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La montagne rouge 4

Le séminariste

Extrait

José Le Moigne

 

 

 

 

 

 

 

 

Pont-Croix. Photo Christine Le Moigne-Simonis.

La montagne rouge 4

À quatorze ans, alors qu’il s’apprêtait à rejoindre le petit séminaire de Pont-Croix, la rage de ses douze ans bouillait encore en lui. Elle était toujours là pendant son service militaire, à Brest, au 19ème régiment d’infanterie et plus que jamais présente à son entrée au grand séminaire de Quimper.

Le jour de son ordination tout était enfin clair. Il était derrière lui l’état de révolte brouillonne propre à l’adolescence. Les dés étaient jetés. Il allait être prêtre et son apostolat ne pourrait prendre sens qu’à condition qu’il l’associât à son combat pour de la langue bretonne. Feiz ha Breiz!  Voilà qui était doux à prononcer! Dans sa bouche ce n’était pas un vulgaire slogan. C’était une poétique dépassant de très loin le simple sacerdoce. Une mise en relation en quelque sorte. Il le savait, les peuples condamnés à se taire ne peuvent que passer par le détournement. C’était cela qu’il s’apprêtait à faire. Aussi, dès son entrée au séminaire, Yan-Vari, assuré maintenant de sa puissance de conviction, tira de dessous sa future barrette une sorte d’académie bretonne, la Kenvreuriez ar Bezhoneg, destinée à ses condisciples moins experts que lui en langage breton.  Sa hiérarchie n’ayant vu là qu’un simple dérivatif à la monotonie de leur enseignement, Yan-Vari décida de poursuivre en faisant de la cérémonie de son ordination un acte militant. Ainsi, au lieu de sacrifier à l'exercice du latin, composa-t-il un cantique en breton que l’évêque, bercé par la musique de sa langue natale, bien loin d’y voir malice, approuva en le félicitant à la manière des prélats, avec rondeur et componction. Avec aussi sans doute un brin de politique. En ces temps meurtriers où l’État méditait de rafler tous les biens de l’église, un jeune prêtre bretonnant à tout vent et se voulant proche du peuple était, sans doute, une chance à ne pas négliger.

Chacun le comprendra, c’était bien mal connaître Yan-Vari que de penser qu’on pouvait le réduire à cette image d’évangile. Monseigneur Duparc, successeur de Monseigneur Dubillard qui l’avait ordonné, en fit très vite l’expérience.  Le papillon avait quitté sa chrysalide et maintenant, année après année, le petit gars frissonnant de colère allait se transformer en prêtre de combat. L’abbé connaissait son histoire et, s’il avait dû, pour le triomphe de ses idées, prendre l’habit de Cadoudal ou du marquis de Pontkalleg, il l’aurait fait sans hésiter. En cette année 1903, alors qu’il rejoignait son premier vicariat, Yann-Vari Perrot n’ignorait rien du contenu sa besace. Certes, à l’assemblée des prêtres il occupait le dernier rang, mais bientôt, c’était pour lui une évidence, on entendrait parler de lui.

©José Le Moigne 2012

 Viré monté