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La montagne rouge

Le chien

Extrait

José Le Moigne

Photo Christine Le Moigne-Simonis.

L’abbé aimait la nuit.

Depuis longtemps Marie-Jeanne Guillou avait rejoint sa chambre sous les combles. Le feu brasillait dans la cheminée et le chien, roulé en boule à la limite du foyer, dormait d’un sommeil agité. De longs frissons parcouraient son échine tandis qu’il secouait la tête dans une ébauche d’aboiement. Il rêvait, mais à quoi? Mystère de l’âme canine, ce pourrait-il que le chien d’un recteur, même de la race réputée des épagneuls breton, mais nourri dès la naissance de l’odeur des soutanes, soupire comme les autres, après une poule d’eau entr’aperçue sur la banquette du ruisseau bordant le chemin creux; ou après le lapin, petite flèche fauve qui traverse la lande; ou après le chevreuil découvert ce matin alors qu’il coupait la prairie de sa battue d’athlète? Il y a tant de frustrations dans l’entourage d’un curé qu’il n’est pas impossible que son chien les ressente aussi.

L’abbé lâcha sa plume et caressa la bête, entre les oreilles, là où la peau est si sensible que l’animal, comblé, en devient presque humain.

— Toi aussi, tu vieillis, mon bon Bervig[1] murmura le recteur en inclinant vers son fidèle compagnon la lampe à pétrole qui lui servait de veilleuse la nuit.

Depuis quelques années, déjà, Scrignac avait été électrifié mais l’abbé, méditant dans l’obscurité, préférait à la brutalité de l’ampoule de verre ce halo imprécis dont la complicité l’accompagnait depuis toujours. Yan-Vari griffonna quelques lignes avant de se laisser gagner par la torpeur.  

— Demain il serait temps! marmonna-t-il en s’enfonçant dans son fauteuil; et ce soir-là, encore, sa rêverie, ou plutôt son errance, le ramena à Saint-Vougay.

©José Le Moigne 2012

  1. Bervig: Eclair.

 Viré monté