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La montagne rouge 3

Le prêtre et l'évêque

Extrait

José Le Moigne

 

 

 

 

 

 

 

 

Photo Christine Le Moigne-Simonis.

Le prêtre et l'évêque

 L’abbé n’était dupe. Son bon sens paysan était trop affuté pour qu’il s’en laisse accroire et ce n’est pas son nouveau titre de recteur qui changerait quoi que ce soit. L’année 1930, n’en déplaise à Monseigneur l’évêque, ne serait de celles qu’il pourrait souligner d’un triple trait au crayon rouge. En effet, qui pourrait croire que quitter le pays léonard et la tranquille paroisse de Plouguerneau pour s’enfermer dans ce repaire de communistes connu d'un bout à l'autre du diocèse pour son irréligion, cette montagne rouge, dévorée par la lande et enclose de forêts peuplées de sangliers, pouvait, en quelle manière que ce soit, constituer une promotion. A quoi bon se leurrer? Il dérangeait. On l’avait déplacé. Ce n’était pas plus compliqué.

Nourri de traditions, exalté, intelligent, tenace au point d’en paraître borné, l’abbé liait sa foi profonde à un amour immodéré de la Bretagne. Il suffisait qu’on prononce le mot République devant lui pour provoquer un incendie et pour le faire tirer à boulets rouges sur la gueuse et sur le ministère du père Combes dont — et peu lui importait que plus de vingt ans soient passés — il ne digérait pas les lois de séparation de l’Église et de l’État. Aussi, à longueur à longueur de prône, l’abbé se servait-il de sa prêtrise pour militer pour une Bretagne indépendante et fière de sa langue.

— Croyez-moi, affirmait-il sitôt que l’occasion lui en était donnée, s’il est vrai que tout homme est maître en sa maison, il est naturel qu’il en soit de même pour les peuples. Je rêve d’une Bretagne de nouveau gouvernée par les siens; et personne d’autre que les siens!

Il n’en fallait pas plus pour que bondisse de sa cathèdre Monseigneur Duparc, évêque de Quimper et du Léon. Avec sa longue chevelure d’une blancheur d’acier, son visage émacié et son nez aquilin, Monseigneur avait, selon le point de vu qu’on défendait, l’allure altière d’un prélat d’ancien régime ou celle d’un chouan échappé d’une gravure de Joubert.  De fait, personne ne s’y trompait, il était l’un et l’autre. Qu’il soit, en tant que prince de l’église, intransigeant en matière de dogme, n’entravait pas son attachement à la Bretagne, à sa culture et à sa langue. Sa dévotion pour sa terre natale et son ardeur à la défendre ne le cédait en rien à celles de Yan-Vari Perrot. À ce propos, Monseigneur ne se contentait pas de propos lénifiants. Dès son installation il avait exigé que, dans toutes les paroisses, le catéchisme se fasse dans l’idiome des petits bas-bretons et que, dans les écoles catholiques, les enfants puissent étudier leur langue. Ici, bien qu’il soit mort depuis longtemps, on se souvient de Monseigneur montant ou descendait de sa calèche, des chevaux magnifiques qui la tiraient, de sa noble prestance. La foule en liesse battait des mains. Guettait sa bénédiction. Ce n’était seulement un prélat qui passait, mais lui, Monseigneur Duparc et son aura se confondait avec sa charge. L’abbé n’était pas janséniste et la magnificence de l’église ne lui posait pas un problème. Les grands rassemblements catholiques que la parole de l’évêque électrisait ne lui déplaisaient pas. Bien au contraire, pour lui c’étaient Dieu et la Bretagne qui ainsi se trouvaient magnifiés. Voilà donc deux hommes, également sincères, que tant de choses auraient dû rassembler, incapables pourtant de s’entendre tant leurs visions de l’avenir étaient antinomiques. L’abbé militait pour une Bretagne indépendante et catholique qui, à tout prendre, était celle des ducs. L’évêque, lui, avait pris la mesure de son temps. Il lui semblait que trop de bretons avaient été sacrifiés pendant la Grande Guerre pour que l'union d’avec la France ne soit pas à présent cordiale et consacrée. Depuis qu’il l’avait lu sur le monument aux morts de Plozevet cette tragique affirmation: Da garet hon euz gret bro c’hall betek mervel!1 il en avait fait en quelque sorte sa devise. En d’autres temps l’évêque eût été girondin. La République? Pourquoi se bercer d’illusions? On ne reviendrait plus jamais en arrière. Mais au moins qu’elle respectât les différences. Pendant des mois et des années il avait fait montre de patience mais aujourd’hui, les incessantes controverses de l’abbé ; ses prises de position de moins en moins apostoliques, ses appels au séparatisme, lui étaient devenues franchement insupportables. De son côté, malgré son profond respect pour la fonction épiscopale, l’abbé trouvait la position de son évêque beaucoup trop ambigüe pour ne pas être contestée. Chaque jour, un peu plus, l’obéissance lui coutait.

— Voyez-vous, disait-il à ses visiteurs, ses disciples plutôt, la différence est mince entre un ecclésiastique et un soldat. Que leur demande-t-on sinon d’obéir et de se taire sans plus de latitude qu’un cheval à la longe! Qu’importent vos attentes, vos espérances, vos élans généreux et vos cas de conscience? Faites seulement un pas en dehors des sentiers balisés et vous verrez… On vous écartera… Sans aucun état d’âme… Comme une bête contagieuse!

  1. Nous t’avons aimé France, jusqu’à mourir!

         ©José Le Moigne 2012

 

 Viré monté