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L'oiseau

José Le Moigne

Moineau

Passereau. Photo Evariste Zephyrin.

Un jour, dans l’épaisseur d’une haie, Coco découvrit un oiseau prisonnier des épines.

— Attrape-le! hurla-t-il en me tirant la manche.

Des années ont passé et se sont englouties dans le ventre du temps. Pourtant, les soirs de tristesse, il me suffit de clore les paupières pour sentir battre encore, dans le creux de ma main, le petit cœur tout affolé du passereau. Jamais je n’oublierai son plumage froissé, ses yeux en escarboucles et son cri étranglé.

Étais-je donc à ce point saoulé de solitude pour m’imaginer pouvoir m’approprier le petit animal?  Toujours est-il qu’à peine eus-je senti entre mes doigts assassins le corps brûlant du volatile qu’il me sembla inconcevable qu’il ne fût pas à moi.  Ainsi, les doigts en pince et barbare comme on l’est quelquefois à cet âge, je me saisis d’une minuscule patte et la rompit comme s’il s’était agi d’une simple allumette. Coco me regarda les yeux emplis et de joie et de gêne puis, sans prononcer une parole, m’aida à fabriquer avec quelques brindilles une manière d’attelle.

Pas un instant je ne culpabilisais. Bien au contraire, dans ma folie, je me voyais déjà soignant le passereau. Après tout, en agissant ainsi, je montrais moins cruel que Lannig que j’avais vu délier, d’un seul coup de canif, la langue des corbeaux et des corneilles qu’il élevait dans l’appentis.

— C’est ainsi que l’on fait aux mainates m’expliqua-t-il un jour. Tu tranches le filet et après, si tu as de la chance, tu peux les faire parler.

Les pauvres bêtes chiaient sur la terre battue, tiraient comme des bagnards sur le bout de ficelle qui leur liait la patte, nourrissaient la colère de Man Anna de plus en plus exaspérée, pourtant, au grand dam de Lannig, jamais un son articulé ne sortit de leur bec.

Pas question pour ma part de faire parler un passereau. On pouvait me faire confiance. Je voulais un ami, pas un sujet pour expérience ou une bête de foire. Ça, je saurais m’en occuper, et j’en étais persuadé, il serait si heureux avec moi qu’une fois rétabli, au lieu de s’envoler quand je le poserais sur l’appui de fenêtre, de lui-même, il renoncerait à filer vers le ciel.

J’y croyais dur comme fer et Man Anna, à qui nous ramenâmes la bestiole tout en omettant de lui conter les circonstances de la blessure, ne me contredit pas. Une quête affective, semblable en tout point, nous faisait partager la même aberration. Elle plaignit avec nous l’animal blessé et lui confectionna, dans une boîte d’allumettes garnie de coton hydrophile, un petit nid douillet.

Bien entendu, le lendemain matin, à ma très grande honte et à ma confusion, l’oiseau avait cessé de vivre.
 
José Le Moigne
 Chemin de la mangrove
Lettres des Caraïbes

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