette corvée au charbon. Car les épines étaient des plus redoutées pour leurs pieds nus. Lorsqu’elles s’y enfonçaient, elles y laissaient sous forme d’échardes profondément enfouies, leurs extrémités particulièrement acérées.
Le remède consistait d’abord à éviter de mettre le pied dans l’eau, le tétanos étant instantané dans ces cas-là. On introduisait alors dans la plaie un grain de sel, et, à peine un doigt de suif ou de chandelle que l’on flambait dessus. Le lendemain, le corps étranger apparaissait et remontait d’autant plus vite à la surface plantaire qu’on y appuyait, au droit de la fissure, le goulot d’une bouteille de pétrole. L’écharde, à ce moment, s’extrayait facilement, parfois avec une épine de campêche servant d’aiguille.
- Dominique Chabod – O.N.F.
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