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L’esclave du Ponant / Madame de Plusquellec
(en écriture)

José Le Moigne

Madame de Plusquellec, veuve d’un conseiller à la sénéchaussée royale de Brest, était, si on ose s’exprimer ainsi, l’archétype de cette société de province arc-boutée sur quelques privilèges.

Mon hôtel, disait-elle en parlant de chez elle, mais ce n’était qu’une grande maison, un immeuble d’allure très vaguement classique, d’ailleurs bien trop vaste pour elle. Aussi, s’était-elle résolue, imitant en cela bien des propriétaires Brestois, à louer une partie de sa maison à de jeunes officiers de marine qui trouvaient-là un chez eux entre deux embarquements.

Parlons un peu de Madame de Plusquellec que nous aurons à rencontrer souvent. Elle avait cinquante ans et, à l’harmonie intacte de ses traits, mais surtout à ses yeux d’un bleu profonds dont-elle jouait par habitude, on devinait qu’elle avait dû être belle et sans doute coquette. Même très épaissie, c’était une de ces femmes dont-on disait qu’elles avaient de l’allure. S’en étonnera-t-on? Madame de Plusquellec était un des piliers de la place des médisances. Certes, comme tant d’autres, elle y allait recueillir l’information qui lui était refusée ailleurs, mais, avec ses commères qu’elle retrouvait là, elle faisait son miel de toute rumeur qui passait que, très vite, elle transformait en vérité d’évangile qu’elle se chargeait de diffuser très vite.  Il ne servait à rien de tenter de lui faire entendre raison. Madame de Plusquellec était de cette espèce redoutable de ceux à qui il ne fallait jamais donner la parole, pire, de cette engeance qui s’en empare et ne la lâche pas. Elle avait son avis quel que soit le sujet, l’étayait de son expérience supposée, et ne permettait pas qu’on la coupât. Madame de Plusquellec tenait salon partout mais, à la différence de la marquise du Deffant ou de Julie de Lespinasse, chez elle, quoique son abord restât charmant, la controverse philosophique, la conversation intelligente, le bel esprit et l’échange, se transformaient en un monologue abscons, impérieux, proche de la logorrhée.

Telle était la personne chez qui Claude de Noz avait pris pension depuis des années. Il occupait à l’étage une chambre et ses dépendances qui formaient un petit appartement auquel il convient d’ajouter un réduit sans lumière, meublé d’un lit et d’une simple étagère où Jean Mor avait été déposé comme un simple paquet. Ajoutons que si, Madame de Plusquellec, avait été surprise de voir débarquer un moricaud chez elle, elle n’en avait rien montré. D’abord, à Brest, au siècle des lumières, il n’était pas aussi rare que l’on pourrait le croire qu’un officier de marine ait à son service un domestique nègre; et puis, elle escomptait de cette présence sous son toit de quoi nourrir jour après ses commérages. Quant à Jean Mor, sur cette question du logement, il est juste de dire que son sort n’était pas très différent de celui des autres domestiques du quartier. Il n’était plus en mer, mais sur la terre de France. Alors commença son attente, son impatience de la liberté.    

©José Le Moigne
L’esclave du Ponant
Octobre 2014

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