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La montagne rouge 23

Le siège de la SD

José Le Moigne

Comme tous les habitants de Rennes, même ceux qui se bouchaient les oreilles ou se collaient un bandeau aux mirettes, Le Barz n’ignorait rien de la réputation de moulin à torture du siège de la SD. À de très rares exceptions près, on n’en sortait jamais vivant et ce n’était même pas la peine d’espérer qu’une mort rapide vienne vous délivrer. Cela prenait des jours, quelques fois même des semaines, car les tortionnaires de la SS, en maîtres consommés, s’entendaient à varier les plaisirs et à vous faire durer.  Ils paraissaient indépassables. Pourtant, cette fois-là, tant la nature humaine est imaginative quand il s’agit de nuire à son prochain, ils ne firent pas le poids. Les gours venaient de perdre avec Le Deuff, leur premier homme. Pour Péresse et ses hommes cela impliquait pour le moins qu’ils soient chargés de l’interrogatoire.

— Après tout, pourquoi pas! dit l’Obersturmbannführer  Hartmut Pulmer, commandant la SD de Rennes depuis 1942, un dur parmi les durs, détestant les Français autant que les Allemands qui n’étaient pas nazis.

Il n’était en uniforme portait un costume croisé de très bonne facture. Qu’il soit en uniforme ou en civil Hartmut Pulmer se voulait élégant. Une élégance glacée qui, contrastant avec sa mortelle industrie, le rendait d’autant plus angoissant.

Tout était donc réuni pour que Le Barz subisse ce qu’il est convenu d’appeler un traitement de faveur. Jours et nuits Péresse, Mikaël, Bleiz et Targaz se succédèrent pour travailler Le Barz. L’horreur fut à son comble lorsque Targaz, d’un coup de pied pervers, fit éclater un testicule de Le Barz.

Kénavo les roubignolles! Éructa-t-il en s’apprêtant à frapper derechef.

Halt! Ça suffit!

En aucune façon, l’Oberscharführer Hans Grimm, bras droit du colonel Pulmer, ne passait pour un tendre. Des types exsangues, saoulés de coup, incapables de ramper vers un coin de la cave pour s’y recroqueviller, c’était son quotidien. Mais la SS n’appréciait pas qu’on lui gâchât la marchandise. Or, à présent c’était une évidence, Le Barz, sans avoir lâché un seul mot, allait crever sous la botte impitoyable de ce jeune homme qui n’avait pas vingt ans. Il décida de reprendre la main. Targaz se hérissa comme un lynx en furie. On aurait pu croire que, contournant l’adjudant, il allait achever Le Barz ou encore, que saisissant le SS par le collet de sa vareuse, il allait décharger sur lui son trop plein de colère.

— Targaz!

Péresse n’eut pas à en dire davantage. Targaz était bien loin d’être calmé. Des lueurs de meurtre roulaient toujours au fond de ses orbites. Mais au Bezen Perrot, obéir, au doigt et à l’œil au chef du moment, ne se discutait pas.

Pourtant, pour peu qu’on en doutât encore, on venait d’assister à la naissance d’un tueur.

© José Le Moigne 2013

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