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La montagne rouge 23

Simonette

José Le Moigne

Ah ! C’qu’on s’emmerde ici
Ah ! C’qu’on s’emmerde ici
Merde ici, merde ici, merde ici 
Tsoin, tsoin …

Y’a pas à dire, Mikaël s’ennuyait ferme. Il n’avait pas d’amis, mais tout le monde était son camarade. Qu’est-ce que cela changeait? On n’était pas au Bezen Perrot pour se faire des papouilles mais pour tuer du soviétique. Tout de même, se disait-il en fredonnant cette chanson de son adolescence apprise au patro il n’y avait pas si longtemps, quelle barbe d’avoir à monter la garde devant le siège de la SD! D’abord, il avait espéré voir passer des jolies filles. Après tout, avant d’être réquisitionné, l’immeuble de la rue Jules Ferry était celui de la Cité des Étudiantes. Peut-être en restait-il quelques grégaires habitudes. Pourtant, il dû très vite se rendre à l’évidence. À moins d’être obligé, personne n’avait envie de fréquenter ces sinistres parages. Alors, des donzelles dont le vent tiède soulève les jupons laissant dans leur sillage espiègle de leurs voix … Du rêve, tout simplement du rêve. Justement, bien qu’il fût encore à l’âge du romantisme, Mikaël, n’était pas ce qu’il convient d’appeler un rêveur. Alors, parce que l’ennui menaçait décidément de lui glacer les os, l’instinct du campagnard se réveilla en lui. Il se prit à guetter, distraitement d’abord puis bientôt avec une totale acuité, ces petits signes qui, dans la froideur impersonnelle de la ville, lui rappelait sa vie d’avant. D’abord, il y eu la mésange. Un fétu dans le bec, elle paradait sur le rebord de la gouttière d’enfance, avant de prendre son envol vers un trou de muraille où elle cachait son nid. Puis un chat apparu sur le versant brûlant du toit. Mikaël guettait le drame. Mais c’était un matou philosophe. Il considéra l’oiseau d’un œil intéressé puis, ayant conclu à l’inanité de tout projet d’attaque, il s’allongea au bord d’une tabatière pour mieux profiter du soleil. Mikaël en était là de son observation quand, surgissant d’une ruelle adjacente, une petite femme ronde, dégoulinante d’angoisse, se planta devant lui.

Mikaël mit son arme en opposition. Il n’avait ni l’intention de tirer ni celle de frapper, mais c’était la seule façon de tenir à distance la véhémence de la femme. Celle-ci, persuadée d’avoir affaire à un soldat de la Wehrmacht juste capable d’appréhender et de baragouiner quelques bribes de français acquise depuis le début de l’invasion, tissait une gymnastique linguistique pour lui faire comprendre que sa fille, Simonette, accusée de faire l’agent de liaison pour le maquis, avait disparu depuis deux jours et qu’elle avait tout lieu de croire qu’elle était là, à Rennes, derrière ces murs qu’il gardait.

Le jeune homme aurait dû la boucler et repousser, en deux temps trois mouvements, la petite femme dans le néant des rues. Mais, tel était son caractère; et telle était la force de son ennui, que l’envie le saisit aux entrailles de s’amuser des transes de la petite femme. 

— Eh, ne vous frappez pas la mère, dit-il de sa voix la plus sotte, ne vous inquiétez-pas, votre fille est en très bonnes mains. Vous aurez des nouvelles bientôt.

Et il cligna de l’œil en direction du bâtiment.

La femme sursauta. Ses yeux accrochèrent les yeux de Mikaël que la gouaille parcourait d’une petite flamme vive. Elle ne partageait pas l’engagement résistant de Simonette, sa fille, ce qui ne l’empêchait pas d’être ardemment patriote.

— Mais vous êtes Breton et même breton des Côtes du Nord! dit-elle, en reconnaissant, dans la bouche du soldat ennemi, l’accent de son pays.

L’autre ne se départit pas de ses manières sarcastiques.

— De Plouguenast, pour vous servir, Madame! répondit-il en s’inclinant comme un valet de comédie.

— Comment peux-tu! s’indigna la petite femme en tutoyant son interlocuteur.

Mikaël ne se démonta pas.

— Chacun défend son pays comme il l’entend, répliqua-t-il d’un ton maintenant agressif.

On aurait dit un cheval agacé par un taon qui frémit du poitrail et secoue sa crinière.

La mère de Simonette ne baissa pas les yeux. Comprenant que sa fille ne sortirait jamais vivante du cul de basse fosse où on l’avait  jeté, elle mit un point d’honneur à faire passer dans son regard toute la haine et le mépris que lui inspirait le traître.

Ce ne fut qu’après s’être ainsi déchargée qu’elle enfonça ses mains dans les poches de son caraco défraîchit et tourna les talons. Les yeux lui picotaient, un poids terrible écrasait sa poitrine, mais elle attendit de ne plus être en vue pour se laisser aller aux larmes. Il n’était pas question qu’elle fît l’aumône de son chagrin à ce clampin sans dignité.

Ni Simonette Herrou, ni Maurice Persaut dit Le Barz ne parlèrent. Les gours les ramenèrent à la caserne du Colombier et les enfermèrent, avec trente de leurs camarades sortis pour être suppliciés de la prison Jacques Cartier, dans une cabane grillagée proche des écuries. Ainsi, suprême raffinement de la barbarie boche, purent-ils voir, en attendant leur tour, tomber leurs camarades sous les balles des boches devant le mur d’enceinte. Les martyres glorieux, parmi lesquels neuf espagnols, ne surent jamais que le débarquement, pour lequel ils s’étaient sacrifiés, avait eu lieu deux jours plus tôt en Normandie. Honneur leur soit rendu. Quant à Le Dueff, c’est une tout autre histoire. Devenu à son tour un symbole, ses obsèques, furent célébrées par les gours avec une pompe qui ne le céda en rien aux funérailles de Yann-Vari Perrot. Poudre aux yeux, derniers éclats de la fête païenne, malgré la présence ostentatoire des dirigeants les plus en vue du mouvement, ce ne furent pas les funérailles d’un militant breton qui donnèrent lieu à tout ce faste, mais celles d’un soldat allemand, le SS Mann Sicherhiest Polizein Auguste Le Deuff, abattu par les terroristes à l’âge de dix-neuf-ans.

Ce qui pouvait rester d’ambiguïté venait d’être levé.

© José Le Moigne 2013

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